1628, 18 février. Lettre de Jean Besly à André Du Chesne, « géographe du roy, » sur l'histoire de La Rochelle.

1628, 18 février. Lettre de Jean Besly à André Du Chesne, « géographe du roy, » sur l'histoire de La Rochelle. Bibliothéque nationale, fonds français, n° 2,812,p. 193-194 ; autographe. Communication de M. Ph Tamizey de Larroque.  

Monsieur, à la vérité, j'ay trouvé bien estrange que vous ayez employé M. de Poictiers pour avoir de moy une pièce dont vous estimez avoir besoin, attendu que je ne vous ay onques refusé de chose aucune qui ayt esté en mon petit pouvoir toutes les fois que l'occasion s'en est présentée, comme aussi je ne vous ay point espargné lorsque j'ay pensé que vostre bon secours m'estoit nécessaire, comme le commerce de gens qui font estat de manier les livres le désire. C'est de quoy je me suys plainct à M. de Poictiers, sur la prière qu'il m'a faite de vostre part; et derechef, ces jours derniers, j'en ay touché un mot à M. Du Puy, et vous ay menacé de vous prévenir et de vous envoyer la copie au long du titre, qui monstre que la royne Aliénor, héritière de Guyenne, donna Benon à Raoul de Mauléon, en eschange de La Rochelle, le jour de Noël Mcxcix. Cependant vostre lettre du VIII du courant m'est venue, et à esté la très bien receuë, comme de celuy de qui je tiens l'amityé chère, que j'honore, et à qui je me sens obligé, et à qui accordant ce qui m'est demandé, ce ne sera que réitérer ce que j'ay fait avant d'en estre requis. Mais je metz cette condition en mon marché, que vous agirez dorénavant aveq moy à cœur desboutonné, et que vous vous souviendrez tousjours du vieux mot « Qu'entre amys toutes choses sont communes. » Vous trouverez donc ce titre-là enclos en ce pacquet, pour y asseoir tel jugement que trouverez bon pour vostre dessein.

 Mais de vous éclaircir à quel titre ou prétexte la royne Aliénor et son second mary s'estoient emparez de La Rochelle, c'est un point que j'ignore moymesme, excepté que la royne en estoit en possession du chef et comme héritière de son père, Guillaume IX et dernier du nom, comte de Poictou et duc de Guyenne. Ce qui se justifie nettement par le titre de la fondation de l'église de Saint-Berthélemi de cette ville-là, où il est rapporté que le comte s'estoit saisi clandestina obsidione, sur Ysembert de Chastellaillon, du chasteau de Chastelaillon; et puis il est dit que le roy Louys le Jeune restitua à Ebles de Mauléon et à Geofroy de Rochefort, dominium totius terrae, retenta ab eo duntaxat munitione castri Julii cum medietate redituum Rochellae ; et que ces deux seigneurs erant consanguinei et videbantur esse de genere et familia ipsius Ysemberti.

Ce qui suyt au titre justifie que les mesmes deux seigneurs tenoient La Rochelle à dommaines, sous le roy Louys VII et sa femme, la royne Aliénor, fille du comte de Poictou, qui s'en estoit emparé sous des causes qui ne sont parvenues jusques à ce temps, soit pour reprise de fief non faite, soit à titre de force, qui a plus d'apparence, attendu les termes de la charte, comes invidioe stimulo agitatus; et en peut-on demeurera là jusques à plus grande certitude.

Cependant la mesme charte nous advertit que ceux du nom de Chastellaillon estoient seigneurs d'ancienneté de Castrum Julii, que les autres chartes énoncent par Castrum Allonis [alias Alionis], Cum adjacenti patria, qui est La Rochelle; lesquels cet Isembert jure paterno possederat, occasion que la royne Aliénor en donna eschange non seulement à Raoul de Mauléon, qui en eut Benon, mais aussi à Aimeri, seigneur de Rochefort, à qui elle donna [propter vim quam illa et filii sui faciebant ei in.villa Rupellae] le bourg Saint-Aignan cum suo honore, et les fours banniers de Saint-Jean-d'Angéli, et toute la terre que Hugues de Thouars avoit au fief de Benon par titre de l'an M CC III, excepté 50 livres de rente dhues aux religieuses de Frontevraut, et 30 livres à Guillaume, sire de Mauzé, [pour jouyr des choses susdictes jusques à ce qu'assiete luy fust faite de cinq mil solz je croy, CCL livres de revenue en terre. Car sol pour escus seroit XV mil francs de rente, somme excessive pour ce tems-là.] Vous voyez que ce titre a relation à l'autre de MCXCIX.

 Je ne doute point aussi que cet Aimeri de Rochefort ne fust du lignage et héritier de Geofroy de Rochefort, à qui le roy Louys VII avoit restitué La Rochelle en partie, et en partie à Raoul de Mauléon, s'estant réservé Chastelaillon et la moitié de la monnoye de La Rochelle. Et croy qu'environ ce tems-là on restitua pareillement Chastelaillon aux autres héritiers; sinon qu'on l'eust desja fait dès cy-devant: car j'ay veu charte de l'an MCCXVI, XI novembre, par laquelle Guillaume L'Archevesque, seigneur de Partenay et de Chastelaillon, confirme aux religieux de Saint-Martin d'Aix, prieuré et abbaye fondez par ses prédécesseurs, toutes les choses qu'ils leurs avoient données, cette seigneurie, qui, à titre de principauté, a tousjours depuys esté possédée par les Archevesque, jusques à ce qu'elle ayt passé en la maison de Longueville, par la démission d'Artus, comte de Richemont, à qui le roy Charles en avoit fait don au titre que vous sçavez. [Toutefois, y a titre de l'an 1245, où Raoul de Mauléon prend qualité de sieur de Chastelaillon; mais il n'estoit légitime, ou bien la terre alloit en partage.]

De cotter précisément que Guillaume, dernier duc de Guyenne, s'empara de La Rochelle sur Isembert de Chastelaillon, dernier du nom, c'est chose hors de ma cognoissance. Mais puysqu'il décéda l'an 1137, cella doibt estre advenu quelques années devant, et non pas beaucoup, attendu qu'il vint seulement à la duché l'an MCXXVI, que son père décéda. C'est donc l'une de ses actions durant les XI à XII ans de sa principauté.

Si on ne peut approcher de plus près, on n'est pas trop esloigné du but. Un mémoire, dressé sous le règne du roy Henry le Grand, porte que ce duc, environ l'an MCXL, octroya à La Rochelle droict de commune, marques et priviléges de ville, pouvoir d'avoir murailles, fossez et forteresses, et d'establir un maire, eschevins et pairs. L'autheur ne se souvenoit pas de l'an du trespas de ce duc, et par mesme moyen tesmoigne que le tiltre, sur lequel il s'est fondé, estoit sans dattes, comme il s'en trouve nombre infinis de ces siècles-là.

Je n'ay point veu celluy-cy, et ne sçay mesmes s'il est ès archives de la maison de ville de La Rochelle, feu M. de Mirande, qui estoit le plus célèbre advocat du lieu et qui avoit heu la garde, mesme la charge d'en faire l'inventaire, qu'il m'avoit promis, m'ayant autrefois asseuré qu'il ne s'y veoyt rien de plus ancien que quelques privilèges de la royne Aliénor; qui est pour venir au second point de vostre lettre.

Mon mémoire adjouxte que les privilèges concédez par le duc furent confirmez par cette royne et le roy Louys le Piteux, son premier mari, sans autre cotte de tems, qui. me fait douter qu'il peut y avoir de la divination; puys il dit ensuyte qu'ils furent aussi confirmez par Henry, roy d'Angleterre, son second mari, environ l'an 1159. Cet environ m'est encor suspec, ou du moins que la charte où il a puisé n'est pas dattée.

 La charte de Jean sans Terre, anno I regni, de la concession et confirmation des privilèges de ladite ville, mentionne les libertez et costumes quas habuerunt tempore Henrici patris.

Il s'ensuyt donc qu'ils en avoient, quand ce n'eust esté que le privilége de Richard, comte de Poictou, depuys roy d'Angleterre, sans datte d'année, mais qui est confirmé par le comte Alfonse, frère du roy saint Louys qui confirme aussi ceux de la royne Alienor, dont je n'ay pris copie, et ay marqué seulement : Confirmat regina Aliénor sub aedem forma, qui se rapporte à Richard; ce que vous pourrez vérifier sur l'original qui est au thrésor des chartes.

Mais d'autant que la confirmation du susdit comte Alfonse rapporte celle du roy saint Louys de l'an Mccxxvn, et celle-cy, celle du roy Louys VIII, de Montpensier, de l'an MCCXXVII, et celle-cy, celles de Richard, comte de Poictou, de la royne Aliénor, et trois de Jean sans Terre, anno I,VI et VII, je me suys aisément persuadé que les Rochellois n'en avoient point d'autres en leurs archives, parcequ'ils n'eusseut pas esté moins soigneux de les faire confirmer par le comte Alfonse, que de luy présenter ces autres qui eussent esté postérieures et moins dignes, si on veut faire cas de l'antiquité. C'est ce que je puis respondre quant à ce point de vostre lettre.

Mon mémoire commance par dire que, l'an DCCCCXXX, La Rochelle n'estoit pas grand'chose, ains comme un bourg seulement, fort pour son assiete, pour estre sur une petite colline et en lieu haut, dont elle prit son nom; et que dès ce tems-là les Rochelois estoient desjà cognus et aymez de leurs voysins, auxquels ils servoient de rempart contre les Danois et Saxons qui couroient cette coste de mer.

Mesmes, pour témoignage de leur puissance et industrie en guerres navalles, ils prindreut et retiennent jusques aujourd'huy, pour armoiries, un petit bateau plat aveq une simple voyle pour toutes armes.

Par quoy le duc de Guyenne, pour les encourager et gratifier, leur octroya les priviléges dont j'ay parlé, environ l'an MCXL, ou il y ha erreur. Tellement qu'au compte de cet autheur, La Rochelle auroit seulement esté close entre MCXXVI et MCXXXVII.

Certainement elle l'estoit bien du moins en ce tems-là, comme il se justifie de la fondation de Saint-Barthélemi ès mots Postulaverunt campum Guillelmi de Syre, qui erat villae et portae contiguus ; et ceux-ci : quia grave erat eis, propter viae longitudinem, adire parrochialem ecclesiam S.Mariae de Connia, in superiori parte ipsius villae contiguam.

Comme aussi le lieu estoit dès lors grandement fréquenté du dedans et dehors du royaume, occasion qu'on fonda cette église de Saint-Berthélemi, le requérant multitudo hominum tam indigenarum quam advenarum ex diversis orbis partibus illuc per terram et mare applicantium.

A ce propos, tombe l'advis d'Hélie Vinet, qui n'estoit pas un mauvais juge des choses antiques, disant que La Rochelle ne monstroit point de son tems de- bastiment de cinq cens ans.

Quant au discours de Popelinière, je ne voy pas qu'on en doive faire compte. Au demeurant, je tiendrois à grande obligation si quelcun m'expliquoit la parenté de Raoul de Mauléon et de Geofroy de Rochefort, pour succéder à ceux de Chastelaillon, et encores leur alliance aveq les Archevesques. Ceux-cy et ceux de Rochefort portoient bien aveq différence des burelles, comme Lezignem. Mais le lyon de Mauléon n'y revient pas, s'ils ne sont issus d'un puysné qu'ayt pris le nom et les armes de son appanage.

Pour Chastelaillon, je n'en ay point veu d'escu; aussi qu'il y ha près de cinq cens ans que le nom en est fini, ayant une fort ancienne origine car, dès l'an DCCCCLXXV, Gilbert 1er, de cette famille, fut créé évesque de Poictiers, et frère d'Èbles, sieur de Chastelaillon. Si l'on remonte à leur père, vous voyez où cella va.

Jusques icy, je n'ay rencontré aucune mention de ceux de Mauléon avant l'an mil, quoy qu'ils ayent esté très grands seigneurs, mesmes tenu cette ville, que ce Raoul, dernier filz naturel du renommé Savary, aussi dernier, quitta au comte Alfonse, frère de saint Louys, l'an 1245; et vous avez veu un titre parmi ceux de l'Absie, au sac cotté  H, où Guillaume de Mauléon se qualifie seigneur de Fontenay; et deux autres aussi, l'un sous RRR (1239), et l'autre sous 222 (1243) du sac A, où Eustache de Mauléon se dit vicomtesse de Chasteleraut, ce qui monstre leurs grandes alliances.

C'est celle-là qui fut femme de Geofroy de Lezignem, seigneur de Voidvent, vicomte de Chasteleraud, laquelle, par erreur, j'avois estimée estre de la maison des Chabots, tant il est facile de choper parmi ces ténèbres. Mais je m'esgare hors les termes de vostre lettre, sur laquelle je suys marri de ne pouvoir vous rendre plus de contentement qui correspond à l'affection que j'en ay heu en cecy, et que j'auray toute ma vie, autant que je suys, Monsieur, vostre très humble et obéissant serviteur,

BESLY.

La Rochelle, le port d'Aliénor d'Aquitaine <==

Lacurie (abbé). Carte du Golfe des Santons, Pictons sous les Romains <==

Ducs d' Aquitaine et Comtes de Poitou et plus <==

Les Seigneurs de MAULÉON (Châtillon-sur-Sèvre) <==

Rochefort <==