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PHystorique- Les Portes du Temps
9 mars 2019

Pèlerinages et Culte populaire de Saint Martin de Tours, apôtre des Gaules.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules

Pendant tout le moyen-âge, le tombeau de saint Martin a été en France le foyer le plus actif de l'influence chrétienne et civilisatrice. A cette époque de transformation profonde, l'Église était le seul salut de la société. En dehors d'elle, il n'y avait ni législation, ni justice, ni administration. C'est elle, qui, s'emparant de l'éducation des peuples barbares, leur a inculqué les principes tout nouveaux du respect du droit, du respect du sang, du respect de la femme, du respect de la faiblesse. Cet enseignement était sans doute confié, sur la surface du territoire, à mille bouches sacerdotales, mais toute la force semblait s'en être concentrée dans la basilique de Saint-Martin.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (1)

Dans ce sanctuaire, le plus révéré des Gaules, le plus célèbre du monde après les sanctuaires de Jérusalem et de Rome, accouraient des multitudes de pèlerins, qui venaient puiser à ce foyer sacré l'ardeur de l'esprit chrétien.

De ce centre rayonnait au loin l'enseignement de toutes les vertus, de tous les principes sociaux, et nous pouvons dire que le tombeau de saint Martin, par son influence prépondérante, a exercé l'action la plus décisive sur la marche de la civilisation et sur la formation de nôtre caractère national. C'était le grand foyer moral de la France.

 

Ne semble-t-il pas, en effet, que la France ait reçu l'empreinte profonde du génie de saint Martin ? Il y a, entre le grand évêque de Tours et la nation française, une affinité évidente de caractère qui contribue à expliquer sa popularité constante parmi nous. Son courage héroïque sous les armes, sa charité inépuisable, son influence d'initiation, tout cela se retrouve dans notre caractère national. Soldat, évêque, missionnaire, il résume en lui le triple esprit qui anime notre pays, l'esprit militaire, l'esprit chrétien, l'esprit initiateur. Saint Martin partageant son manteau avec un pauvre, ah ! Voilà bien le type de cette France chevaleresque, de cette France généreuse, toujours prête, elle aussi, à partager son manteau, c'est-à-dire à prodiguer ses trésors et son sang, pour la cause du malheur et pour la cause de la civilisation chrétienne.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (4)

Oui, voilà bien le type de cette France, qui, par l'épée de Pépin et de Charlemagne, coupait une portion du manteau impérial pour en couvrir le Pontife dépouillé, et constituer la souveraineté temporelle des Papes; de cette France qui volait aux croisades pour affranchir le tombeau de Jésus-Christ ; de cette France, qui, dans tous les temps, s'est faite le champion des causes opprimées.

C'était peu pour la Gaule d'avoir échappé, avant la fin du v° siècle, aux dangers de la barbarie païenne introduite par les Francs. L'arianisme, représenté et défendu par les Visigoths, infectait alors la Gaule méridionale, depuis la Loire jusqu'aux Pyrénées. L'arianisme, c'était encore la barbarie, mais sous une autre forme ; car cette hérésie, niant la divinité de Jésus-Christ, déchirait l'Évangile, ruinait le christianisme dans son essence, et arrêtait l'essor de la nouvelle civilisation.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (2)

C'est ici que se révèle toute la portée politique de la conversion de Clovis. En abjurant l'idolâtrie, il avait abaissé la principale barrière morale qui séparait les vainqueurs des vaincus, et préparé la fusion des deux races en un seul peuple ; au lieu d'un oppresseur et d'un conquérant, les Gaulois ne voyaient plus en lui que le protecteur armé de leurs croyances.

Aussi, d'après le témoignage de saint Grégoire de Tours, les catholiques du Midi désiraient ardemment l'arrivée des Francs, et nos évoques secondaient ce grand mouvement religieux, qui était aussi un grand mouvement politique, puisqu'il tendait à l'unité de la nationalité française. Le siège épiscopal de Tours compte un martyr de cette grande cause : saint Yolusien, suspect à Alaric, fut exilé à Toulouse, où il mourut loin de son troupeau, appelant de tous ses voeux les libérateurs de sa patrie.

Clovis ne faillit point à sa mission. Dès le jour de son baptême, symbole de la France future, il devient le soldat de la Providence et de la civilisation, et commence cette oeuvre des croisades que nous poursuivons encore aujourd'hui. En entendant le récit de la Passion, il s'était écrié : « Ah ! que n'étais-je là avec mes Francs ! » En apprenant les persécutions que les Visigoths infligeaient aux catholiques, il s'écrie : « Je ne puis souffrir que ces ariens possèdent une partie, des Gaules » et aussitôt il appelle les Francs sous les armes et se dirige vers Poitiers, où Alaric faisait sa résidence. Le roi franc ne voulut rien tenter sans la protection de saint Martin. En arrivant en Touraine, quoiqu'il fût en pays ennemi, il  défendit à son armée, par honneur pour le saint, de commettre aucun désordre, aucune exaction dans son diocèse. « Comment pourrions-nous espérer la victoire, disait-il dans ses proclamations, si nous offensons saint Martin ! » Puis il envoie des ambassadeurs offrir de riches présents au tombeau du thaumaturge, et recueillir peut-être quelque présage de victoire. Les députés, en entrant dans la basilique, entendirent chanter ces paroles prophétiques des Psaumes : « Seigneur, vous m'avez revêtu de force pour la guerre ; vous avez renversé ceux qui s'étaient élevés contre moi ; vous avez mis mes ennemis en fuite, et vous avez exterminé ceux qui me haïssaient.»

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (3)

Animé par ce présage, Clovis fondit sur les Visigoths à Vouillé, remporta une victoire éclatante et décisive, et les chassa de presque toute la Gaule. Revenu à Tours, il fit de magnifiques présents au tombeau du saint évêque, et proclama que c'était à sa puissante protection qu'il devait le succès de ses armes. Puis, dans la basilique même, il revêtit la pourpre impériale que lui envoyait l'empereur Anastase, ceignit le diadème, et fut proclamé Consul et Auguste. Enfin, il s'avança triomphalement depuis la basilique de Saint-Martin jusqu'à la cathédrale de Tours, au milieu des acclamations populaires.

Circonstances remarquables ! c'est dans une église de saint Martinique la royauté française reçoit le baptême et se fait sacrer ; c'est sous les auspices de saint Martin qu'elle conquiert la moitié de la Gaule, et fonde l'unité politique du territoire français ; c'est dans la basilique de Saint-Martin, à Tours, qu'elle prend la pourpre et le diadème, et revêt, aux yeux des Gaulois, le caractère de la légitimité.

Il n'y a pas un coeur français, qui, à ces souvenirs, ne déplore la ruine de cette célèbre basilique et la destruction de ce tombeau vénéré. Ce n'étaient pas là seulement des monuments de la piété de nos pères, c'étaient aussi des monuments de notre histoire nationale, et c'est une oeuvre à la fois religieuse et patriotique de recueillir les pierres dispersées du sanctuaire.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (7)

Saint Martin est donc un des fondateurs de la monarchie et de la nationalité françaises. C'est pourquoi tous nos rois, et particulièrement les princes de nos deux premières dynasties, l'on regarde comme leur protecteur le plus puissant. Ils faisaient sur son tombeau leurs serments les plus solennels ; ils s'honoraient du titre d'abbés de Saint-Martin, comme pour lui appartenir à un titre spécial ; avant de commencer aucune guerre, ils venaient pieusement saluer ses ossements sacrés, et lui recommander leur entreprise.

Que dis-je? ils tenaient à posséder avec eux comme un signe visible de sa présence et de sa protection, et ils portaient à la guerre, comme notre étendard national, la chape de saint Martin, c'est-à-dire le voile de soie qui couvrait le tombeau du saint thaumaturge.

 

On l'a dit et souvent répété : il n'en est pas de nos saints comme des héros, des conquérants et des grands hommes du monde. Tout le bruit que font ceux-ci en passant sur la terre, s'arrête d'ordinaire au pied de leur tombeau, et cette tombe demeure le plus souvent inconnue, solitaire.... Au tombeau des saints, au contraire, commence pour eux une gloire plus belle, plus éclatante.... Saint Martin nous en offre, "plus qu'aucun autre, une preuve manifeste : c'est bien de son tombeau qu'on peut dire aussi qu'il a été glorieux : Erit sepulchrum ejus gloriosum.

A peine le saint thaumaturge avait-il cessé de vivre, que l'éclat de nouveaux miracles appelait à son tombeau toutes les populations des Gaules. Bientôt la basilique qui gardait son corps vénéré devint un des sanctuaires les plus célèbres de la chrétienté, et on vit commencer ce fameux pèlerinage de Tours, dont le premier concile d'Orléans en 511, disait déjà : « Le pèlerinage de la Gaule, c'est-à-dire le pèlerinage de saint Martin, ne le cède ni à celui de Rome ni à celui de Jérusalem. »

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (6)

Les premiers Francs venus dans les Gaules furent saisis à leur tour par cette grande mémoire : ils l'honorèrent d'un culte particulier qu'ils transmirent à leurs descendants. On se rappelle que Clovis, allant abattre à Vouillé les Visigoths et l'arianisme, fit respecter par son armée de barbares la basilique et les terres de saint Martin, dont il avait, à son départ, invoqué le secours : « Où serait, disait-il, l'espérance de la victoire, si nous offensions saint Martin? » Et victorieux d'Alaric, il fit don à l'église du cheval qu'il montait à la bataille.

Sainte Clotilde, veuve de ce grand monarque, vint abriter ses derniers jours près du tombeau de saint Martin, dont elle imitait fidèlement la charité. On y vit tour à tour le roi Childéric, Dagobert avec saint Eloi, qui consacra aux reliques du saint la plus belle châsse travaillée par ses mains habiles;  Clotaire Ier et sainte Radegonde ; Ingoberge, veuve de Caribert; Pepin-le-Bref et Charlemagne.

C'est là que Charlemagne venait prendre son étendard. Ce grand prince fit bâtir deux basiliques en l'honneur de saint Martin : l'une en Pannonie, sur le sol où il était né, l'autre à Pavie, où il avait été élevé. Il voulut même que sa femme Luitgarde eût sa sépulture à l'ombre du saint tombeau et près de la basilique aujourd'hui disparue. On voit encore la Tour de Charlemagne, noble souvenir de cette sépulture royale.

Presque tous les rois de la race carlovingienne témoignèrent de leur dévotion à saint Martin par des présents magnifiques. A leur exemple, Hugues le Grand et Hugues Capet, Charles le Simple, et plus tard Charles IV, saint Louis et ses successeurs continuèrent les pèlerinages et les largesses au saint tombeau.

Pendant les invasions normandes, c'était saint Martin qu'on invoquait comme le puissant protecteur de la France. La seule vue de ses reliques frappa un jour de terreur les Normands, qui menaçaient les remparts de Tours, et le roi Raoul, victorieux de ces barbares, vint rendre de solennelles actions de grâces à saint Martin, dont l'appui tutélaire avait assuré son triomphe.

La chape de monseigneur saint Martin était portée dans les combats et gagnait les batailles(1).

Que de grands souvenirs de notre histoire se rattachent à ce tombeau!

C'est là que nos rois venaient jurer leurs serments les plus sacrés et invoquer sur leurs armes la, protection du Ciel ;  là que les chevaliers venaient prendre la croix, à l'exemple de Philippe Auguste et de Richard Coeur de lion. Avec les rois et les guerriers, on vit des papes même venir de la ville des saints apôtres, et des évêques accourir des plus lointaines contrées à cette tombe glorieuse.

La basilique de Saint-Martin n'était pas seulement un vénérable sanctuaire qu'on s'empressait de visiter; elle devenait, comme celle de Saint-Denis, une sépulture royale. Avec les reines Clotilde et Luitgarde, et l'illustre Alcuin, des impératrices et des reines, des fils de France, les comtes d'Anjou et de Touraine, les plus illustres personnages ambitionnaient l'honneur d'avoir leur tombeau près des reliques sacrées de saint Martin.

Alcuin, que nous venons de nommer, forma près de sa basilique une école florissante, qui fut le berceau de toutes les universités de France.

Où trouverait-on dans les annales de l'Eglise une vie de saint dont la mémoire ait été gardée plus fidèlement dans le souvenir des peuples, et dont l'influence et les enseignements aient été plus profonds dans l'existence, les mœurs et les destinées d'une nation?... Disons mieux : il n'est peut-être pas de saint qui ait eu une popularité plus grande -non-seulement dans les Gaules (mais dans le monde chrétien tout entier : en Espagne, en Italie, en Suisse, en Angleterre, sur les bords du Rhin, dans toute l'Allemagne catholique, en Pannonie, en Pologne. Combien d'exemples ne pourrions-nous pas en rapporter !

Avant la bataille d'Hastings, Guillaume le Conquérant fait un vœu à saint Martin et après le triomphe il l'accomplit sur le lieu même, en y bâtissant un monastère.

Déjà, au VIe siècle, en Angleterre, plusieurs basiliques étaient bâties en son honneur, et ce fut dans l'une d'elles que l'illustre envoyé de saint Grégoire le Grand, le moine Augustin, fit sa première prédication.

En Hongrie, les images et les statues de saint Martin sont partout dans les villes, dans les bourgs, dans les villages : c'est dans la cathédrale de saint Martin que les rois de Hongrie se faisaient couronner.

En Pologne, saint Martin était aussi invoqué dans les grands dangers. C'est en son nom que Jean Sobieski animait ses troupes et promettait la victoire, le jour de cette grande bataille contre les Turcs, livrée le 11 novembre 1673, en la fête même de saint Martin, et qui porta sur le trône de Pologne le futur libérateur de Vienne et de la chrétienté. Puisse l'apôtre des Gaules venir encore en aide à cette héroïque nation dans la nouvelle lutte qu'elle soutient aujourd'hui !

1 Monasterium S. Martini de Bello, ou Baccelly, dans le comté de Sussex

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (5)

Saint Martin était aussi l'un des patrons de la vieille Suisse, comme le prouve la belle église de Schwytz, placée aujourd'hui encore sous son invocation. Nous devons croire que les fiers montagnards de ces contrées invoquaient à leur tour l'appui de notre saint à l'heure des périls et que son bras puissant n'est pas resté étranger à leurs glorieuses victoires.

Ainsi en France et partout ont brillé quelques rayons de la gloire de saint Martin. On a vu les regards de tout ce qu'il y avait d'illustre et de puissant sur la terre se tourner vers son tombeau ; tous voulaient avant leur dernière heure y avoir fait leur pieux pèlerinage. « Mais, au-dessous des rois, des princes, de ce qui est grand et illustre dans le monde, il y a le peuple, il y a tout ce , qui, dans le fond de cette vallée de larmes, n'est pas grand aux yeux des hommes et l'est souvent aux regards de Dieu, grand par la foi, par l'amour, par l'humilité des obscures vertus, par la pauvreté , par la souffrance ; tout ce qui pleure ici-bas, tout ce qui sent les peines et les luttes de la vie et a besoin d'une consolation et d'un secours.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (8)

Eh bien! toute cette humanité souffrante et croyante est venue là; les dalles de ce tombeau furent usées pendant des siècles par les pas des générations fidèles qui venaient implorer le crédit de ce grand saint. »

Que de vieilles chapelles, de bourgs, de villages, portent aujourd'hui encore son nom vénéré, son nom béni, invoqué aux temps des calamités publiques, dans les périls imminents! Les églises élevées en l'honneur de saint Martin dans le monde chrétien sont innombrables. On en compte encore sur le sol de la France quatre mille environ qui lui sont dédiées.

 Mais vainement y cherche-t-on l'église qui renfermait ses reliques, devenue l'un des plus célèbres de la chrétienté. « Elle était, après l'église du Saint-Sépulcre à Jérusalem, de Saint-Pierre à Rome, de Saint-Jacques à Compostelle, la quatrième de ces grandes stations vers lesquelles il s'était établi un courant non interrompu de pieux pèlerins, venant de tous les points du monde apporter à notre grand évêque l'hommage de la vénération des peuples !. »

Mais, grâces à Dieu, redisons-le en terminant, les temps approchent où le pieux pèlerin ne cherchera, plus en vain sur les bords de la Loire le tombeau vénéré de l'ange de ces contrées et du grand apôtre des Gaules.

Une nouvelle basilique, plus belle encore que la première, s'offrira bientôt sur ces rives à ses regards charmés. Alors les pèlerinages reprendront leur cours trop longtemps interrompu. Alors sur ces rives hospitalières on verra jaillir de nouveau une source féconde de bienfaits pour la France et le monde.

Pèlerinages et Culte populaire de saint Martin de Tours, apôtre des Gaules (9)

 

0 Dieu de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis, daignez hâter l'aurore de ce jour fortuné ! Et vous, illustre saint, hâtez aussi par vos prières dans les cieux, la venue de ces, temps meilleurs qui renoueront la chaîne de vos merveilles de charité. Daignez, en attendant, agréer avec bonté ces pages écrites en votre honneur, et permettez qu'elles servent à leur tour à populariser votre nom avec vos souvenirs !...

 

 

On sait que du mot cappa, chape, est venu par extension celui de chapelle.

Saint Martin,... Par Maxime de Montrond,...

 

Figure historique de saint Martin, étude sur son rôle et sur son influence ; par M. l'abbé C. Chevalier,..

 

 

LES FOUILLES EXÉCUTÉES DANS L'ABSIDE DE L'ANCIENNE BASILIQUE DE SAINT-MARTIN DE TOURS, EN 1860 ET 1861.

(Lue au Congrès des sociétés savantes tenu à Paris les 21, 22, 23 novembre 1861).

 

La basilique de Saint-Martin était le plus célèbre de tous les sanctuaires de l'ancienne France; nos rois tenaient à honneur d'en être les premiers chanoines, et son nom se trouve glorieusement mêlé pendant de longs siècles aux plus grands événements de notre histoire.

Cependant, il y a quelques mois à peine, on ne connaissait de cette insigne collégiale que deux magnifiques tours encore debout, comme pour protester contre les dévastations qu'elles avaient vues s'accomplir à leurs pieds.

Tout l'espace autrefois couvert par le pieux édifice avait disparu sous les voies publiques et les constructions particulières; quelques notions confuses de la forme générale du monument étaient seules restées dans la mémoire des hommes de notre siècle, et l'on ignorait même l'emplacement où s'élevait naguère le tombeau de saint Martin, objet du respect et des hommages de toute la chrétienté.

Telle était la situation des choses, lorsqu'une heureuse circonstance amena la découverte dans les archives d'Indre-et-Loire d'un plan par terre de la basilique coté avec soin et dressé en 1801 au moment de la vente du terrain et des constructions qui subsistaient encore.

Aussitôt, un riche et généreux habitant de Tours, acheta de ses deniers quelques-unes des maisons bâties dans l'abside, et commença des fouilles qui, sans avoir dans sa pensée l'archéologie pour but principal, me paraissent cependant, par les résultats obtenus, dignes de toute l'attention, des archéologues.

On a mis à nu, sur une étendue de plus de cent mètres carrés, l'énorme massif qui servait de fondation générale à l'abside de la basilique, les bases de trois chapelles de cette même abside ont été constatées, ainsi que celle de plusieurs piliers; toutes ces différentes parties de l'édifice, par leur forme et leurs dispositions respectives, sont en parfait accord avec le plan trouvé dans les archives départementales, dont elles viennent ainsi confirmer l'exactitude.

Comme le massif n'existe pas au centre de l'abside, qui n'avait à supporter ni murailles, ni colonnes, il forme là une sorte de rondpoint placé dans l'axe de la basilique.

C'est dans cet axe même qu'à été découvert un petit caveau comblé de débris et sur lequel nous reviendrons tout à l'heure.

Dans l'épaisseur du massif, on a reconnu deux évidements circulaires s'enfonçant à un mètre et demi environ au-dessous du sol de la dernière reconstruction de l'église et offrant la forme de petites chapelles. Les bases d'une autre chapelle apparaissent également à l'angle sud-est du transept, mais celle-ci est en dehors du massif qui vient s'appuyer sur elle (1 ).

Ce sont là les principales découvertes opérées jusqu'à ce jour dans le sous-sol de Saint-Martin.

Si maintenant l'on veut rechercher, en s'aidant des lumières de l'histoire et de l'archéologie, à quelle époque peuvent appartenu ces différentes portions de monument, on est forcé de reconnaître tout d'abord qu'il n'existe aucune trace de la basilique construite par saint Perpet sur le tombeau de saint-Martin, et célébrée par Grégoire de Tours comme l'une des merveilles de son temps.

Les caractères architectoniques du Ve et du VIe siècle font ici complètement défaut, et il est impossible d'assigner, aux parties même les plus anciennes, une époque antérieure au Xe siècle.

Il faut donc descendre plus près de nous.

L'histoire de Touraine nous apprend que, peu après l'an mil, Hervé, trésorier de la collégiale et l'un des plus grands personnages de la province , fit entièrement reconstruire à ses frais l'église de Saint-Martin, dont la dédicace eut heu en 1014.

Or, les trois petites chapelles, bien évidemment antérieures au massif, offrent par leurs dimensions, leur appareil et l'épaisseur de leurs joints, tous les caractères du XIe siècle. De plus la disposition qu'elles affectent entre elles permet de reconstituer le plan de l'abside de l'édifice auquel elles appartenaient, et ce plan présente, non-seulement la même forme, mais presque les mêmes dimensions que l'église de Saint-Saturnin de Toulouse, encore aujourd'hui debout, et construite dans le siècle où vécut Hervé, il est donc permis de voir dans ces trois chapelles des restes de la basilique élevée par le trésorier de Saint-Martin, restes pieusement conservés lors d'une réédification postérieure.

Quant au massif lui-même, bien que les bases de colonnes auxquelles il donne naissance indiquent le commencement du XIIIe siècle, j'incline cependant à lui assigner une époque un peu plus reculée.

Une telle oeuvre n'a pu être exécutée que lors d'une reconstruction générale de l'abside, fait important qu'on doit placer vers 1175.

 C'est en cette année, en effet, selon l'auteur de l'Éloge de la Touraine, le moine Jean de Marmoutier, qui écrivait dans le dernier quart du XIIe siècle, que les nobles et les principaux bourgeois commencèrent à rebâtir l'église de Saint-Martin, ruinée par le feu et tombant de vétusté.

Ses paroles sont formelles et ont toute la valeur d'un témoignage contemporain. Les autres chroniques de Touraine ne nous offrent, après cette époque, aucun exemple d'une réédification totale; et l'incendie de 1202, loin d'avoir été général, comme on l'a cru souvent, ne fut que partiel, puisque la grande chronique de Tours, écrite au XIIIe siècle, et très-probablement par un chanoine de Saint-Martin, nous montre, pendant la catastrophe même, le clergé et le peuple réfugiés dans l'église et y cherchant un abri contre les flammes.

Ce furent donc les architectes du XIIe siècle qui, éclairés par les désastres antérieurs, comprirent qu'il fallait combattre énergiquement l'extrême mobilité du sol sur lequel on était appelé à bâtir, et jetèrent ces énormes fondations d'une profondeur encore inconnue, mais d'une largeur qui varie entre 19 et 23 mètres.

Quant aux colonnes et aux autres membres de l'édifice appartenant au XIIIe siècle, leur présence s'explique par les réparations faites à la suite de l'incendie considérable, quoique partiel, de 1202.

On peut penser aussi que les travaux commencés en 1175 furent fréquemment interrompus par les luttes survenues entre Philippe-Auguste et les rois d'Angleterre, Richard Coeur de Lion et Jean Sans Terre, luttes pendant lesquelles la Martinopole fut prise et reprise.

L'âge des grosses parties de l'oeuvre étant ainsi fixé, autant du moins que le permet l'état d'avancement des travaux, il ne reste plus à déterminer que celui du petit caveau dont il a été question au commencement de cette notice.

Il serait sans doute fort à désirer que cet aedicule fût le tombeau même dans lequel saint Perpet déposa les reliques de saint Martin, lors de la construction de la basilique du Ve siècle.

Mais la nature des pierres employées, dont l'usage ne remonte pas en Touraine au-delà du XIe siècle; la forme de l'appareil, dans lequel il est impossible d'apercevoir un seul des caractères architectoniques du Ve siècle; enfin les différences essentielles qui frappent tout d'abord entre la petite construction récemment retrouvée et la description du tombeau bâti par saint Perpet en l'honneur de saint Martin que nous devons à Heberne, abbé de Marmoutier et archevêque de Tours, à la caveau dans l'axe même de l'église et derrière le maître-autel, fin du IXe siècle (2) ; tout nous oblige à refuser à ce caveau une antiquité aussi reculée, tout nous force à n'y voir qu'un ouvrage relativement moderne et sans aucun doute postérieur à la destruction complète du sépulcre de saint Martin par les protestants en 1562, destruction attestée par des textes irrécusables (3).

Que, si l'on considère cependant la place qu'occupe ce justement où l'on sait qu'était le sépulcre détruit par les protestants et rétabli après leurs dévastations, si l'on tient compte de la façon dont les chapelles de l'église du XIe siècle convergent vers ce point capital, absolument comme celles du XIIe et du XIIIe, ou ne pourra manquer de reconnaître que c'est bien là, sinon le tombeau primitif, du moins l'emplacement où reposèrent, pendant de longs siècles, les reliques du patron des Gaules.

CH. GRANDMAISON , Archiviste d'Indre-et-Loire,

 

 

 

 

 

 8 Novembre 397: Mort de Saint Martin de Tours à Candes, les Tourangeaux dérobent le corps aux Poitevins <==.... ....==> Les chemins de Saint-Martin – Via Sancti Martini

 

 

 

 


 

(1) Depuis que ce mémoire a été écrit, on a constaté dans le massif les restes d'une quatrième chapelle et sans doute ce ne sera pas la dernière.

(2) Mahillon, Baluze et dom Rivet attribuent à Heberne le Livre des miracles de saint Martin au commencement duquel se trouve une description de la châsse et du tombeau de notre grand évêque, et nous croyons qu'on peut sans crainte suivre le sentiment de tels hommes. Ce texte, par son ancienneté et son importance, nous semble d'ailleurs devoir être mis sous les yeux du lecteur.

« Absida siquidem ubi corpus beati Martini continebatur, quam etiam detulerant ab Autissiodoro, fusilis erat, ex auro et argento quod dicitur electrum, spissitudine duorum digitorum, auctoremque operis beatum Perpetuum, insculptor designarat suffragio litterarum et versuum, nec erat rima, foramen, fenestra, vel ostium in ea.

Hanc autem fecerat beatus Perpetuum, quando elevavit corpus ejus a terra, involutum prius in purpura rubea, et diligenter consutum, sicque in liane absidam posuit.

 Fecit a etiam altare quadratum et concavum ex lapidibus tabulatis, quod magna tabula cooperuit et cum aliis caementavit.

 Fecit etiam intus, aliam, absidam ex aurichalco, cupro et stanno fusilem, habens palmam in spissitudine cum ostio fusili quod gumphiis et virtevellis et quatuor clavibus firmabatur.

Fecit denique fredam desuper auro optimo et lapidibus pretiosis ornatam,  tanto sacerdote condignam. »

(Col. 1390 de l'édition de Grégoire de Tours, par D. RUINART. Paris 1699).

On voit qu'il n'est point ici question de caveau, mais bien d'une simple confession placée au-dessous du sol et immédiatement sous la table de l'autel.

(3) Le plus décisif de ces textes est une inscription rapportée par Monsnier, savant chanoine de Saint-Martin, tom. II, p. 381 de son histoire manuscrite de la collégiale, et qui se lisait encore à la fin du XVIIe siècle, sur la première colonne du petit autel de Saint-Martin, où elle avait été placée par ordre du chapitre, de mandato capituli; elle portait que les Huguenots avaient en 1562, détruit entièrement a fundamento, le sépulcre, sepulcrum. de saint Martin.

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