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PHystorique- Les Portes du Temps
15 mars 2019

Histoire du costume et de l'ameublement au temps des Gaulois et Romains

Histoire du costume et de l'ameublement au temps des Gaulois

Tout ce qui se rattache aux temps primitifs de la Gaule est couvert d'une obscurité que la science la plus attentive, la plus pénétrante elle-même a été jusqu'ici impuissante à dissiper complètement. C'est en perdant leur liberté, en changeant pour ainsi dire de patrie, que les Gaulois trouvent pour la première fois un historien dans leur vainqueur, mais c'est l'historien de la défaite, non de la civilisation; et à côté de César , qui embrasse seulement une période de dix ans, on ne peut recueillir que des indications très-succinctes dans les géographes, les historiens ou les polygraphes de l'antiquité, tels que Strabon, Suidas, Tite-Live, Diodore de Sicile, Tacite, Pline, Varron, etc.; les livres modernes à leur tour ne doivent, à quelques rares exceptions près, être consultés qu'avec une extrême réserve, car l'amour-propre national a souvent égaré l'érudition, et l'on y trouve plus de fantaisie que de vérité. Quand on veut connaître la vie, les mœurs, la langue, l'industrie, l'aspect, le costume de ces races fortes et vaillantes qui nous ont précédés sur cette terre de France quand elle portait un autre nom, il faut se résigner à laisser bien des questions sans réponse, sous peine de ne rencontrer que des hypothèses ou des mensonges. Jaloux avant tout de l'exactitude, nous nous attacherons donc, en prenant ici l'histoire du costume national à son origine, à donner des faits précis, plutôt que des faits nombreux mais contestables.

Dans les temps antérieurs à la conquête romaine, l'histoire du costume gaulois peut se diviser en deux périodes distinctes, l'une que nous appellerons la période sauvage, l'autre que nous appellerons la période de civilisation relative. Dans la première, les Gaulois, comme tous les peuples au berceau, portent pour tout vêtement des peaux de bête qu'ils attachent sur leurs épaules avec des épines. Ils se parent la tête de plumes d'oiseau, de feuilles, d'écorces d'arbres. Ils dessinent sur leur corps, par un procédé de tatouage qui n'est point connu, des figures bizarres qu'ils teignent en bleu à l'aide du pastel. Sauvages comme les hommes, mais toujours soigneuses de plaire, les femmes se tatouent comme eux et portent des coquillages pour pendants d'oreilles (1).

L'usage des métaux est encore inconnu. Le Gaulois a pour armes des haches de pierre, emmanchées dans des cornes de cerf, pour couteaux des silex taillés dans la forme de nos couteaux modernes, polis et tranchants comme eux, pour lances ou pour javelots des tibias humains effilés et durcis au feu, pour coins des cailloux triangulaires (2) ; mais dans cette imperfection même la parure n'est point oubliée. Des silex de forme annulaire soigneusement polis, percés à leur centre d'un trou rond et régulier, servent, à défaut d'or et de pierreries, à former des colliers et des bracelets.

Cet état cependant fut bientôt adouci par des causes diverses. En même temps que d'aventureuses expéditions mettaient les Gaulois en contact avec l'Italie, avec la Grèce, avec l'Asie ; en même temps qu'ils s'initiaient par la guerre aux civilisations étrangères, l'industrie et les arts venaient à leur tour, avec les colonies grecques, les chercher sur leur propre sol, s'implanter chez eux comme une importation lointaine et modifier leurs mœurs, leur langue et leur costume.

Au moment où la civilisation commence à naître dans les Gaules, l'histoire commence à parler, et elle nous apprend que les nombreuses tribus qui occupaient cette contrée se rapportaient à deux grandes familles, la famille ibérienne, qui comprenait les Aquitains et les Ligures, et la famille gauloise, composée de Galls ou Celtes et de Kimris. Séparées par des haines et des inimitiés profondes, ces deux familles l'étaient aussi par l'aspect et les costumes, et, chose remarquable, en ce qu'elle est tout à fait exceptionnelle, c'est aussi la différence du costume qui fait donner leurs noms aux trois grandes subdivisions de la Gaule : Gallia braccata à la Gaule qui portait les braies ; Gallia togata à celle qui portait la toge ; Gallia comata à celle qui portait la chevelure épaisse et longue.

 

(1) Voir Collection des meilleures dissertations, mémoires, etc., relatifs à l'histoire de France, par MM. Leber, Salgues et Cohen. Paris, 4826, in-8°, tom. 40, p. 404.

(2) Il existe, à Abbeville, une collection peut-être unique de ces objets, réunie par les soins de M. Boucher de Perthes, qui a publié à ce sujet un livre curieux : Antiquités celtiques et antédiluviennes.

— Mémoires sur l'industrie primitive et les arts à leur origine. Paris, Dumoulin, 4847, in-8°.

 

La distinction entre les Galls et les Ibères, entre la Gaule qui porte les braies et celle qui porte la chevelure longue n'est jamais nettement établie dans les historiens anciens. Ils se servent du mot générique de Gaulois pour peindre et décrire les mœurs ou l'aspect des premiers habitants de la France. Malgré cette confusion, il faut cependant s'en rapporter à leur témoignage, et, en suivant ce témoignage, voilà ce que l'on peut dire du type et du costume gaulois considéré sous un aspect général.

Le Gaulois était robuste et de haute stature ; il avait le teint blanc, les yeux bleus, les cheveux blonds ou châtain-clair. Guerrier par instinct, chasseur par nécessité, il devait avant tout se maintenir dans un état satisfaisant de vigueur musculaire, et il évitait avec soin tout ce qui pouvait développer l'obésité. Quelques auteurs ont même été jusqu'à dire que ceux qui devenaient trop gras subissaient une amende, laquelle augmentait ou diminuait chaque année, selon que l'individu augmentait ou diminuait lui-même.

« Les Gaulois, dit Virgile en parlant de la surprise du Capitole, les Gaulois ont une chevelure couleur d'or; leurs habits sont chargés d'or; ils brillent sous leurs saies bariolées, et leurs cous blancs comme le lait sont entourés d'or (1). »

« Les Gaulois, dit à son tour Strabon, laissent croître leurs cheveux; ils portent des saies. Ils couvrent leurs extrémités inférieures de hauts-de-chausses, (littéralement, ils font usage de hauts-de-chausses tendus autour) ; leurs tuniques ne ressemblent point aux nôtres, elles sont fendues, descendent jusqu'aux fesses et ont des manches.

La laine des moutons de la Gaule est rude, mais longue; on en fabrique cette espèce de saie à poils que les Romains appellent lennœ. Tous ceux qui sont revêtus de quelque dignité portent des ornements d'or, tels que des colliers, des bracelets et des habits de couleur travaillés en or. La plupart des Gaulois conservent encore aujourd'hui l'usage de coucher à terre et de prendre leurs repas assis sur de la paille (2). Ils habitent des maisons vastes, construites avec des planches et des claies, et terminées par un toit cintré et couvert d'un chaume épais (3). »

(1) Aurea caesaries ollis, atque aurea vestis; Virgatis lucent sagulis, tum lactica colla Auro innectuntur. (Ænéide, liv. VIII.  655 et suiv.)

(2) Diodore de Sicile offre sur ce point une variante qu'il est bon de consigner ici. Il ne parle pas de paille, mais de peaux de loup ou de chien.

(3) Strabon, traduit du grec en français. Paris, 1809, in-4°, tome II, liv. iv; p. 62, 65, 70.

Agathias, Ammien Marcellin, Diodore de Sicile, en un mot les historiens qui ont parlé des Gaulois ne sont guère plus explicites dans la description générale qu'ils nous en ont laissée, mais du moins ils ont le mérite de s'accorder sur les principaux détails.

Si maintenant du type général nous passons aux types particuliers, nous trouvons, dans l'angle sud-ouest de la Gaule formée par les Pyrénées-Orientales et l'Océan, les Ibères, ou Aquitains de souche espagnole, couverts d'un vêtement court fabriqué de laine grossière et à long poil (1), et portant des bottes tissues de cheveux, sombres sous ce costume sévère, mais remarquables par une grande propreté, qui se retrouve encore aujourd'hui parmi les femmes sur les bords du Gave et de l'Adour.

Le bouclier léger dont s'armaient les Ibères les distinguait du reste des Gaulois, qui portaient des boucliers longs. Les hommes de cette race étaient braves, mais légers et frivoles dans leurs goûts. Les femmes, dont le type était différent des femmes gauloises, avaient les cheveux d'un noir luisant, les yeux noirs, et déjà du temps de Strabon elles portaient autour de la tête un voile noir comme leurs cheveux et leurs yeux. C'est là, dit M. Ampère, l'origine de la mantilla, et il ajoute avec raison : « Les traditions de la coquetterie sont plus durables qu'on ne le croirait (2). »

Dans toute la partie voisine de l'Italie, nous trouvons la toge et le costume romain, même parmi la population indigène; nous sommes là dans la Gallia togata. A Marseille et dans les colonies grecques de la région du midi, c'est le costume hellénique qui règne sans partage. « Les Massiliens, dit Tite-Live, ont conservé, purs de tout mélange et de toute imitation de voisinage avec les habitants de la Gaule, non seulement les inflexions de leur langue, leur accent, leur type et leur costume, mais-leurs mœurs, leurs lois, leurs caractères (3). » Ici nous ne sommes point pour ainsi dire en Gaule, mais dans la Grèce.

Sur tout le reste du territoire, depuis Lyon jusqu'en Belgique, nous trouvons les deux grandes nations gauloises, Celtes et Kimris. C'est ici que se montre le costume vraiment national. Ce costume est simple et commode. Il se compose de tissus de lin, d'étoffes de laine, de fourrures. La principale pièce, le pantalon, était large, flottant et à plis chez les races kimriques, étroit et collant chez les peuples d'origine celtique.

(1) Paulini epist. m. — Bigerricam vestem brevem atque hispidam. Sulp. Severus, dial. n, c. 1. — Bigera vestis vellata. cuncti erant tersi et mundi.

(2) J.-J. Ampère, Histoire littéraire de la France avant le douzième siècle, T. Ier, pag. 7-9.

(3) Tite-Live, liv. XXXVII, ch. 54.

 

Ce pantalon se nommait bracca ou braga, d'où est venu le mot français braies. Il descendait primitivement jusqu'à la cheville. Il se raccourcit ensuite et s'arrêta aux jarrets, ce qui a fait penser à quelques archéologues qu'il a pu fournir le modèle du vêtement connu sous le nom de culotte.

Une espèce de gilet serré s'adaptait à la partie supérieure du corps et descendait jusqu'à mi-cuisse. Le tout était recouvert d'une saie rayée, sagum virgatum, sagula.

Cette saie, dont la forme s'est conservée dans la blouse de nos paysans, était un manteau avec ou sans manches, attaché sous le menton par une agrafe. On peut croire, d'après un passage de Varron, que la saie était faite de quatre pièces carrées, ou bien encore qu'elle était double par derrière comme par-devant (1). Il en est parlé dans la plupart des écrivains anciens qui se sont occupés du costume gaulois.

Quand les Nerviens, s'inspirant de la tactique romaine, commencèrent à élever des fortifications de campagne, ils se servirent de leurs mains et de leurs saies pour transporter les remblais des terrassements. Malgré l'imperfection d'un tel procédé de travail, ils creusèrent en trois heures un fossé de quinze pieds, et ils élevèrent en outre un retranchement de onze pieds d'escarpe; travail prodigieux, qui n'avait pas moins de quinze mille pas de circuit, ce qui suppose, outre une activité extraordinaire, une multitude vraiment surprenante de travailleurs (2).

« Les Belges, dit Strabon portent la saie. » Chez les Belges et leurs voisins, chez les Atrébates, elle était d'un usage tout à fait populaire, et Trébellius Pollion nous apprend que Gallien, menacé de perdre cette partie de la Gaule, se mit à rire en disant : « Sans les saies des Atrébates, la république n'est-elle donc plus en sûreté (3)? »

Ce vêtement avait tant de prix pour ceux qui en étaient habillés que, dans les assemblées publiques, les surveillants, qui faisaient les fonctions de nos huissiers, devaient, afin de rappeler les perturbateurs à l'ordre, couper un morceau de leur saie, assez grand pour qu'il fût impossible de s'en servir plus longtemps. Strabon, qui raconte le fait, ne dit pas si cette punition maintenait le calme dans les réunions politiques de la Gaule; mais cette bizarre anecdote, curieuse pour l'histoire du costume, ne l'est pas moins pour l'histoire du caractère national. La saie a disparu depuis dix-huit siècles de nos assemblées publiques; la turbulence est restée la même.

 (1) Sagum gallicum nomen est; dictum autem sagunTquadrum, eô quod apud eos primum quadratum vel quadruplex esset. (VARRO, lib. xix, cap. 24.)

(2) Caesar, De bello gallico, lib. v, ch. 52.

(3) Non sine atrebaticis sagis tula respublica est

Le costume gaulois, réduit à ses parties principales, se composait donc, pour les hommes, de quatre objets : les braies, le gilet serré ou tunique, la saie et le  manteau à capuchon, connu sous le nom de bardocucullus.

 Ce manteau - coiffure, très répandu dans la Saintonge au temps de Martial, comme semble l'indiquer ce vers :

Gallia santonico vestit te bardocucullo (1),

la Gaule te revêt du bardocuculle de la Saintonge ; ce manteau, disons-nous, fut adopté par les Romains. Il s'est conservé de nos jours dans le costume des habitants du Béarn et des Landes. Il est devenu, dans le moyen âge, le capuchon des moines, le chaperon du bourgeois, et aujourd'hui encore nous le retrouvons dans la cape de nos cabans et les dominos de nos bals masqués.

A côté des vêtements que nous venons de décrire, il en est encore quelques autres qui, bien que d'un usage moins général, paraissent cependant avoir eu une certaine importance. Telles sont, par exemple, les chlamydes artésiennes dont il est parlé dans Suidas, les courtes vestes à manches nommées cerampelines, qui se fabriquaient chez les Atrébates. Ces vestes, ouvertes par-devant, étaient teintes en rouge. Tel est aussi le petit manteau court, que les riches ornaient magnifiquement, et la caracalle, caracalla, espèce de simarre qui descendait jusqu'aux talons, et qu'on portait élément comme habit civil et comme habit militaire.

La chaussure des Gaulois est moins connue que leur costume. Il parait cependant que les plus pauvres marchaient pieds nus, tandis que les riches portaient des semelles, de bois ou de liège, attachées à la jambe avec des courroies. Schedius prétend qu'elles étaient de forme pentagone: mais rien de certain ne justifie cette assertion. On sait seulement qu'elles se nommaient soleœ, et l'on peut croire que cette lointaine appellation s'est conservée dans le mot allemand solen, qui signifie encore semelle, et dans le mot picard solers, chaussure. Quelques écrivains donnent aussi aux Gaulois des chaussures en peau de blaireau, mais on ne sait rien de précis à cet égard.

L'habillement des femmes gauloises, plus simple que celui des hommes, se composait ordinairement d'une tunique large et plissée, avec ou sans manches, et d'une espèce de tablier attaché sur les hanches. Cette tunique, qui descendait jusqu'aux pieds, découvrait le haut de la poitrine, et la mode voulait que, pour les femmes élégantes, elle fût rouge ou bleue. Dans quelques tribus, on portait des poches ou sacs de cuir nommés bulgœ, qui sont encore en usage dans quelques villages du Languedoc, où on les nomme bouls ou boulgetes.

(1) Lib. xiv, epigr. il8. — Le même poëte dit encore ailleurs: Sic interpositus vitio contaminat uncto Urbica lingonicus Tyrianthina bardocucullus. (MARTIAL, liv. l, épigr. 54.)

 

Les femmes riches ajoutaient à la tunique un manteau de lin de couleurs variées qui s'agrafait sur les épaules. Quelquefois aussi ce manteau, ouvert sur le devant, était assujetti par une laçure ou des courroies fixées par des boutons. Les coiffures des femmes, celles du moins dont on peut parler avec quelque certitude, sont de deux espèces. L'une se compose d'une coiffe carrée fixée sur les cheveux, qui sont séparés sur le front et rattachés par derrière; l'autre consiste en un voile qui ne cache point le visage, mais seulement une partie du front, et qui, ramené sur le derrière de la tête, revient de là couvrir les épaules et le sein.

Hommes ou femmes, les Gaulois étaient tellement attachés à leur costume national, que les bandes qui se répandirent sur la Grèce, sur la Thrace et sur l'Asie, gardèrent dans ces contrées lointaines, avec leur âpreté native, la sauvagerie do leur aspect. Mêlés en Asie à la race la plus douce du genre humain, ils restèrent à peu près ce qu'ils étaient dans la Gaule, c'est Tite-Live qui nous l'apprend; ils conservèrent leur fougue guerrière, leur mobilité et les cheveux rouges (1).

Pendant tout le temps où la Gaule fut indépendante, les costumes dont nous venons de parler, ceux des hommes comme ceux des femmes, paraissent avoir subi peu de modifications. Ce fait peut étonner chez un peuple mobile et ami de nouveautés comme le peuple gaulois; mais il s'explique, nous le pensons, par l'imperfection des arts technologiques. Il faut, en effet, pour faire des étoffes nouvelles, inventer de nouveaux métiers, de nouveaux instruments, et il est évident que, quand les arts sont stationnaires, les modes doivent l'être aussi. Elles semblent, en effet, l'avoir été longtemps dans les Gaules; mais il faut ajouter que, tout en restant les mêmes dans leur type général, elles variaient cependant beaucoup suivant les diverses castes.

Les druides, qui tenaient le premier rang, portaient sinon habituellement, du moins dans les cérémonies religieuses, une tunique longue à fond blanc ornée de bandes de pourpre ou de broderies d'or, et, par-dessus la tunique, un grand manteau qui s'ouvrait par-devant. Ce manteau, de lin très-fin, était d'une blancheur éblouissante (2). Ils s'en paraient pour cueillir le gui sacré, la selage et le samohs, que d'autres druides recevaient sur un linge blanc qui n'avait jamais servi, in mappa nova, dit Pline.

 

(1) Promissae et rutilatae comoe. TITE-LIVE, liv. 28, ch. 47.

(2) Canditlà veste cultus. Pline, liv, xvi, ch. 44 ; liv. XXIV, ch. 11.—Alex. Lenoir, Musée des monuments français. Paris, 1800, in-8°, tom. I, p. 11 8.

 

Les druides portaient ordinairement la barbe longue; ils étaient coiffés d'un bandeau qui leur ceignait la tête, et quelquefois d'une couronne de chêne, comme on le voit sur les monuments trouvés à Dijon.

Les nobles, outre les ornements ordinaires, fleurs, disques, figures de toute espèce qui ornaient la saie, à joutaient à cet habit des broderies d'or et d'argent (1).

Les pauvres, ceux qui appartenaient à ces classes déshéritées qu'on retrouve dans la barbarie comme dans la civilisation, remplaçaient ces saies par des peaux de bête fauve ou de mouton, ou par une couverture de laine épaisse, mais cependant moelleuse, appelée, dans les dialectes gallo-kimriques, linn ou lenn (2l).

Les divers vêtements dont nous venons de parler étaient en général le produit de l'industrie indigène. Les toiles et les étoffes en fil les plus estimées étaient fabriquées par les Cardukes (peuple du Quercy), établis sur les bords du Lot, qui se livraient en grand à la culture du lin. Les étoffes de laine étaient travaillées avec habileté par les Atrébates, qui vendaient des cérampolines et des lenn.

Ils employaient de préférence, pour cette dernière fabrication les toisons longues. Les laines gauloises jouissaient d'une certaine réputation; on entretient, dit Strabon, même dans les parties les plus septentrionales, des troupeaux de moutons qui donnent une assez belle laine par le soin qu'on a de couvrir ces moutons avec des peaux. Varron nous apprend aussi qu'on pouvait, quand on n'avait point une habitude suffisante, confondre à première vue les laines gauloises avec celles de l'Apulie, mais que les connaisseurs payaient ces dernières un prix plus élevé, parce qu'elles étaient d'un meilleur usage (3).

Comme tisserands soit de fil, soit de laines, les Gaulois avaient donc une certaine habileté. Il en était de même pour l'art de brocher les étoffes et de les teindre. Ils avaient trouvé le moyen de contrefaire avec le suc de certaines herbes les couleurs les plus précieuses, et particulièrement la pourpre de Tyr.

Mais, par malheur, ces couleurs étaient faux teint, et on ne pouvait laver le vêtement sans en altérer l'éclat (4). Cette expérience dans l'art de la teinturerie, tout imparfaite qu'elle fut, était d'autant plus précieuse dans la Gaule, que les habitants de cette contrée, Celtes et Kimris, avaient une sorte de passion pour les vêtements éclatants et bariolés, et surtout pour le rouge.

(1) Auro virgala vestis. Silius Italicus, liv. iv, v. 152.

(2) Linnae, saga quadra et mollia sunt : de quibus Plautus : Linnae cooperta est textrino Gallia. VARRON, liv. xix,.v. 23.

(3) Lana gallicana et apula videtur imperito similis propter speciem, cum peritus apulam emat pluris, quod in usu firmior sit. Id., liv. vin.

(i) Mémoires de l'Académie des inscriptions. Nouvelle série, tom. v, p. 122.

Histoire du costume et de l'ameublement au temps des Gaulois 3

 

Ainsi que tous les peuples à demi sauvages, les Gaulois unissaient à ce goût pour les couleurs éclatantes un goût non moins vif pour les bijoux et tous les accessoires qui peuvent rehausser le costume. Ils portaient sur le haut de la poitrine des plaques de métal décorées de ciselures, de guillochages, des bracelets aux bras et aux poignets, des colliers d'or massif, des anneaux d'or aux doigts du milieu, des ceintures massives incrustées, guillochées ou émaillées; car il est aujourd'hui hors de doute que les Gaulois connaissaient l'émail.

Philostrate (1) dit en termes précis que les Barbares qui habitent près de l'Océan appliquent sur de l'airain chauffé des couleurs qui s'unissent au métal, et que ces couleurs, en se durcissant comme de la pierre, gardent les dessins qu'on y a tracés. Pline parle dans le même sens (2), et les assertions de ces deux écrivains ont été, dans ces derniers temps, confirmées par la découverte d'émaux gaulois à Marsal en 1838, à Laval en 1840.

Le collier, nommé torques, était plus particulièrement un ornement militaire. Les guerriers gaulois paraissent y avoir attaché une grande importance, et c'est en raison de cette importance même que leurs ennemis, quand ils parvenaient à les vaincre, s'emparaient du collier pour s'en faire un trophée, comme le prouve l'histoire de Manlius Torquatus.

Les bracelets qui se portaient aux poignets et autour des bras servaient plus particulièrement à distinguer les nobles et les chefs militaires. Polybe, parlant d'une armée gauloise en ordre de bataille, dit que le premier rang était formé d'hommes ornés de colliers et de bracelets, c'est-à-dire de l'élite de la nation, qui réclamait parmi ses privilèges l'honneur de soutenir le premier choc ou de porter les premiers coups. « C'est peut-être pour cette raison, dit Pelloutier, que Tite-Live, en parlant de quelque victoire remportée par les Romains, spécifie ordinairement le nombre des colliers et des bracelets gagnés sur l'ennemi pour juger du nombre des officiers qu'il avait perdus (3). »

Les Gaulois étendaient à leurs chevaux eux-mêmes ce luxe d'ornementation. Les ouvriers d'Alesia (4) incorporaient l'argent au cuivre pour orner les mors et les harnais, et les cavaliers gaulois, dans les grandes solennités guerrières, suspendaient au cou de leur monture les têtes des ennemis qu'ils avaient tués, après avoir desséché ces têtes et les avoir frottées d'huile de cèdre.

 (1) Lib. i, c. 28.

(2) Lib. xxxiv, c. 17, 55, 48.

(3) Pelloulier, Histoire des Celtes, 1771, in-4°, tom. i, p. 177-178.

(4) Les vestiges de cette ville gauloise existent encore près de Flavigny, en Bourgogne.

 

D'où venait donc cet or que nos sauvages aïeux prodiguaient ainsi dans leur parure? La guerre et le pillage dans de lointaines expéditions, la rançon de Rome, les dépouilles de l'Italie, l'avaient fourni d'abord. Plus tard, ils le tirèrent des entrailles mêmes de leur patrie, et surtout du pays des Trabelli, c'est-à-dire de cette partie de la Gaule qui longeait les côtes de l'Océan, depuis les Pyrénées jusqu'au bassin d'Arcachon. Il était là, abondant, facile à trouver, en morceaux, presque à la surface du sol, ou disséminé en paillettes étincelantes dans le lit des fleuves (1).

Avides de tout ce qui brille et flatte les yeux par l'éclat, les Gaulois devaient aussi rechercher les pierres précieuses pour en rehausser l'or lui-même. De ce côté encore, ils pouvaient trouver chez eux ou sur les rivages des mers qui baignaient leur pays de quoi satisfaire leurs goûts. « En effet, dit M. Amédée Thierry, la côte des îles appelées aujourd'hui îles d'Hyères fournissait le beau corail, et le continent ce grenat brillant et précieux qu'on nomme escarboucle. Les escarboucles gauloises furent tellement recherchées dans tout l'Orient, où les Massaliotes en faisaient le commerce, que du temps d'Alexandre les moindres s'y vendaient jusqu'à 40 pièces d'or (2). » Ces raffinements de coquetterie barbare qui présidaient chez les Gaulois à l'ornementation de leurs vêtements, se retrouvaient aussi dans les soins qu'ils donnaient à la toilette de leur corps.

 

Nous avons déjà parlé de leur extrême propreté, qui était chez eux comme un état naturel, une habitude contractée avec la vie, car, au moment de leur naissance, on les trempait dans l'eau froide, et dans leur enfance on renouvelait constamment ces immersions. Mais la propreté ne leur suffisait pas : grandes, sveltes, attrayantes par la fraîcheur de leur teint, les femmes, pour entretenir cette fraîcheur qui était comme une beauté nationale, se frottaient fréquemment le visage avec de l'écume de bière (3), qui passait pour un excellent cosmétique.

Histoire du costume et de l'ameublement au temps des Gaulois et romain

Après le visage, c'était la chevelure qui recevait le plus de soins. Les cheveux d'un blond roux étaient considérés dans les Gaules comme le plus beau des ornements; mais la couleur rousse étant partout une exception, on demandait aux ressources de l'art ce que la nature refusait au plus grand nombre. Les femmes comme les hommes, donnaient à leur chevelure une couleur rouge ardente soit en la lavant avec de l'eau de chaux, soit en la frottant d'un savon composé, suivant les uns, de suif et de cendres (4), suivant les autres, de graisse de chèvre, de cendres de hêtre et des sucs de diverses plantes. Les cheveux roux, ou plutôt rougis, rutilati capilli, sont toujours mentionnés par les auteurs comme un des caractères saillants de la physionomie gauloise.

(1) Strabon, ibid., p. 40.

(2) Histoire des Gaulois, 1835, in-8°, tom. n, p. 9.

(3) Spuma cutem feminarum in facie nutrit. PLINE, liv. XXII, c. 25.

(4) Sapo, Galliarum hoc inventum rutilandis capillis fit ex sebo et cinera. PLINE, liv. XXVIII, ch. 12.

— MARTIAL, liv. vin, épigr. 33.

 

Les dames romaines elles-mêmes trouvèrent cette mode si séduisante, qu'elles achetèrent à grands frais des cheveux gaulois pour en faire des coiffures artificielles, disons le mot, des perruques. Les hommes laissaient croître leurs cheveux et les portaient tantôt flottants dans toute leur longueur, tantôt relevés et liés en touffe au sommet de la tête.

Les druides et le peuple avaient la barbe longue; les nobles se rasaient les joues, en gardant sur la lèvre supérieure de longues et épaisses moustaches qui les faisaient ressembler à des faunes et à des satyres, et leur servaient de filtres quand ils buvaient, disent les historiens grecs, à qui ce genre de parure ne semble pas avoir plu beaucoup.

Les vergoberts,  magistrats souverains, saupoudraient ces moustaches avec de la limaille d'or. Il est probable que la barbe et les moustaches étaient teintes en rouge, comme les cheveux, ces cheveux terribles, dit Clément d'Alexandrie, dont la couleur approchait de celle du sang, et qui semblaient annoncer et porter avec soi la guerre.

Le deuil, qui forme chez toutes les nations un accident particulier dans le costume, était inconnu chez les Gaulois. En pleurant leurs proches, ils auraient dérogé à cette insensibilité stoïque qui les rendait si redoutables. Méprisant la mort pour eux-mêmes, ils la méprisaient aussi pour les autres ; et la ferme croyance qu'ils avaient dans une vie future, croyance qui formait l'un des principaux dogmes de leur religion, contribuait encore sans aucun doute à les confirmer dans leurs usages.

Ils n'avaient donc point, dans leurs vêtements, les signes extérieurs du deuil funèbre; seulement, dans les grandes calamités publiques, ils laissaient en signe de tristesse leurs cheveux flotter au hasard.

Le costume et la toilette des Gaulois, tels que nous venons de les décrire, ne paraissent point avoir subi de changements notables jusqu'au moment où la conquête romaine, en mettant les indigènes en contact avec la civilisation de l'Italie, vint modifier les mœurs et créer, par le perfectionnement des arts, les caprices de la mode.

Du premier au cinquième siècle de notre ère, deux éléments nouveaux, — nous nous servons d'un mot adopté par l'érudition moderne, - l'élément romain et-le christianisme se trouvent en présence dans la Gaule, et, par une coïncidence singulière, qu'il est important de remarquer dans le sujet qui nous occupe, ils se disputent l'empire en offrant à nos sauvages ancêtres, l'un, tous les raffinements du luxe, l'autre tous les renoncements de la pauvreté : l'un apporte la parure, les tissus de soie; l'autre, les habits grossiers, vestes asperas, l'un apporte les bijoux , les broderies d'or; l'autre les proscrit ou ne les tolère qu'en les sanctifiant dans les solennités de ses temples, en les convertissant, pour ainsi dire, à son culte.

Les traditions de la Germanie par l'invasion, et, après plusieurs siècles encore, les traditions de l'Orient par Byzance et les croisades, viendront s'ajouter aux souvenirs du paganisme, et apporter aux mœurs, aux arts, aux costumes, des modifications nouvelles; mais l'influence la plus directe, la plus profonde sortira toujours de la vieille civilisation latine et du christianisme, dont la lutte se perpétuera sourdement à travers le moyen âge, pour renaître plus vive et plus ardente dans le drame splendide de la renaissance.

Occupons-nous d'abord de ce qui concerne l'élément romain.

La Gaule, on le sait, fut soumise en dix ans; mais Rome, dans cette lutte suprême, avait appris une fois encore à redouter ceux qu'elle venait de combattre. Elle se rappelait le tumultus gallicus, et, dans la dernière bataille de Vercingétorix, l'épée de César était restée aux mains des vaincus comme une menace et un trophée.

Rome oublia donc, par prudence, sa politique impitoyable, et tous ses efforts tendirent à absorber les indigènes dans sa propre civilisation. Dès ce moment, une vie nouvelle commença pour la Gaule. « Elle présentait alors, dit M. Amédée Thierry, quelque chose du spectacle que nous donne depuis cinquante ans l'Amérique du Nord, terre vierge livrée à l'activité expérimentée de l'Europe : de grandes cités s'élevant sur les ruines de pauvres villages, ou d'enceintes fortifiées; l'art grec et l'art romain déployant leurs magnificences dans des lieux encore à moitié sauvages; des routes garnies de relais de poste, d'étapes pour les troupes, d'auberges pour les voyageurs; des flottes de commerce allant par toutes les directions, par le Rhône, par la Loire, par la Garonne, par la Seine, par le Rhin, porter les produits étrangers, ou rapporter les produits indigènes; enfin, pour achever le parallèle, un accroissement prodigieux de la population (1).

» Éblouie par les prestiges du luxe, fascinée par l'attrait du bien-être que la civilisation porte avec elle, séduite peut-être aussi par les vices romains, la Gaule se façonna vite aux mœurs de ses vainqueurs.

Les grandes familles de la noblesse gauloise se rallièrent les premières. Le peuple et les débris des familles sacerdotales résistèrent plus longtemps aux influences de la conquête; mais en définitive, la nation tout entière finit par s'absorber, et la saie nationale, l'antique sagum des soldats de Brennus, vaincue chez les hautes classes par la tunique, la toge ou la chlamyde romaine, se réfugia avec les dernières traditions du druidisme dans les campagnes ou les profondeurs des bois, pour reparaître cependant, comme nous le verrons plus tard, à la cour des Carlovingiens, et se perpétuer, au moyen âge, dans le vêtement du paysan, et de notre temps même dans la blouse, vêtement du travailleur.

 

(1) Amédée Thierry, Histoire de la Gaule sous la domination romaine, 1840, t. I, p. 352.

L'un des premiers effets de la conquête, on l'a remarqué avec raison (1), fut de développer les industries gauloises de tissage et de teinture.

Les Atrébates gardèrent le monopole de la fabrication des saies, fabrication qui devait se perpétuer, en se modifiant, à travers le moyen âge dans l'Artois et dans la Picardie, et enrichir jusqu'aux derniers temps, sous le nom de sayetterie, les laborieux habitants d'Amiens.

Les saies des Atrébates étaient expédiées jusqu'au fond de l'Italie, et une foule de colons romains vinrent s'établir dans l'antique Belgium pour s'y livrer à l'élève des moutons, au commerce ou au tissage des laines.

Saint Jérôme nous apprend qu'il y avait de son temps à Arras des fabriques d'étoffes qui passaient avec celles de Laodicée pour les plus parfaites de l'empire, et qui ne le cédaient en finesse qu'aux étoffes de soie. Les tapis d’Arras n'étaient pas moins recherchés, et la pourpre qu'on obtenait dans les teintureries de cette ville ne le cédait en rien à la pourpre de Tyr.

Langres et Saintes fournissaient des capuchons de gros draps à longs poils, nommés cuculli, qui servaient de vêtements d'hiver ou de voyage, et qui, plus tard, furent adoptés sous le nom de coules dans l'habit monastique. Les toiles blanches et peintes formaient aussi une branche importante de commerce.

Quels étaient les procédés de fabrication? dans quelles conditions se trouvaient les populations qui se livraient à l'industrie du tissage ou de la teinture? C'est ce qu'il est impossible de dire avec certitude. La plupart sans doute étaient esclaves.

Il y a tout lieu de croire cependant qu'il existait déjà quelques corps de métiers librement organisés, et nous signalerons, comme un fait remarquable, la présence de corporations à l'entrée de Constantin dans la ville d'Autun.

Ces corporations (2) étaient rangées, chacune avec une bannière, sur le passage de l'empereur. Nous savons encore que la plupart des gens riches, dans la population gallo-romaine, avaient chez eux des gynécées, véritables ateliers où des femmes esclaves filaient et tissaient le lin et la laine. Les femmes libres des familles opulentes elles-mêmes se livraient à des travaux de ce genre.

 (1) Amédée Thierry, t. I, p. 356, 357.

(2) Eumen., Grat., act. 8.

 

Dans la description de la maison de campagne de Pontius Léontius, située au confluent de la Dordogne et de la Garonne, Sidoine Apollinaire nous apprend qu'il y avait dans l'habitation d'hiver « des conduits pratiqués au milieu des murs pour diviser la flamme et répandre la chaleur » dans les appartements où l'on travaillait au tissage, et que c'était dans ces appartements que la femme de Léontius « filait de nombreuses quenouilles à la syrienne, enroulait des fils de soie sur des cannes légères, et entrelaçait l'or rendu ductile sur une trame fauve (1 ) - »

Qu'elle ait été exercée par des ouvriers libres ou par des esclaves, l'industrie gallo-romaine n'en était pas moins très-active; et on peut la croire, par ce que l'on sait de ses produits, très-avancée depuis le premier siècle de la conquête jusqu'à la grande invasion barbare (31 décembre 406). On voit paraître, sous des noms nouveaux, des vêtements de forme nouvelle. Voici ceux sur lesquel on a quelques renseignements. Tout en les donnant comme appartenant au costume civil, nous remarquerons néanmoins que quelques-uns figurent aussi dans le costume militaire; mais la distinction est si difficile à établir, que, cette première réserve faite, nous ne nous y arrêterons pas plus longtemps.

Le plus riche, et qu'on nous pardonne le mot, le plus honorifique de ces vêtements nouveaux paraît avoir été le pallium, manteau carré, pallium quadrangulum Attaché sur l'épaule gauche par une agrafe, relevé à droite de manière à rendre la main et l'avant-bras libres, le pallium, qui laissait à découvert les flancs, la partie extérieure des jambes et des cuisses, et tombait jusqu'à terre par-derrière et par devant, était de soie ou d'étoffes précieuses, garni quelquefois d'or ou de pierreries.

Il est peu de vêtements qui aient eu, pour ainsi dire, une destinée plus variée et une plus haute fortune. Porté par les philosophes de l'antiquité païenne, il est adopté au second siècle de notre ère par l'un des écrivains les plus célèbres de l'Église naissante, Tertulfien, qui écrit son histoire. Il devient plus tard, dans les investitures ecclésiastiques, une sorte de symbole de la délégation des pouvoirs spirituels par le chef de la chrétienté. Le pape Symmaque, en 513, en revêt saint Césaire d'Arles (2).

Il est ainsi la récompense des plus hautes vertus chrétiennes, comme il sera, sous les deux premières races, le signe distinctif des plus hautes fonctions politiques, le vêtement d'apparat de la royauté.

Enfin, dans le moyen âge, il deviendra le paille à bandes d'or (3), quand il couvrira, dans les romans de chevalerie, les épaules d'une noble châtelaine; le paille effriquant quand il flottera sur la cotte de mailles des infidèles, et le paille des morts quand il s'étendra, orné de larmes d'argent, sur le cercueil des riches.

(4) Sidonius Apollinaris, Burgus Ponlii Leontii, carmen XXII.

(2) Longueval, Hist. de l'Église gallicane, t. II, p. 329.

(3) a Bien fut vestue d'un paliçon hermin,

Et par-dessus d'un paille alexandrin, A bandes d'or. » (Roman de Garin le Lohérain.)

 

Comme vêtement d'origine gréco-romaine, nous trouvons encore à côté du pallium la saie chlamyde, c'est-à-dire la saie gauloise, sago chlamys, combinée avec la chlamyde grecque. Mais quel était l'usage, quelle était la forme, l'étoffe de la saie chiamyde ? Nous ne saurions le dire, car elle est seulement connue par son nom (1 ).

L'amphiballus; ainsi nommé parce qu'il entourait tout le corps, était un manteau de grosse étoffe, qui servait surtout dans les voyages, et qui couvrait quelquefois la tête, comme le bardocucullus. L'usage de l’amphiballus était très-répandu au quatrième et au cinquième siècle.

Saint Martin en était revêtu dans cet apostolat célèbre où, prenant le premier l'offensive contre les monuments du paganisme, il parcourut la Gaule pour renverser les temples des divinités romaines, et les arbres consacrés par les superstitions druidiques (2).

La bigère, bigera, bigerica, bisserica, était un vêtement roux et à longs poils. Nous voyons dans la vie de saint Martin que la bigère coûtait à peine la neuvième partie d'un sol. Saint Paulin nous apprend qu'elle était toute hérissée et tissue avec des fils grossiers et pleins de nœuds :

Nodosis textam fœtoso vellere filis.

Le même écrivain, dans une épître à Ausone, qui s'était retiré dans un pays sauvage, lui dit qu'il habite une contrée digne des bigères velues ;

Dignaque pellitis habitas deserta bigeris (3).

On croit que c'est ce vêtement qui plus tard dans les monastères est devenu le cilice.

La caracalle, caracalla, occupe encore dans le vêtement gallo-romain une place importante, et elle doit à un empereur une sorte d'illustration historique. Voici à quelle occasion : « Pendant le séjour du fils de Sévère en Gaule, dit M. Amédée Thierry, une étrange fantaisie traversa son esprit malade. Il se prit de passion pour un vêtement du pays appelé caracalle, espèce de tunique à capuchon faite de plusieurs bandes d'étoffes cousues ensemble; et non-seulement il l'adopta pour son usage et me plia à l'habillement des soldats romains, mais il se mit en tête d'en affubler aussi le bas peuple de Rome.

 (1) Du Cange, Glossarium, V° Sago chlamys.

(2) Sulpit. Severus, Vita sancti Martini, dial. 2. — Fortunatus, De Vita sancti Martini, lib. III, cap. 1.

(3) Paulinus, carmen 12.

 

La caracalle telle que les Gaulois la portaient, courte et dégagée de manière à ne gêner ni les mouvements du corps ni la marche, convenait bien à la vie militaire; pour l'accommoder aux habitudes civiles, il la fit fabriquer ample et traînante.

Pendant un voyage de quelques jours qu'il fit à Rome, en 213, pour y célébrer des jeux et y distribuer des vivres et de l'argent aux prétoriens et au peuple, il comprit dans ses libéralités une distribution de caracalles. Les habitants de Rome s'amusèrent de cette folie, tout le monde voulut essayer des nouvelles tuniques, qu'on appela antoniniennes. De la ville, la mode gagna la province, et l'antoninienne s'introduisit dans l'usage habituel. Vêtement commode et sans façon, elle servit plus tard de modèle aux costumes des cénobites chrétiens de la Thébaïde. Les historiens n'auraient pas enregistré ce détail s'il ne s'y rattachait pas une circonstance qui le rend presque important. Tandis que le nom de l'empereur romain passait par honneur au vêtement gaulois, celui du vêtement gaulois passa par dérision à l'empereur romain. Dans les conversations de l'intimité, dans les correspondances secrètes, et bien secrètes, il n'est pas besoin de le dire, on n'appela plus le fils de Sévère que Caracallus ou Caracalla. L'histoire même, en dépit de sa gravité, se servit aussi de ce sobriquet burlesque (1). »

L'anecdote que nous venons de citer n'est point la seule du même genre qui se rencontre à l'époque dont nous nous occupons. Plutarque, dans sa vie d'Othon, nous montre Cécinna haranguant son armée dans le costume d'un chef gaulois, avec des bracelets et des anneaux, et nous savons que Gallien, qui avait ramené des bords du Rhin, dans son palais de Rome, une maîtresse d'origine barbare, s'affublait, sans doute pour lui plaire, d'une perruque d'un blond ardent qu'il faisait poudrer avec des paillettes d'or.

C'est ainsi que s'opérait par des emprunts réciproques la fusion des costumes des deux peuples. Les généraux romains adoptaient les bracelets et les anneaux, les empereurs adoptaient la caracalle; les riches gaulois à leur tour prenaient la tunique, la toge, le pallium, pour s'en parer dans la vie privée, ou les solennités de la vie publique, tandis que les soldats, de leur côté, combinaient avec l'armement romain la parure guerrière des compagnons de Sacrovir ou de Vercingétorix.

Ils gardaient leurs colliers, leurs bracelets, la saie à carreaux ou la saie brodée; mais ils portaient en outre le casque romain, surchargé de cornes d'élan, , de buffle ou de cerf, la cuirasse en fer battu ou en écailles de fer superposées, de riches cimiers avec des figures de bêtes ou d'oiseaux, des panaches, le bouclier du légionnaire, et sur ces boucliers des dessins qui semblent annoncer déjà les armoiries du moyen âge.

 (1) Histoire de la Gaule sous la domination romaine, 1. II, p. 41, 42.

 

Les femmes, sous l'influence de la civilisation latine, modifient leur toilette, comme les guerriers avaient modifié leur costume. Elles échancrent leur tunique et la plissent par-devant. Elles portent la chlamyde et le strophium, qui remplissait à peu près le même rôle que les corsets de l'habillement moderne.

Les femmes riches ont des manteaux fourrés plus longs par-derrière que par-devant, garnis de festons ou de bordures, et quelquefois fendus sur le côté droit. Les femmes du peuple ont la tunique plus courte que celle des riches, le tablier et le manteau fourré; les plus pauvres n'ont qu'une tunique et marchent les pieds nus.

Les esclaves, dans la société gallo-romaine, étaient-ils distingués des hommes libres par quelques marques extérieures, ou quelque différence notable dans le costume? M. Guérard, juge souverain en tout ce qui touche à nos origines nationales, ne le pense pas. Il fait remarquer cependant que, comme les esclaves restaient ordinairement ceints, la ceinture fut regardée, au cinquième siècle du moins, comme un signe de servitude; il ajoute, d'après Lampride; qu'Alexandre-Sévère fit toujours porter à ses esclaves le costume servile; mais quel était ce costume servile? l'usage s'en était-il propagé dans la Gaule? c'est ce qu'on ne peut préciser.

Nous avons dit plus haut que les Gaulois ne portaient point les habits de deuil; mais à l'époque à laquelle nous sommes parvenus, on a tout lieu de penser que les rites funèbres du polythéisme, introduits dans la Gaule par la conquête, avaient déjà modifié les habitudes, et qu'on y connaissait, pour les femmes du moins, l'usage de la robe traînante, nommée Supux par les Grecs, et portée dans l'antiquité aux funérailles. Sidoine Apollinaire écrivant à l'un de ses amis la mort violente de Lampridius, avec qui il entretenait un commerce de lettres, s'adresse à Thalie pour l'avertir de prendre le deuil, et il parle, comme de l'un des attributs de ce deuil, de la queue traînante du long manteau plissé, autour duquel il veut que la muse fasse une ceinture de lierre. Sidoine, pour exprimer la longueur de cette queue, la nomme syrmatis profundi. Si le poète recommande à sa muse cette parure de deuil, c'est évidemment qu'il en avait des modèles sous les yeux (1).

Si l'on est réduit aux conjectures pour ce qui concerne la parure funèbre des femmes gallo-romaines, il en est de même pour leur parure de noces. Quelques écrivains modernes ont dit que les jeunes mariées étaient habillées de jaune; d'autres qu'elles portaient, comme les fiancées de l'Italie antique, la ceinture de virginité, cette ceinture de laine de brebis, nouée du nœud d'Hercule, que le mari seul avait droit de défaire, et qui semblait promettre à la jeune épouse autant d'enfants qu'en avait eu le héros vainqueur des monstres, c'est à-dire soixante-dix.

(II) Dissertation sur l'usage de se faire porter la queue, par le père Menestrier. Paris, 1704, in-16 , p. 8, 9.

 

Ces deux assertions n'ont rien d'invraisemblable; mais comme elles ne sont justifiées par aucun texte précis, nous les donnons sous toutes réserves.

Outre les vêtements que nous venons de décrire, en suivant toujours, selon notre méthode, les indications des textes, nous en trouvons encore quelques-uns qui, selon toute apparence, étaient également portés par les hommes et par les femmes. C'est la chemise, l’orarium et le sudarium.

La chemise, suivant Isidore de Séville, se nommait dans la latinité de la décadence, camisia, parce que l'on s'en enveloppait pour dormir dans les lits, in camis (1).

Saint Jérôme parle de la chemise comme d'un vêtement qui de son temps était porté par tous les soldats de l'empire. Fortunat en parle aussi dans la vie de sainte Radegonde; il dit même que les chemises de cette sainte, au moment où elle fit offrande à Dieu de ses ornements mondains, étaient tissues d'or, ce qui, en faisant la part de l'exagération poétique, veut dire qu'elles étaient ornées de broderies d'or; car, si loin qu'eut été poussé le luxe, on a peine à comprendre qu'on se soit servi de chemises en tissu métallique. ==>Histoire et légende de Sainte Radegonde, Reine des Francs et abbesse de Poitiers

L’orarium, dont l'usage devint populaire au quatrième siècle, était une espèce de bandoulière de lin blanc qu'on plaçait par-dessus la tunique pour s'essuyer le visage. Les personnes riches l'ornaient d'or et de pierreries. Le sudarium avait à peu près la même destination ; mais, au lieu de le porter en bandoulière, on le tenait à la main, à peu près comme nos mouchoirs. Par une de ces transformations qui sont fort communes dans l'histoire du costume, le sudarium devient au moyen âge le suaire dans lequel on ensevelit les morts, ce qui tient sans doute à la coutume où l'on était dans les premiers siècles de l'Église de laver les cadavres et de les essuyer avec leur linceul. L'orarium, à son tour, adopté dans le vêtement ecclésiastique, se change en étole, comme le témoignent ces vers du roman de Charité :

Bien séz que par un autre nom

Apelle on l'étole orier,

Car d'ovrer te fait labourier.

On le voit par ce qui vient d'être dit, depuis l'époque gauloise, les vêtements se sont non-seulement modifiés, mais diversifiés. Il y en a pour toutes les classes et pour toutes les circonstances de la vie sociale, car on n'a plus, comme dans les premiers âges, un costume unique pour la guerre, un costume unique pour la paix.

 (1) Du Cange, Glossarium, v° Camisia. -

 

Un curieux passage de Sidoine Apollinaire prouve qu'en créant des questions de bienséance, la civilisation romaine et le christianisme avaient agi profondément sur les modes, et que les mêmes individus s'habillaient d'une manière très-différente suivant les diverses occasions.

Dans ce passage (1) le poète gallo-romain se scandalise très-vivement de la conduite de ceux qui « vont armés aux festins, vêtus de blanc aux funérailles, aux noces en habits de deuil, couverts de fourrures aux églises, et de poil de castor aux litanies. » Il y avait dès cette époque une sorte de code de toilette, que les gens bien placés dans le monde, et qui se respectaient, ne pouvaient enfreindre sans déroger. Pour satisfaire à cette tyrannie naissante, mais déjà souveraine de la mode, la laine et le Jin ne suffisent plus, comme autrefois, dans les Gaules indépendantes.

On ajoute à ces matières premières la soie, qui charme le toucher par sa douceur, et les yeux par des figures savamment tracées et qui semblent vivre (2). On fait avec la soie le pallium, comme nous l'avons vu plus haut, la blatta, vêtement des élégants, teint en pourpre éclatante, le plumarium, véritable robe à ramages, - la définition appartient à Ducange — qu'on festonnait avec des plumes d'oiseaux, et que nous retrouverons au treizième siècle sous le nom de paonace. On voit à la même époque, au quatrième et au cinquième siècle les habits en peau de castor, castorinatœ vestes, qui disparaîtront au treizième siècle, mais en léguant leur nom à une étoffe moderne, la castorine, et les tissus de poil de chameau, camelotum, qui nous ont aussi donné l'étymologie du camelot.

Le goût pour les bijoux n'avait fait, on le pense bien, que se développer encore au milieu de tous ces raffinements du luxe. On continuait à porter des bracelets, des anneaux, qui étaient d'or pour les personnages riches et puissants, d'argent pour le peuple. Les habits eux-mêmes se garnirent de pierres précieuses.

La chaussure se modifia comme tout le reste, surtout dans les classes élevées, qui paraissent avoir adopté pour les femmes le brodequin romain, pour les hommes la calige, chaussure attachée par des bandelettes qui montaient jusqu'aux genoux, et qui, passant des légionnaires de l'empire à la population civile des Gaules, fut en dernier lieu portée par les moines. Il paraît aussi que la vieille chaussure à semelle de bois s'était, pour ainsi dire, civilisée ; c'est ce que semble témoigner ce vers d'un poète de la décadence :

Gallica sit pedibus molli redimita papyro.

« Que la chaussure gauloise se garnisse pour envelopper les pieds d'un tissu moelleux. » Gallica, disent quelques étymologistes, c'est la galoche, soulier à semelle de bois de nos paysans. Il est possible que les étymologistes aient raison; mais du moins en traduisant gallica par chaussure gauloise, nous ne risquons pas de commettre un anachronisme.

 

(4) Epist , lib. v. — Epist., lib. VII.

(2 Quitl serica tactu Lenia, vel doctè expressis viventia signis. (PAunxus, De S. Martino, liv. i.)

 

La chevelure, qui, après avoir formé l'un des principaux ornements de la toilette gauloise, va jouer bientôt sous la royauté franque un rôle si important, la chevelure, dans l'époque gallo-romaine, se trouve, pour ainsi dire, annihilée.

 César, après avoir vaincu les Gaulois, les contraignit à couper leurs cheveux, qu'ils voulaient garder comme un signe de leur ancienne liberté; ils obéirent, mais en frémissant, et cette humiliation fut pour eux l'un des outrages les plus sanglants de la défaite.

On a tout lieu de croire que les hommes dans la population gallo-romaine portèrent les cheveux courts jusqu'au moment de l'invasion. On voit, en effet, dans Sidoine Apollinaire, un préfet romain, Seronatus, en mission en Auvergne, ordonner aux hommes de laisser croître leurs cheveux (I), tandis qu'il ordonne en même temps aux femmes de les couper. Or, comme le préfet romain, en rendant ses ordonnances sur la chevelure, n'avait, suivant l'écrivain que nous venons de citer, qu'un seul but, celui de faire sentir son pouvoir aux habitants en les forçant de faire tout le contraire de ce qu'ils faisaient d'habitude, il ressort évidemment de ce fait que les hommes avaient les cheveux courts, tandis que les femmes les avaient longs, et que pour les uns comme pour les autres les modes nationales voulaient qu'ils fussent ainsi.

Autant qu'on peut en juger, après tant de siècles, par les témoignages incomplets des historiens, la Gaule, au commencement du troisième siècle, avait singulièrement changé de physionomie. Le plus grand luxe régnait dans les vêtements, dans les habitations, dans les ameublements. Les indigènes, qui n'avaient en longtemps pour demeures que des trous circulaires couverts d'un toit conique en chaume, ou des huttes en bois, adoptent la tuile et la brique.

(1) Lib. v, epist. xm.

 

Histoire du costume et de l'ameublement au temps des Gaulois

Ils bâtissent même, dès les premiers temps de la conquête, dans la partie méridionale des Gaules, des maisons à étage et à double faîte angulaire. Sidoine Apollinaire et Fortunat, qui nous ont transmis de précieux détails sur la vie privée des Gallo-Romains, parlent tous deux à diverses reprises et toujours avec admiration du luxe qu'on déployait de leur temps dans les festins : « Les murs, dit Fortunat en décrivant un appartement disposé pour un grand repas, les murs, au lieu de montrer des pierres enduites de chaux étaient revêtus de lierre. La terre était jonchée de tant de fleurs, qu'on pouvait se croire dans une prairie tout émaillée. L'argent des lis y contrastait avec la pourpre du pavot, et les odeurs les plus suaves embaumaient la salle. Il y avait sur la table seulement plus de roses que dans un champ tout entier. Ce n'était point une nappe qui la couvrait comme d'ordinaire, mais des roses; on avait préféré à un tissu de lin cette couverture odoriférante. »

Nous ne saurions dire si ces nappes dont parle le poète étaient, ainsi que la plupart des étoffes de cette époque, ornées de dessins et de broderies ; mais on a tout lieu de croire qu'elles avaient, comme tout le reste, subi l'influence d'un luxe toujours croissant. Fortunat, qui s'arrête toujours avec complaisance à tous les détails dont peut s'inspirer la muse descriptive, ne dit rien à ce sujet; mais, en revanche, il nous apprend que de son temps on se servait de tables en argent massif, et que sur l'une de ces tables on avait représenté une vigne, de telle sorte « qu'on voyait le raisin en même temps qu'on en savourait le jus. »

La contagion du luxe avait fait pendant la décadence romaine de si rapides progrès, que dans le cours du quatrième siècle on vit paraître plusieurs lois somptuaires qui durent nécessairement recevoir leur application dans la Gaule comme dans le reste de l'empire. Valentinien et Valens défendirent aux simples particuliers de faire broder leurs vêtements. Tous ceux qu'atteignait cette défense cherchèrent alors à se dédommager par l'usage habituel des habits de pourpre, et les vêtements de cette couleur devinrent si communs, que les empereurs se réservèrent, pour eux seuls, le droit d'envoyer à la pêche du poisson qui donnait la pourpre, et qui menaçait de disparaître; de plus, ils prirent des précautions sévères afin d'éviter qu'on n'en vendît en contrebande. Gratien, Valentinien et Théodose défendirent aussi les étoffes d'or, et Théodose, en 424, étendit même la prohibition jusqu'aux habits de soie, dont l'usage fut réputé crime de lèse-majesté.

Cette ivresse produite par la civilisation latine, ce besoin de briller et d'éblouir par l'or, la pourpre et la soie, bien que très-répandu, n'avait point cependant séduit tous les enfants de la grande famille gauloise. Les souvenirs de la nationalité vivaient encore parmi les classes populaires, les débris des familles sacerdotales et les habitants des campagnes. Ces derniers, quand les citadins portaient le pallium et la blatta, marchaient encore, comme aux jours de Vercingétorix, couverts de la saie et du bardocucullus. Quand des insurrections éclatèrent au nom de l'indépendance gauloise, sous Auguste, sous Tibère, sous Claude, ce fut des campagnes que partit le mouvement.

Quand les légions que Vitellius ramenait de l'Allemagne furent attaquées aux environs de Lyon par des hommes presque sans armes, c'étaient des paysans gaulois qui se précipitaient sur elles; enfin, c'étaient encore des paysans qui, bien longtemps après la conquête, célébraient des fêtes mystérieuses en l'honneur du vieux costume national, dernier symbole d'une liberté perdue sans retour.

A côté de cette civilisation latine, si brillante et si corrompue, la Gaule, dès le deuxième siècle, avait reçu les premiers germes d'une civilisation nouvelle, qui, dans cette population mêlée déjà, partagée en Romains et en Gaulois, devait créer encore comme une population distincte, quoique issue du même sang, parlant la même langue, obéissant aux mêmes lois. Nous avons nommé les chrétiens, et en rencontrant ici leur nom pour la première fois, nous rencontrons aussi cette question, qui nous est comme adressée par notre sujet lui-même : la population chrétienne des Gaules a-t-elle été, du deuxième au cinquième siècle, distinguée par le costume de la population païenne et, si cette distinction a existé, quel était le costume des Gallo-chrétiens?

On a dit que dans la Gaule, comme dans le reste de l'empire, les premiers néophytes s'étaient empressés de quitter la toge, l'habit païen, pour prendre le pallium, qui, bien que d'origine païenne, ne tarda point à devenir le costume distinctif des disciples de la religion nouvelle; mais c'est là une supposition qui n'est justifiée par aucun témoignage authentique.

Nous croyons être beaucoup plus près de la vérité en disant, d'après Fleury et Bergier, que les premiers chrétiens, aussi longtemps que durèrent les persécutions, bien loin de chercher à se distinguer des païens par le costume, évitèrent, au contraire, de le faire, parce qu'ils avaient intérêt à se cacher ; que les seules différences qu'ils aient admises tenaient au genre des étoffes et à l'ornementation, plutôt qu'à la forme du vêtement; qu'ils évitaient dans leurs habits, pour se conformer aux préceptes de leur foi « tout ce qui pouvait blesser la pudeur, ou porter à la mollesse, » et qu'ils se gardaient surtout du luxe et de la somptuosité; car les Pères de l’ Église naissante leur avaient appris qu'il fallait « laisser les vêtements couverts de fleurs à ceux qui étaient initiés aux mystères de Bacchus, et les broderies d'or et d'argent aux acteurs de théâtre. »

Ces réserves faites, on peut donc penser que les premiers chrétiens des Gaules n'ont porté aucun vêtement particulier qui les distinguât du reste de la population, si ce n'est peut-être les vierges de noble race, qui avaient adopté la tunique blanche, bordée de pourpre.

La différence, pour tous les autres disciples de la foi nouvelle, était en quelque sorte toute morale, et consistait dans une plus grande simplicité. Il est un point cependant sur lequel ils paraissent s'être séparés complétement des païens, c'est dans les habits de deuil; et cette séparation tenait à des causes d'un ordre plus élevé que les caprices de la mode, ou l'intérêt de leur propre sécurité. Elle tenait à la révélation des joies du ciel, aux espérances de l'éternelle résurrection.

Les habits de deuil, tels que les portaient les païens, sont formellement réprouvés par tous les écrivains de la primitive Église. Ils défendent de se vêtir de robes noires, attendu que « ceux qui meurent dans la foi du Christ sont vêtus là-haut de robes blanches. » On sait en effet que dans les traditions des premiers âges la couleur blanche est celle qu'on donne toujours aux élus, comme symbole d'une pureté que n'altéreront plus les souillures du monde. C'était aussi cette couleur qui était adoptée pour les étoffes dont on garnissait l'intérieur des cercueils ; et comme dans le nouveau culte tout devait prendre une signification mystique, on attacha dans les cérémonies funèbres un symbolisme particulier aux vêtements dont on habillait les morts.

Les vierges emportaient dans la tombe les robes blanches qui les avaient parées dans le courant de leur vie terrestre, et les martyrs une tunique de pourpre, en mémoire du sang qu'ils avaient versé pour la foi, et de celui que le Christ avait versé pour tous les hommes.

En même temps que le christianisme donnait à toutes choses un sens moral, il purifiait, en se les appropriant, les habitudes du monde antique. Ainsi, en pénétrant dans les Gaules, il y avait trouvé un usage importé par la conquête, et en vertu duquel les païens arrivés à l'adolescence se faisaient couper par leurs amis les premiers poils de leur barbe pour les offrir à leurs dieux.

La foi nouvelle s'empara de cet usage, mais en le consacrant par des prières et des cérémonies pieuses qui reçurent le nom de barbatoria. Il en fut de même pour la coupe des cheveux. Cette opération, qui se pratiquait sur les enfants au moment où ils touchaient à la puberté, eut lieu d'abord dans les familles, et plus tard dans l'intérieur des églises; on choisissait des parrains pour assister à ces cérémonies.

Les prêtres, après avoir coupé les cheveux des enfants, en donnaient des mèches aux parrains, qui les enveloppaient dans de la cire, sur laquelle on imprimait une image du Christ, et les conservaient comme une chose sacrée. Cette cérémonie de la coupe des cheveux et de la barbe était, suivant Du Cange, qui ne se trompe pas en ces matières, une véritable adoption, dans laquelle il se contractait une affinité spirituelle qui faisait donner le nom de père à celui qui avait été choisi pour parrain, et le nom de fils à l'enfant dont on coupait les cheveux et la barbe (1). Nous retrouverons sous la royauté franque plusieurs traces de cet usage.

 (I) Histoire de Louis IX, par Joinville. — Édition de Du Cange, 1668, in-ro. —Dissertation xxn.

Il nous reste maintenant, pour en finir avec ce qui concerne les premiers chrétiens des Gaules, à constater un fait qui n'est point sans importance pour notre sujet: c'est que, de même qu'il n'y avait aucune différence sensible entre le costume des chrétiens et celui des païens, de même dans la société chrétienne il n'y eut à l'origine aucune distinction entre les habits des prêtres et les habits des laïques.

C'est l'opinion de Longueval et de Fleury (1). Une lettre écrite par le pape Célestin Ier aux évêques des provinces de Vienne et de Narbonne, en 428, donne un grand poids à cette opinion. Le pape parle de quelques prêtres étrangers à la Gaule, qui, venus passagèrement dans ce pays, portaient un habillement particulier, s'enveloppaient d'un manteau, en se cinglant les reins, et il dit à cette occasion : « D'où vient ce nouvel habillement dans les églises des Gaules, et pourquoi changer là-dessus l'usage de tant d'années et de tant de grands évêques? Nous devons être distingués des autres par la doctrine, et non par l'habit ; par nos mœurs et la pureté de l'esprit, et non par la forme des vêtements. »

Bien que l'histoire du costume ecclésiastique ne rentre point dans le cadre de notre travail, nous avons cru cependant devoir donner ici ces détails pour marquer le point de départ et les origines. Nous ne parlons que du costume ecclésiastique, c'est-à-dire du costume des clercs, des diacres, des prêtres et des évêques, du clergé séculier, en un mot; car on sait, par une date à peu près certaine, la première apparition du costume monacal dans la Gaule romaine, et cette date est celle de 360, époque à laquelle saint Martin fonda à Ligugé, près Poitiers, le premier monastère des Gaules. ==> Saint Martin de Ligugé

En Orient, les fondateurs d'ordres qui habitaient d'abord les déserts et les solitudes ne donnèrent aux religieux que les habits des paysans. Il en fut de même à Ligugé; et les disciples de saint Martin portèrent pour vêtement une espèce de saie en poil de chameau, qui, tout en servant d'habit, servait aussi de cilice.

Ainsi : d'une part tout le luxe de la civilisation romaine, de l'autre toute la simplicité du renoncement chrétien; dans les campagnes, l'ancien costume gaulois; dans les villes, quelques traditions de ce costume combinées avec les modes romaines et dominées par elles; dans la société civile, des chrétiens habillés comme des païens; dans la société religieuse, des prêtres habillés comme des laïques, et des moines habillés presque comme des Celtes, voilà ce que nous avons trouvé dans cette Gaule romaine que nous allons quitter pour entrer dans la Gaule barbare.

(1) Longueval, Ilist. de l'Église gallicane, 1732, in-4°, 1.1, p. 486. — Fleury, Hist. ecclés., t. V, p. 628.

 

Les arts somptuaires du Ve au XVIIIe siècle. Première partie, Histoire du costume et de l'ameublement... / par Ferdinand Séré

(Photos spectacle Vikings et Signe du Triomphe Puy du Fou)

 

Le dernier gaulois, c'était comme ça chez les Gaulois. <==.... ....==> Carte Celte Gaule Peuples Gaulois

==> Quel était l'état de la Gaule à la fin du IIIe siècle ap. J. C quand HILAIRE était l’évêque de POITIERS ?

 

 

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