Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
PHystorique- Les Portes du Temps
25 octobre 2019

Ension, une des plus anciennes fondations monastique qui s'éleva dans les Gaules. (l’abbaye de Saint-Jouin de Marnes en Poitou)

Ension - l’abbaye de Saint-Jouin de Marnes en Poitou

Ension, une des plus anciennes fondations monastique qui s'éleva dans les Gaules. (l’abbaye de Saint-Jouin de Marnes en Poitou - Deux-Sèvre)

A la sortie de la petite ville de Moncontour, lorsque le voyageur prend la route de Saint-Jouin-de-Marnes, il voit surgir à l'horizon l'église de l'ancienne et puissante abbaye qui a donné son nom à la bourgade.

Saint-Jouin-de-Marnes est coquettement assise sur une colline qui limite une longue plaine et domine la vallée de la Dive. Ce bourg, du canton d'Airvault, à neuf kilomètres de cette ville, appartient au département des Deux-Sèvres.

L'abbaye fut fondée au IVe siècle en un lieu appelé Ension, Ansion ou Enesse (Enessio, Enixio, Ansio), et prit plus tard le nom de son fondateur et premier abbé saint Jouin ou Jouvin (Jovinus, Jovianus, Joviniacm), originaire de Silly, près de Loudun. L'affixe de Marnes ajouté au nom du saint fondateur indique la situation de l'abbaye voisine des marais de la Dive.

La contrée dut être habitée, dès l'époque la plus reculée, à la période paléolithique et néolithique. La première est celle de la pierre grossièrement taillée, la seconde celle de la pierre polie. Les haches de pierre taillée ou polie servaient aux peuplades primitives contre les exactions de leurs voisins et la férocité des animaux sauvages.

Ce n'étaient probablement autrefois que forêts qui couvraient la Gâtine et les marécages qui bordent la Dive et le Thouet. Les habitants d'alors, Ambiliates, selon M. de Longuemar, ou Pictons, du Pagus Lausdunensis (Loudunais), ont laissé certains vestiges dans la région.

Sur une hauteur, en face du village de Noizé, on trouve deux pierres énormes, posées au sommet de la butte, et qu'on nomme pierres d'Epinais. La plus grosse est inclinée vers l'Est, et du côté qu'elle touche la terre, à l'Ouest, trois petits supports très faibles la maintiennent à 1m50 du sol. Cette pierre a une longueur de 4 mètres sur une largeur de 3 mètres et une épaisseur de 4 mètres. Quant à la plus petite (3m50 de long sur 1m80 de large), elle n'est pas soutenue, et en partie du côté nord elle s'enfonce dans la terre. Il ne semble pas que ces demi-dolmens soient le résultat de l'affaissement de dolmens complets.

La période- gauloise est représentée à Louin, sur les bords du Thouet, par le sepulcrum gallo-romain décrit par le R. P. de La Croix, S. J,

Puis vient l'invasion romaine. Ension fut traversé par deux grandes voies, celles de Poitiers (Limonum) aux Ponts -de- Ce ou Angers (Juliomagus), et celle de Poitiers à Nantes (Condivincum, Portus Nannetum).

Ces deux routes se croisaient à Ension et constituaient les deux voies principales de tout le sud armoricain.

Certains auteurs supposent qu'un camp romain s'élevait sur l'emplacement actuel de Saint-Jouin. Le nom, conservé de Châteaux au pied de la colline en garde le souvenir. Peut-être était-il plutôt établi sur la butte, de Pront, du côté de l'Orient, entre Irais et Noizé, à 1.500 mètres environ du village de Châteaux. Ce châtelier dut être formé, vers le IVe siècle, par les légions romaines.

Un nombre assez restreint de colons-soldats y logeaient avec leurs familles et étaient chargés de veiller sur les peuplades de la région, Ambiliates ou Pictons, encore assez remuantes. Ce camp servait surtout à protéger les habitants contre les descentes des pirates et les insurrections des Bagaudes.

La voie romaine de Poitiers à Nantes traversait Marnes et passait devant l'église de Saint-Jouin. Le chemin de Saint-Hilaire, qui traverse la plaine de Noizé, est une partie de l'ancienne voie romaine. Partant de la Croix-Maurice, il se confond pendant quelque temps avec la route actuelle de Saint-Jouin à Thouars, mais bientôt il s'en sépare à gauche pour passer auprès de la butte de Pront.

 

Enesse ou Ension aurait été une villa dépendant du domaine de la famille de Jouin, aussi distingué par sa sainteté que par l'illustration de sa race.

La tradition attribue à saint Jouin trois frères et une soeur, honorés comme lui du titre de saint. Ce sont saint Maximin, évêque de Trêves, saint Maixent, évêque de Poitiers et prédécesseur immédiat de saint Hilaire, saint Mesme, abbé de Chinon, et sainte Maxima, vierge.

 Après la mort de saint Maximin, arrivée à Silly en 317, Jouin, désabusé des vanités du monde, se retira à Ension pour y mener la vie érémitique, à l'exemple des Pères de la Thébaïde égyptienne. Bientôt des disciples se groupèrent sous sa conduite. Telle fut l'origine du monastère d'Ension, qu'on peut faire remonter vers le milieu du IVe siècle.

Ension était voisin d'un camp romain dont le souvenir a été transmis par le nom de Châteaux, village très rapproché du bourg actuel de Saint-Jouin, où se trouvent les ruines de deux églises, et qui devint, dès l'origine, une annexe de l'abbaye.

 Après la mort de saint Jouin, ses disciples l'ensevelirent dans l'église de Saint-Jean élevée par ses soins sur la colline d'Ension, à l'emplacement même de l'église actuelle.

 

 

Au IVe siècle, Ension va devenir célèbre sous les noms que la postérité lui donnera. Cette solitude, située près de Marnes, était paisible et silencieuse. Elle eut le don de captiver les goûts de retraite et l'ardente piété d'un certain Jovinus, issu d'une illustre famille de la contrée. Il chercha pendant quelque temps l'emplacement le plus favorable pour y élever une laure à ses disciples.

Il finit par choisir Châteaux. Ce choix fut surtout déterminé par la position du lieu qui se trouvait au versant d'une colline et à proximité de la voie de Poitiers à Angers, laquelle se séparait, à Châteaux même, de celle de Poitiers à Nantes.

Ce qui nous permet d'identifier l'emplacement d'Ension, c'est la carte géographique de Peutinger, ou Table Théodosienne. Cette carte est un des monuments géographiques les plus intéressants de l'antiquité. On y trouve tracées les voies militaires de l’Empire. Ce monument, qui est du IIIe ou IVe siècle au plus tard, fut découvert à Spire, vers 1500, dans une bibliothèque fort ancienne, par Conrad Celtès, ce qui n'empêcha pas un savant du même siècle, Peutinger, de lui donner son nom. Sic ros non vobis. Cette carte fut imprimée à Venise par Marc Vesler, en 1591.

Quel était ce Jovinus ou Jouin qui va donner son nom à la laure primitive d'Ension ? Il appartenait à une illustre famille der Silly (Sigiliacum ou Siliacum), bourg gallo-romain près de Loudun. A l'aurore du IVe siècle, résidait à Silly la gens Maxima.

C'est de la tombe d'un saint de cette famille, saint Maximin, évêque de Trèves, et du culte qui lui fut rendu qu'est né le bourg de Mouterre (Monasterium).

L'antique centre habité de cette commune est Silly, hameau situé à sept cent mètres au-dessous de Mouterre, et qui est encore plus peuplé aujourd'hui que le chef-lieu paroissial. On y a trouvé des sépultures de l'époque gauloise indépendante et de nombreux objets romains.

Entre ces deux localités si voisines, et un peu au couchant du chemin qui les relie, la gens Maxima possédait une villa, au lieu qu'on appelle encore Solaville ou Sous-la-Ville. Le vaste champ de Solaville est situé au-dessous de l'église de Mouterre, à mi-côte du plateau sur lequel elle s'élève. Ce champ est rempli de poteries gallo-romaines et de substructions antiques qui démontrent l'importance de ce lieu.

Cet emplacement de la villa des Maximin est parfaitement connu, c'est un champ labouré qui nous livre encore parfois des débris de son ancienne splendeur. Deux archéologues du pays, MM. Moreau de La Ronde et Charbonneau-Lassay (1), y ont fait des découvertes intéressantes : le premier y a recueilli des morceaux de vase en terre et en bronze, avec un pied de statue en marbre ; le second y a trouvé une belle plaque de porphyre vert antique et un fragment de mosaïque romaine. Il est à souhaiter que la pioche d'un antiquaire autorisé rende à la lumière les antiques substructions qui doivent dormir sous les sillons de Solaville.

La famille des Maximin était une famille patricienne.

En parlant du représentant le plus illustre de cette famille, saint Maximin, évêque de Trèves, Loup de Ferrière en fait une famille sénatoriale : « Siquidem anliquam prosapiam, a majoribus scnatorii ordinis deductam ejus parentes sortiti suni (2). Les membres de cette famille faisaient partie de cette aristocratie gauloise qui, par ses richesses, son mérite et ses alliances, avait pris rang parmi les maisons les plus illustres du Sénat romain.

Elle paraît avoir été chrétienne, à en juger par l'éducation religieuse et distinguée qu'elle avait donnée à ses enfants.

Ceux-ci s'appelèrent Maximin, Maixent, Mexme, Jouin et Maxima.

Maixent s'établit à Poitiers, où il devint évêque. Maximin et Jouin se rendirent à Trèves, ils furent disciples de l'évêque saint Agrice, Aquitain et même Poitevin comme eux.

En 346, Maxentius ou Maixent succédait à Alipius, sur le siège épiscopal de Poitiers, pendant que Mexme ou Maximin ou Maxe (3), se sanctifiait à Chinon dans la vie érémitique, et que Maxima se distinguait parmi les vierges chrétiennes, au point de mériter le titre de bienheureuse.

 

Nous sommes au commencement du IVe siècle. L'ère des persécutions a été close par la conversion de Constantin. Cinquante ans auparavant, la Gaule était ensanglantée par le martyre de ses enfants. L'anarchie; qui avait précédé de peu la défaite et la chute de Valérien, n'avait pas empêché ce tyran d'ordonner une persécution, qui fut la huitième, et s'étendit à toutes les Gaules.

Comme l'Italie, elles eurent leurs sacrifices sanglants, et le Poitou garde le souvenir d'un martyr qu'il n'a pas cessé d'honorer : c'est saint Clair. Originaire de notre pays, peut-être de Loudun, il y perdit la vie pour Jésus-Christ, sans qu'on sache aucun détail sur sa sainte vie (4).

S'il souffrit par ordre de Gallien, comme on le dit, ce dut être avant l'année 260, car dès que ce prince fut resté seul maître de l'Empire, par la captivité de son père, il se hâta de faire cesser la persécution qui s'était faite malgré lui.

Le sang de Clair (5) et des martyrs de Loudun a été une semence de chrétiens, suivant la parole de Tertullien. Silly, aux portes mêmes de cette ville, nous en fournit la preuve. Il va voir fleurir les vertus de la gens Maxima.

Maximin sera le membre le plus illustre de cette famille.

 Il était allé étudier à Trèves, la seconde Rome, comme on disait alors. On peut se demander pourquoi il alla du Poitou jusqu'à Trèves pour son éducation. Sa famille avait résolu de lui donner cette éducation brillante, qui était requise de quiconque aspirait aux honneurs et aux dignités de la République. Deux foyers littéraires se partageaient alors la faveur des familles opulentes en deçà des Alpes, Trèves et Autun. Cette dernière ville avait pour elle le double souvenir de la patrie gauloise et de ses anciens succès ; mais Trèves, depuis longtemps résidence des empereurs, centre de la vie publique, avait sur sa rivale une supériorité que les espérances de l'avenir ne faisaient qu'augmenter chaque jour.

De plus, grâce à la gravité de mœurs de ses habitants, les parents chrétiens trouvaient dans la bonne tenue de ses gymnases une garantie précieuse. En outre, l'évêque de Trèves, Agrice, était Poitevin et sans doute connu des parents de Maximin. Lui recommander leur fils dut être pour eux un puissant motif de choisir la ville de Trêves. C'est donc là que le pieux jeune homme allait être, sinon initié aux lettres humaines, au moins à la science du droit et de l'art de bien dire. Peut-être avait-il été auparavant, avec son frère Jouin, disciple de saint Hilaire ; c'est du moins ce qu'affirme .un vieux légendaire (Ex vetere legendario Jouiniano, Mairie de Saint-Cassien, Registre de 1665 à 1700).

A l'école de saint Agrice, Maximin ressentit bientôt un dégoût profond du monde et, cédant aux-inspirations de la grâce, il ne rougit pas de revêtir les livrées de la cléricature. Dieu le destinait à l'épiscopat. Elu le 13 janvier 332, l'évêque clé Trèves accueillit comme un ami saint Athanase, exilé en 336. Le patriarche d'Alexandrie, qui passa deux ans à Trèves, loue le zèle infatigable, la fermeté et la vie exemplaire de son hôte, que le ciel avait en outre gratifié du don des miracles. Maximin exerça, en 340, le même devoir envers saint Paul, qui venait d'être chassé par les Ariens du siège de Constantinople.

L'évêque de Trèves eut un rôle brillant aux conciles de Milan (346; et de Sardique (348), et l'on peut dire que les circonstances le portèrent au premier rang de l'épiscopat catholique d'alors.

Quand furent closes les grandes assises théologiques qui lui avaient occasionné de pénibles travaux et de longs voyages, Maximin sentit le besoin d'aller se reposer en son pays natal de Silly. Il y mourut le 12 novembre 347 ou 349. Il avait succombé sous le poids des fatigues et de l'âge.

Les auteurs, tout en s'accordant pour faire de saint Maximin de Trèves un enfant de Poitiers, se partagent sur le lieu précis de sa naissance.

Surius cite Poitiers (6). Alban Butler, Moréri et quelques autres le suivent ; plusieurs, comme l'anonyme dont les Bollandistes ont publié le travail, et qui écrivait au VIIIe siècle, ne parlent que de l'Aquitaine « Aquitanice originem duxit provinciœ ». Mais tons les écrivains, éloignés du Poitou, se préoccupent moins de la localité même qui vit naître Maximin, que ceux dont le patriotisme cherche les moindres circonstances, et s'intéressent à découvrir le lieu de son berceau. C'est pourquoi nos auteurs poitevins où ceux qui puisèrent à leurs sources communes, constatent généralement qu'il naquit à Mouterre-Silly, ou du moins bien près de Poitiers, ce qui, dans l'espèce, est équivalent.

Ainsi le chanoine Fauveau composa, sous l'épiscopat de Mgr de La Rochepozay, un calendrier à l'usage de la Cathédrale ; il y cite saint Maximin comme né à Silly « Oriundus erat ex Sigiliaco » (7). Dumoustier de la Fond (8) en dit autant. Dreux du Radier (9), après avoir cité Poitiers, ajoute en note : « Quelques-uns disent Sillé, village près de Loudun.» Le P. Longueval n'en doute pas, il le dit positivement. Arnault-Poirier tient pour Sillé, tout en citant les encyclopédistes, qui parlent de Poitiers, sur des ouï-dire ou sur des assertions peu étudiées. Cette analyse des deux opinions, dont l'une est vague et l'autre formelle, nous porte à nous ranger du côté de l'origine loudunaise (10).

 Vue aérienne 360° de l’abbatiale et de ses bâtiments attenants – Donjon Moncontour

(Presbytère, anciens greniers à sel, couvent)

 

On verra plus tard, au VIIIe siècle, un autre saint

Maximin (Mesmin), appartenant sans doute à cette illustre famille de Silly, devenir évêque de Poitiers. Son corps se trouvait, au XIIIe siècle, dans l'église de Mouterre-Silly, où l'évêque de Poitiers, Philippe, l'éleva de terre, en 1226, Tune Philippus episcopus Pictavensis Vidus octobris a terra levavit. C'est l'auteur de la Grande Chronique de Tours (11) qui rapporte cet événement.

Cet évêque de Poitiers, qui vivait au VIIIe siècle, est honoré comme un saint. De Mas-Latrie (Dictionnaire de chronologie) lui donne ce titre. L'abbé Auber, l'historiographe de l'Eglise de Poitiers, le lui attribue également. Ce n'est pas le sentiment de D. Chamard, qui nie que le Maximin du VIIIe siècle ait jamais reçu aucun culte (12). Aux allégations du célèbre Bénédictin, on peut opposer la-conduite de l'évêque du XIIIe siècle. S'il faisait, à Mouterre-Silly, l'élévation du corps de son prédécesseur, c'est qu'il avait trouvé son nom dans les diptyques sacrés de son église, et que la rumeur publique et les miracles opérés à son tombeau justifiaient une translation du corps vénéré.

Mouterre a donc produit deux saints du même nom : Maximin; mais lequel a donné son vocable à l'église de Mouterre-Silly ? C'est le premier, sans doute. Tous les monuments attestent que son corps fut pris à Mouterre-Silly par son successeur à l'évêché de Trèves, saint Paulin. Cette translation, après laquelle on le plaça solennellement dans un oratoire de Trèves, qui finit par prendre son nom, fut signalée par des miracles. Sa sainteté fut dès lors reconnue.

Le corps du bienheureux évêque avait été déposé à Silly, dans la villa de sa famille, à l'endroit précis qui s'appellera plus tard Mouterre (Monasterium) Un oratoire (Oratorium, cella, martyrium, cancel), fut érigé sur son tombeau.

 

M. Imbart de la Tour, dans son bel ouvrage : les Origines religieuses de la France, Les Paroisses rurales du Ire au XIe siècle, dit du ive siècle : « Dans un grand nombre de localités, nous constatons alors l'existence de sanctuaires (églises, oratovia, celæ, marlyria) (13). Il n'y a pas encore de paroisses de Mouterre ou de Silly, mais un simple oratoire élevé sur un tombeau, de saint.

Le corps a été enlevé, mais il y reste quelques reliques. Cela suffit pour justifier la confiance et l'empressement des chrétiens. Le souvenir des miracles opérés par saint Maximin, la présence de son tombeau et de ses reliques ont frappé l'imagination populaire et provoqué la construction d'une église. On a voulu être enterré pieds du tombeau vénérable ; de là la présence de ces sarcophages que l'on trouve en grand nombre autour 4e l'église de Mouterre. L'oralorium a grandi, a- donné naissance à une église, cette église elle-même à une paroisse (14). Le tombeau crée l'oralorium, oratorium qui deviendra plus tard l'église de la paroisse. « Un culte funéraire, voilà, dans bien des cas, le noyau de la communauté rurale », dit encore M. Imbart de la Tour. A quelle époque viendra la paroisse? Il est difficile (15) de le préciser. Longtemps l'oratoire primitif est un simple édicule desservi par un clerc sans groupement de fidèles et sans juridiction sur les âmes.

Nous arrivons au VIIIe siècle. Silly a donné un évêque à l'Eglise de Poitiers, qui s'appelle Maximin. Il meurt en odeur de sainteté; il a voulu être enterré dans l'église de Mouterre. Tout porte à croire qu'il est de la famille du saint évêque de Trèves, qu'il possède la villa des Maximin. Il a voulu être enterré près du tombeau de son saint parent et dans un domaine qui est son bien patrimonial. Il a dû, lui, évêque de Poitiers et propriétaire de ce domaine, y établir une paroisse (parochia) (16) et la doter. C'est ce que font, depuis longtemps, dans les Gaules, les évêques riches; ils multiplient les centres religieux dans les terres qui leur appartiennent par héritage ou par acquisition.

Selon toute apparence, la paroisse de Mouterre n'eut pas d'autre origine ; elle remonterait donc au VIIIe siècle.

A .défaut de documents, nous croyons vraisemblable cette hypothèse, d'autant que l'église de Mouterre dépendait, au moyen âge, du chapitre de la cathédrale de Poitiers, qui en avait le patronage.

Qui le lui avait donné, si ce n'est cet évêque assez pieux pour vouloir reposer auprès des reliques du saint évêque de Trèves, et assez patriote pour vouloir dormir son dernier sommeil dans la villa de ses ancêtres et dans son église, qu'il avait bâtie ou agrandie ? Les hypothèses émises par M. Imbart de la Tour, au chapitre II de s'on ouvrage, ne sont pas pour infirmer la nôtre (17).

Une autre question se pose au sujet de saint Maximin de Poitiers. L'élévation de son corps, d'après le chroniqueur de Tours, se fait à Mouterre-Silli, « Apud monasterium Sille ».

Mais quel est ce Sillé? M. de la Rochepozay traduit par Sully, et on connaît près de Mirebeau un tout petit endroit de ce nom, que le prélat a peut-être voulu désigner. Mais ce ne peut être le Silli de Mirebeau, c'est bien celui de Loudun dont il s'agit. Voici nos raisons:

D'abord, reconnaissons que ces deux localités ont certainement la même origine gallo-romaine, et se sont par cela même fort souvent présentées dans les vieux documents sous une dénomination identique. Dufour a observé que Sully est mal écrit sur les cartes, et qu'on doit rendre Sciliacum par Seuillé ou Seuilly ou Silly, Canton de Mirebeau ; c'est que, en effet, il est question dans le texte de Besly (Hist. des Comics du Poitou) (18) de cette localité, parfaitement désignée encore dans une charte d'Ebles II, mentionnant un lieu appelé Ciliacum, que Dufour traduit Silly. Le texte ajoute : In pago Pieravensi. in vie aria Salvinse (Saint-Jean-de-Sauves), C'est probablement cette ressemblance des deux noms qui aura trompé M. de la Rochepozay, car on n'a ni traces ni le moindre souvenir ou tradition historique d'un monastère près Silly de Mirebalais; au contraire, M. Arnaud-Poirier a constaté non loin de Mouterre les ruines d'une antique église du xi" ou XIIe siècle. Le Silly ou Sully de M. de la Rochepozay et de Dufour ne peut donc être celui de saint Maximin.

La légende de l'ancien bréviaire poitevin (19) porte : « Sanctus Maximinus Sulliaei, haud procut ab Ebraldo fonte turnulatum ». Or, se serait-on exprimé ainsi pour indiquer le Sully placé sur la Marche, entre les territoires de Mirebeau et de Loudun, pendant que bien plus près de Fontevrault se trouve posé le Silli ou Silly que revendiquent nos saints?

Pour mettre à néant leur objection, ne passons point sous silence l'abbaye de Seuilly, qui a bien le même nom latin, et est assise sur les bords de la Loire, près de Chinon, et au delà de Fontevrault par rapport à nous; Ici, il n'y a qu'un nom, et rien de plus. Ce Seuilly n'est ni de la province d'Aquitaine, ni près de Poitiers, ni dans le pays de Loudun ; c'est de la Touraine, et nulle part cette province n'est mentionnée à côté des noms de nos saints Maximin comme ayant été leur pays natal.

On peut donc regarder Mouterre-Silly en Loudunais comme le lieu où avait été dépose, au VIIIe siècle, le corps de saint Maximin de Poitiers (20).

 

Revenons aux Maximin du IVe siècle. L'un d'eux s'appelait Jovinus.

Jovinus, Jovianus ou Jouin, Johin, Jouvin (21), plus jeune que les deux évêques, ses frères, avait passé quelque temps à Trèves, où il avait vécu dans le commerce de saint Athanase. Là, il avait appris de la bouche de ce grand homme la vie des solitaires du désert, des Paul, des Antoine, des Pacôme et des Hilarion.

Revenu dans sa patrie avec son saint frère, il comprit le néant des créatures et sentit le besoin de renoncer au monde et d'aller s'ensevelir dans le silence, la prière et la pénitence. C'était sous l'épiscopat de son frère Maixent, vers 350.

Pendant que l'évêque, en sept années d'un utile et fécond ministère, se préparait un successeur dans la personne d'Hilaire, Jouin allait demander à la solitude le repos dont son âme avait une soif indicible.

Un des épisodes du mouvement chrétien dans le Poitou au  IVe siècle est le commencement de la vie monastique. Elle y fleurit même avant le monastère de Ligugé, qu'on a signalé à tort comme le premier foyer de vie religieuse dans les Gaules.

Ligugé, en effet, ne doit être mentionné qu'après celui que saint Jouin dut créer vers l'an 350. Ligugé ne put naître qu'en 360, lorsque saint Hilaire, revenu de Phrygie à Poitiers, y fut suivi par saint Martin. Tel est le sentiment de M. Auber, historiographe du diocèse de Poitiers (22) :

« C'était la plus ancienne fondation de ce genre faite dans les Gaules, quoiqu'on ait dit de celle de Ligugé, qui ne put être établie que plus de dix ans après celle-ci par saint Martin de Tours ; le grand thaumaturge n'ayant quitté le service militaire qu'en 356, il ne put se retirer dans sa solitude des environs de Poitiers qu'après le retour de saint Hilaire, revenu de Phrygie en 360. »

 

C'était le temps où l'Orient voyait se peupler les thébaïdes où vivaient les ascètes dont-Athanase avait décrit à Jovinus la vie angélique.

Aux seuls environs d'Alexandrie, Palladius signalait 2,000 moines. C'est là qu'il avait rencontré un formidable ascète du nom de Dorothée, qui passait le jour à transporter des pierres, sous le soleil torride, pour construire des cellules, et qui, la nuit, tressait des rameaux de palme. « Mon corps me tue, disait-il, je le tue. » (23).

« Si vous allez en Egypte, s'écriait saint Jean Chrysostome, vous trouverez une solitude qui surpasse n'importe quel paradis, vous rencontrerez six cents chœurs d'anges revêtus d'une forme humaine, des peuples de martyrs, des assemblées de vierges. Dans ces lieux, l'empire de Satan est détruit, le royaume du Christ est resplendissant, vos yeux contempleront l'armée du Christ, son peuple royal, le tableau d'une vie céleste. Les femmes rivalisent avec les hommes. Le ciel, avec les chœurs variés de ses étoiles, n'égale pas en beauté l'Egypte parée des tentes de ses moines. »- (24).

Il demeure acquis à l'histoire que l'époque où le christianisme commença de s'étaler à la cour impériale et dans les hautes sphères de la société romaine fut aussi l'époque où des milliers de chrétiens et de chrétiennes sentirent en eux-mêmes un désir de vie parfaite et furent poussés par ce désir dans les lointaines solitudes de l'Egypte.

Une certaine critique s'est ingéniée, de nos jours, à diffamer impitoyablement les Pères du désert; elle leur impute, comme s'ils les avaient commis, les étranges péchés dont parfois ils avouaient être tentés. Aucune réputation ne résisterait à ce singulier genre de procès; Satan donne l'assaut, il est seul responsable, et l'on incrimine comme des pécheurs les gens qu'il attaque. Il serait étrange, en vérité, qu'une pareille thèse prévalut contre les éloges d'hommes informés qui s'appelaient saint Jérôme, saint Augustin, Butin, sainte Mélanie la jeune, Palladius et Jean Cassien (25).

En additionnant ensemble les seuls chiffres que donne Palladius pour l'Egypte, on dépasse déjà 15,000 moines. et l'Histoire Lausiaque ne visait pas à un dénombrement complet; c'est par dizaines de milliers que se chiffrait, vers l'an 400, cette population d'âmes héroïques.

L'Occident allait imiter l'Orient. A la faveur de la paix rendue à l'Eglise par Constantin, le cœur s'ouvre à des aspirations plus libres ; la piété chrétienne s'inquiète des obstacles qu'elle rencontre au milieu d'un monde où l'esprit du paganisme n'était pas encore éteint. De là le goût de l'ascétisme; de là, pour bien des âmes, le besoin d'une retraite ou elles pourraient se livrer à la pratique des conseils évangéliques

Un grand courant d'enthousiasme mystique, dans ce temps-là, entrainait les Eglises d'Occident dans un nouvel idéal de vie religieuse. Les conceptions ascétiques des premières générations chrétiennes, les austérités des continents et des vierges sacrées vivant dans le monde ne suffisaient plus au besoin de sacrifice des âmes dévotes. Un ascétisme d'un nouveau genre s'était révélé en Egypte : la vie d'anachorète, avec saint Antoine et les ermites du désert de Nitrie ; le cénobitisme, avec saint Pacôme. Très vite, l'institution monacale avait conquis tout l'Orient, où les cénobites et les solitaires du Sinaï, de Palestine et de Syrie, étonnaient le monde par le raffinement de leurs austérités ou de leurs vertus. En Egypte déjà avaient été promulguées des règles de vie commune. Saint Basile, en Asie Mineure, avait mis ces règlements au point pour les dévots d'âme plus modérée et de climat plus froid. Ainsi codifié, le monachisme gagna peu à peu l'Occident latin, où l'on commençait à rencontrer çà et là des cabanes d'ermites ou des maisons communes de moines ;

en Gaule, les monastères d'Ension, de Ligugé et de Marmoutier ; les ermites de Trèves; en Espagne, les ascètes groupés autour de Priscillien ; en Italie, un monastère à Milan, d'autres à Rome, sans parler du palais-couvent de Marcella, sur l'Aventin, où régna saint Jérôme. L'Afrique, à son tour, allait encore entrer dans la même voie, par les créations monastiques d'Hippone, bientôt imitées dans toute la région (26).

C'est à ce courant de vie religieuse que céda saint Jouin, quand il embrassa la vie érémitique.

Auditeur assidu de saint Athanase pendant deux ans, il n'est pas étonnant qu'il se soit épris d'enthousiasme pour les solitaires d'Egypte et conçu le dessein de les imiter ; on sait d'ailleurs par saint Augustin (27), que les Tréviriens lisaient avec une pieuse avidité la vie de saint Antoine, composée par saint Athanase lui-même. Or, dans cette biographie d'un si haut intérêt, une phrase avait évidemment frappé Jouin, puisqu'il cherche à en reproduire la réalité dans sa conduite. « Quand Antoine se retira dans la solitude, y est-il dit, il n'y avait pas en Egypte autant de monastères qu'aujourd'hui, et aucun moine n'avait encore pénétré dans les profondeurs du désert. Celui qui désirait se livrer à la vie contemplative se retirait à part, non loin de sa propre villa » (28).

Saint Athanase avait inspiré aux âmes généreuses placées sous la conduite de saint Maximin son ardent enthousiasme pour la vie monastique. Les campagnes voisines de la ville de Trèves furent peuplées de solitaires, dignes émules de ceux de l'Egypte et de la Thébaïde.

 

Jouin allait fonder en Poitou ce qu'il avait vu pratiquer aux environs de Trêves. Après la mort de son frère Maximin, il se retira, lui aussi, à quelques milles seulement de Silly, près d'une villa, nommée Ension ou Enesse, qui faisait sans doute partie du domaine de ses nobles parents.

Ce lieu s'appelait, en latin, Ensio, Enexio, Enessio, Hensio. Le manuscrit de Duchesne, à la Biblothèque Nationale (29), porte : « Antiquissimum s. Jovini monasterium Enixionense seu Hensionense, à viculo Hension. » Il s'appellera plus tard Saint-Jouin-de-Marnes, du nom de son fondateur et de la proximité des marais, qui ont donné son nom à la commune de Marnes et son affixe à celle de Saint-Jouin.

 On disait en latin : « Jovinus-de-Marnis où de Marinis ». C'est ce dernier titre que donne de Mas-Latrie, dans son Dictionnaire de Chronologie (p. 1898). On dit encore d'un certain endroit de la commune : le Gué-Marin, toutes expressions qui rappellent la physionomie du sol et ses marécages. Le 5 avril 1715, le prieur de Saint-Jouin signe : Prieur de Saint-Jouin-sur-Marnes, preuve que l'affixe de Marnes n'est pas tiré de la paroisse de ce nom, mais de la proximité des marais.

Saint-Jouin est une de ces anciennes paroisses, si nombreuses, qui ont d'abord fait précéder leur nom de celui de leur saint patron, puis l'ont finalement laissé tomber dans l'oubli, pour ne garder que ce dernier.

Saint-Jouin s'appelait d'abord Ension ; c'est entre le Ve et le Xe siècle qu'il prit le nom de son premier abbé, dont il gardait la dépouille. On disait Saint-Jouin-d'Ension. A la même époque, Saint-Clémentin, qui avait un petit monastère dépendant de Saint-Florent-de-Saumur, et qui lui aussi conservait les restes de son premier abbé ou prieur, en prit le nom ; mais avant de devenir Saint Clémentin, il fut Saint-Clémentin-de- Ségora et auparavant il avait été simplement Ségora (30).

En suivant son attrait pour la solitude, Jouin ne faisait que se conformer aux exemples de saint Athanase et de son frère l'évêque de Trèves. Saint Athanase avait vécu de la vie des ascètes. Les Pères du concile d'Alexandrie, en 339, racontent comment avait eu lieu l'élection du saint patriarche d'Alexandrie : « Omnem populum caiholicœ ecclesiœ (d'Alexandrie), disent-ils, exclamasse... probum, pium, christianum ex ascetis unum ac verum episcopum. (S. Athanas. Apologia contra arianos, n° 6) » (31).

Saint Maximin, évêque de Trêves, paraît avoir jeté lui-même les fondements du monastère, qui porta plus tard son nom, près de Trèves, et qui devint l'un des plus riches et des plus florissants de l'Allemagne (32).

Jouin trouvait à Ension, assez loin de Loudun, pour ne pas être importuné, une forêt qu'avoisinaient les eaux du Thouet et de la Dive. Il s'y cacha quelque temps et y commença une vie de prières, de travail et de pénitence. Le germe allait s'élever, comme une tige féconde qui ne devait pas tarder à produire des fleurs et des fruits abondants, sous l'influence d'un saint Jouin, d'un saint Hilaire et d'un saint Martin.

D. Estiennot n'hésite pas à reconnaître la très haute antiquité du monastère d'Ension. « Il était déjà bâti, dit-il, l'an quatre cents et fut un des premiers qui reçurent la règle de saint Benoît. » (33).

Nous pourrions sans crainte affirmer que la fondation de saint Jouin fut le premier monastère des Gaules et même de tout l'Occident, si plusieurs ne rejetaient pas l'ancienne tradition qui fait de ce pieux fondateur le frère de saint Maximin, évêque de Trèves, et de saint Maixent, prédécesseur de saint Hilaire sur le siège de Poitiers.

Beaucoup soutiennent que Ligugé fut le berceau de l'ordre monastique chez nous, et ils s'appuient sur un texte de Sozomène (34), qui déclare expressément que, jusqu'au temps de Constance et de saint Martin, l'Occident n'avait point encore de congrégation de moines. Ce témoignage de Sozomène n'est pas contraire à la tradition des moines d'Ension, puisque leur saint fondateur aurait été contemporain de Constance et de saint Martin. Que si l'historien ecclésiastique cite saint Martin, c'est que son nom est incomparablement plus illustre dans l'Eglise que celui de saint Jouin.

On ajoute que saint Benoît construisant, cent soixante-dix ans après la fondation de Ligugé, le célèbre monastère du Mont-Cassin, y fit élever deux oratoires, l'un en l'honneur de saint Jean-Baptiste, l'autre en l'honneur de saint Martin. Il présentait ainsi ces deux saints à la vénération de ses enfants comme deux grands modèles de la vie monastique (35). On conçoit que saint Benoît ait agi de la sorte pour commémorer auprès de ses disciples le nom du grand thaumaturge des Gaules. Sa mémoire égalait celle des Apôtres, et aucun saint n'eut plus de sanctuaires élevés en son honneur.

Mais de ce fait, il n'y a rien à conclure en faveur de la priorité de Ligugé sur Ension, au point de vue chronologique.

D. Basquin, parlant de Ligugé, monastère fondé par saint Martin aux portes de Poitiers, a écrit :

« Au début de l'année 361, le grand évêque de Poitiers, Hilaire, revenait dans sa ville épiscopale, d'où un ordre impérial l'avait arraché six ans auparavant pour avoir soutenu l'intégrité de la foi catholique contre l'arianisme triomphant.

« Presque en même temps arrivait à Poitiers un homme que son extérieur chétif et négligé faisait mépriser. Cet homme était le disciple de l'évêque, un exorciste de l'église de Poitiers, c'était Martin...

« Martin, pendant l'exil volontaire qu'il s'était en quelque sorte imposé tandis qu'Hilaire témoignait de sa foi, s'était initié à la vie solitaire ; il en avait goûté les charmes.

« Martin fit part de son projet à l'évêque. Celui-ci comprit que cette pensée venait de Dieu et eut à cœur de collaborer à cette grande œuvre. Il possédait aux environs de sa ville épiscopale un territoire assez vaste pour qu'une communauté d'ascètes pût y vivre...

« Le premier monastère en Gaule, dans l'ordre chronologique, venait d'être fondé. » (36).

D. Basquin donne la priorité à Ligugé sur Ension. Nous la revendiquons pour ce dernier établissement.

La fondation de saint Jouin date de sa jeunesse. Elle est certainement antérieure à l'épiscopat de saint Hilaire ; elle peut remonter à celui d'Alipius, mais elle ne doit pas dépasser les années de saint Maixent, qui précéda, à Poitiers, le grand champion de l'orthodoxie contre l'arianisme.

On doit donc regarder Ension comme le premier monastère qui s'éleva dans les Gaules, entre 342 au plus tôt et 353 au plus tard. Alors donc commença l'exercice austère et continu de ces vertus héroïques dont le saint abbé donna chez nous le premier exemple. Ses disciples se multiplièrent et vécurent paisiblement sous la houlette de leur pasteur, qui, sans doute, avait reçu la charge pastorale des mains de son saint frère, l'évêque de Poitiers. Quoique séparés en des cellules distinctes, les ascètes vivaient sous un même supérieur, et cette agglomération de modestes habitations de branchages et de feuillages s'appelait une laure.

L'emplacement de cette laure était Ension. Ension était du territoire qui forma plus tard le pagus de Mirebeau et conserva son nom jusqu'au XIVe siècle. Il était arrosé par deux rivières : le Thouet et la Dive. Le Thouet commence près de Secondigny et se jette dans la Loire, après lin parcours de 135 kilomètres, à 4 kilomètres au-dessous de Saumur. La Dive du Nord ou Dive Mirebalaise, distincte de la Dive du Sud, prend sa source au village des Sauls, commune de Mongauguier, près Mirebeau, et se perd dans la rive droite du Thouet, à 8 kilomètres de Saumur.

Cette première retraite de Jouin ne put demeurer si secrète qu'il ne vît un grand nombre de néophytes accourir vers son ermitage et lui demander une règle de vie. Le lieu appelé aujourd'hui le Moulin d'Ension paraît assez bien correspondre à celui qu'avait d'abord choisi notre solitaire. Mais, pour répondre aux désirs de ses frères, il fonda une laure au pied d'une colline peu éloignée, qu'il dédia à saint Jean-Baptiste, l'apôtre de la prédication et de la vie silencieuse, solitaire et pénitente.

Quelle était la vie de ces nouveaux solitaires? Nous sommes réduits à des hypothèses ; cependant, nous ne serons pas téméraires en disant qu'à Ension elle dut être ce qu'elle sera un peu plus tard à Ligugé et à Marmoutier.

 Parmi les moines, les uns étaient appliqués aux travaux des champs, les autres, nouveaux venus dans la vie ascétique, étaient occupés à la transcription des livres; d'autres, plus âgés, vaquaient à Dieu dans la prière et les exercices de la vie contemplative, mais ce n'était là que l'exception, et l'on n'y parvenait qu'après avoir vécu longtemps de la vie du travail et de l'apostolat.

Saint Jouin fit d'Ension le centre de ses courses apostoliques et de celles de ses disciples.

La tradition-veut qu'il ait été disciple de saint Hilaire quand celui-ci avait professé les belles-lettres à Poitiers.

D'après D. Chamard, saint Hilaire avait étudié à Trèves, selon toute probabilité, et s'était ainsi préparé à ses grandes destinées. Eut-il des rapports d'amitié avec Maximin et Jouin, ses deux compatriotes ? tout porte à le croire. Il paraît qu'il fréquenta le lieu appelé aujourd'hui Saint-Jouin-de-Marnes, puis qu'il épousa Florence, née en ce lieu, et en eut une fille appelée Abre.

Hilaire mourut quelque temps après le retour de son glorieux exil. Saint Jouin lui survécut. Il mourut après l'année 368 ou 380 (37), déjà plus que septuagénaire. Par la vie qu'ils avaient instaurée en Occident, Jouin et Martin préludaient à la règle de saint Benoît, qui ne devait naître que deux siècles plus tard.

Avant de quitter ce monde, Jouin avait eu la joie de voir son monastère solidement établi, et prospérer sous l'influence des miracles que Dieu accordait à sa sainteté.

Son corps fut déposé d'abord dans l'église Saint-Christophe, élevée au milieu de la laure primitive, au pied de la colline. Il fut ensuite transféré dans une autre plus grande et plus magnifique, qu'il avait- dédiée lui-même à Notre-Dame et à saint Jean-Baptiste, au sommet de la colline (38).

Un monastère s'élevait en peu de temps, au IVe siècle. C'est que l'architecture de ces temps ne prodiguait pas encore, comme on le fit au XIe siècle, la pierre de taille et le moellon. L'abondance des bois empruntés aux forêts, la facilité de les travailler et la promptitude de la main-d'œuvre étaient autant de raisons pour ne construire que par des enchevêtrements de poutres et de planches mêlées de galets noyés dans un mortier de sable et de chaux. La brique et l'ardoise y avaient un rôle dans le pays où la nature s'y prêtait. Bien fragiles étaient ces édifices. Le feu y faisait de rapides et complets ravages, mais les réparations étaient promptes aussi. C'est ainsi qu'on s'explique l'étonnante rapidité avec laquelle nous remarquons souvent qu'une église incendiée était reconstruite dès l'année suivante, et si complètement remeublée qu'on pouvait y tenir des conciles provinciaux, comme il arriva pour l'abbaye de Charroux.

La forme de l'église ne variait pas. C'était une croix latine, formée par une longue nef, souvent flanquée de deux autres et traversée, en avant du chœur et du sanctuaire, par un transept au-dessus duquel s'élevait la tour du clocher, quand elle ne dominait pas la façade. La fenestration consistait en un certain nombre de baies de petites dimensions, réduites à trois ou cinq dans le sanctuaire et à six ou sept dans chaque mur latéral. Comme dans le cas des trois nefs, les piliers destinés à supporter la toiture étaient en pierre, on leur donnait presque toujours des chapiteaux sculptés d'images symboliques. Aux premiers temps de l'époque mérovingienne, on se contenta le plus souvent d'orner les chapiteaux de feuillages et d'entrelacs capricieux (39).

Telles durent être à peu près les deux églises Saint-Jean-Baptiste et Saint-Jean-l'Evangéliste d'Ension, avant la restauration de cette dernière, à la fin du IXe siècle.

Le nom de basilique est celui que l'antiquité a consacré pour désigner l'église d'un monastère.

Au IVe et au Ve siècle, on donnait le nom d'abbé à tous les supérieurs des communautés monastiques. Il appartint à saint Jouin, qui avait réuni les cellules de ses disciples dans une laure commune (40). Le même nom fut donné à ses successeurs dans le gouvernement des moines, tels furent saint Launégisile, saint Généroux, saint Marcien et saint Martin, seuls abbés connus dans la période de deux cent vingt ans environ, qui sépare la fondation de l'abbatiat de Saint-Martin-de-Vertou.

Ce qui doit frapper le lecteur, c'est le petit nombre d'abbés que l'on rencontre à Ension dans cet intervalle. Saint Jouin a fondé son abbaye en 340 ou 350, Marcien est de la fin du vie siècle, et, dans cet espace de temps, il n'y aurait eu que quatre abbés d'Ension. On voit bien qu'il y a là une lacune, laquelle provient d'une erreur de chronologie. Ces cinq vies d'hommes n'ont pu former la chaîne entre la fondation et Martin. Ces quatre anneaux auraient donc duré chacun un laps de temps de cinquante années. La seule cause d'une telle exagération est dans l'absence de plusieurs abbés, dont les noms ont disparu des traditions.

Celles-ci se sont altérées, par suite des envahissements successifs des Vandales, des Visigoths, des Sarrazins et des Normands. Ces vicissitudes amenèrent la- perte des archives primitives d'Ension. De là, l'impossibilité d'établir la chronologie des quatre premiers siècles de son existence. Quelques noms d'abbés ont subsisté à travers les siècles, d'autres sont tombés dans l'oubli.

 

 

 

Le Ve siècle vit la Gaule envahie par les expéditions militaires des Vandales et des Visigoths, qui réduisirent en cendres les cités les plus florissantes, et condamnèrent les campagnes à une longue et ruineuse stérilité.

En 407, un déluge de Vandales, de Quades, de Gépides, d'Alains, de Burgondes, d'Hérules, de Saxons, d'Alamans inonda la Gaule jusqu'aux Pyrénées. Poitiers subit le sort commun. Les Vandales le ravagèrent d'abord, et les Visigoths l'enlevèrent et s'y établirent vers le milieu du Ve siècle. C'est en 419 qu'Honorius se vit forcé de céder l'Aquitaine à ces derniers (41). Quel fut alors le sort des établissements religieux élevés en rase campagne? Il est facile de le conjecturer. Comment Ension aurait-il échappé à la dévastation et à la ruine, quand Poitiers tombait trois fois entre les mains des Visigoths, dans le Ve siècle, quand la cité voyait renverser ses remparts et abattre ses monuments (42).

La ruine d'Ension et de ses archives dut être la conséquence de ces incursions sans cesse renaissantes. Vinrent ensuite les Sarrazins et les Normands, autant d'envahisseurs dont le vandalisme fut funeste aux maisons religieuses de la contrée.

 Ension eut à gémir sur des dévastations, comme Saint-Hilaire de Poitiers et tant d'autres abbayes.

De là la disparition de ses archives, partant des premières ressources de son histoire et des témoins de son passé si vénérable: Le monastère d'Ension n'avait pas cessé d'exister, quoique de fréquentes vicissitudes fussent venues troubler sa paix, ou bien il s'était relevé de ses ruines.

 

 

Patrimoine, Recherches critiques sur Trois Architectes Poitevin de la fin du XIe siècle. <==.... .... ==> L'Abbaye Saint-Jouin de Marnes - L'an 652 Saint-Philibert visite les monastères des Gaules dont celui de Ension.

 

 


 

(1) Extrait du Bail, de h Société des Ant. de l'Ouest, 4" trimestre 1912, p. 14.

(2) Migne, Patrol. lat., t. CXIX, G66.

(3) Les chanoines de Bar-le-Duc prétendaient posséder une - relique ou portion du corps de leur saint patron, échappée on ne sait comment aux mains des hérétiques sacrilèges. (D.Chamard, Origines de 1 Eglise de Poitiers, p. 311.)

(4) La Rochepozay, Note sur les Litanies des Saints.

(5) Le culte de saint Clair commença aussitôt après sa mort. Le Loudunais possède une église paroissiale où il fut sans doute enseveli, ou que l'on enrichit de ses reliques.

(6) 29 mai.

(7) P. 250.

(8) Hist. de Loudun, 2 partie, p. 120.

(9) Biblioth. du Poitou, 1.1, p. 78.

(10) Auber, Bull, de la Soc. des Ant. de l'Ouest, 1856, p. 84.

(11) Labbe, Bibliolh. nor., II, 735 ; D. Bousquet, XVIII, 317.

(12) Origines de l'Eglise de Poitiers, p. 121.

(13) Opere citato.

(14) Ibid. p. 34.

(15) Ibid. p. 44.

(16) D'abord on appela diœcesis ce que nous appelons maintenant parochia.

(17) Opus. citât., p. 27 et suivantes.

(18) P. 138 des Preuves.

(19) Breviari Pictav. part. hicm., p. 517, lect. IV.

(20) Auber, 4e Bull. de la Société des Ant. de l'Ouest, 1856, p. 85,86,87.

(21) Bolland. Acl. ss. Jun. t. I, p. 71, édit. Palmé, 1867.

(22) Hist. de saint Martin, abbé de Vertou, p. 105; du même auteur, Origines de i'Eglise et de la Province de Poitiers, p. 63.

(23) Palladius, Historia Lousiaca, edit. Butler, II, p. 16-17.

(24) Chrysoslome, In Matheum, tom. VIII (Patr. grec. t. LViI, col. 87).

(25) G. Goyau, Sainte Mélanie, p. 149.

(26) Saint Athanase, Vita S. Antoni, n° 3.

(27) Paul Monceaux, de l'Institut. Un couvent de femmes à Hippone au temps de saint Augustin, dans La Croix, 19 nov. 1913.

(28) Saint Augustin, Confessions, VIII, 6.

(29) Fonds latin, no 35, fol. 3,

(30) Lièvre, Les Chemins Gaulois et Romains entre la Loire et la Gironde, Niort, 1893, p. 45.

(31) Rolland., t. 1, Maï, p. 231, no 260 et p. 234, n° 280.

(32) Bolland., 1.1, Mai, p. 207; Migne, Patrol. lai., t. CIII, col. 605; Patr. Graec , t. XXVIII, col. 1558.

(33) Dans D. Fonteneau, vol. 53, tiré des archives de l'abbaye de Sainte Trinité de Poitiers, Abrégé historique des fondations des Monastères de l'Ordre Bénédictin dans le Poitou et au diocèse de Poitiers.

 

(34) Sozomène, liv. 3, chap. 14.

(35) Annales Bénédict., liv. 3. n'5; cf. Caillcl Tillemont, Longnon, le Gallia Christiana.

(36) Ligugé, son abbaye, ses pèlerinages. 1898, p. 1-2.

(37) Ex velere legendario Jouiniano. Arch. de la mairie de Saint-Cassien, registre de 1665 à 1700.

(38) Ex vetere legendario Jouiniano. Arch. de la mairie de Saint-Cassien, registre de 1665 à 1700..

(39) Auber, Histoire générale du Poitou, t. II, p. 77.

(40) Mabillon, Act. SS 0. B. Pre-f. Sœc. I.

(41) Mém. de la Soc. des Ant. de l'Ouest, t. 1, p. 37

(42) Thibaudeau, Abrégé de l'Hist. du Poitou, 1.1, p. 54, 1re édit.

Publicité
Commentaires
PHystorique- Les Portes du Temps
Publicité
Publicité