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PHystorique- Les Portes du Temps
22 mai 2020

L’histoire de l’Abbaye de Nieul, Légende de Saint Vincent de Saragosse, patron de l’abbaye de Nieul

L’histoire de l’Abbaye de Nieul, Légende de Saint Vincent de Saragosse, patron de l’abbaye de NieulSaint Vincent le plus illustre des martyrs de l'église d'Espagne, était sorti de l'une des meilleures familles de la province qu'on appelait Tarragonoise, natif de Sarragosse. Il fut mis dès son enfance sous la conduite de Valere, évêque de cette ville, qui le forma dans la piété et le fit instruire dans la science de notre religion avec un soin très-particulier, sans négliger les lettres humaines.

Ce Saint prélat le voyant fort avancé dans l'exercice de toutes sortes de vertus le fit diacre de son église, non pas pour le tenir seulement près de lui, et ne l'occuper que de la distribution des saints mystères, mais pour le charger encore du ministère apostolique de la parole de Dieu. Car encore que Valere fût vraiment savant de la science des Saints, et s'acquittât parfaitement de toutes ses obligations épiscopales, il avait néanmoins quelque difficulté à parler, qui le porta à prendre Vincent pour lui servir d'organe dans la prédication des vérités évangéliques qu'il devait annoncer à son peuple.

Vincent s'acquitta de son double emploi comme saint Etienne, et il suivit ses pas avec tant de fidélité et de succès, qu'il parvint presque aussi promptement que lui au bout de la glorieuse carrière qui devait le faire couronner.

Sur la fin de l'an 303, qui était le commencement de la persécution des empereurs Diocletien et Maximien en Espagne, Dacien gouverneur président de la province de Tarragone, d'où dépendaient les villes de Sarragosse et de Valence, fit arrêter l'évêque Valere, et Vincent son diacre avec lui.

 Il les fit conduire à Valence chargez de chaines, se flattant de la pensée que la fatigue des chemins, augmentée par l'épuisement de la faim qu'il leur fit souffrir, pourrait les abattre et les jeter dans le découragement.

Ce fut par de semblables vues que, quand les deux martyres furent arrivez en cette ville, il les laissa longtemps languir dans les horreurs d'une triste prison. Il y vint lui-même quelque temps après, et jugeant que Valere et Vincent devaient avoir l'esprit et le corps suffisamment affaiblis depuis qu'on les maltraitait, il les fit amener devant son tribunal.

Mais il reconnut bientôt à sa confusion combien il s'était abusé et ceux qu'il croyait épuisez de forces se trouvèrent remplis d'un courage tout divin, et plus robustes que jamais nonobstant tous les tourments qu'on leur avait fait souffrir depuis leur départ de Sarragosse.

Ne pouvant comprendre comment des personnes qu'il s'attendait à voir toutes défigurées lui paraissaient au contraire pleines de vigueur, il s'en prit à ses officiers auxquels il fit reproche d'avoir été infidéles à ses ordres, et d'avoir trop bien nourri ces deux criminels.

Cependant quelque penchant qu'il eut naturellement à l'inhumanité, il voulut, dit Prudence, imiter par quelque apparence de douceur les caresses meurtrières des bêtes farouches, qui semblent vouloir se jouer d'abord avec les autres animaux qu'elles doivent dévorer. Car leur ayant fait représenter l'édit des empereurs, qui ordonnait à tous leurs sujets de retenir l'ancienne religion de leurs pères, il les exhorta à ne se point rendre indignes des honneurs dont on devait récompenser leur obéissance, et à se garantir des supplices auxquels s'exposaient ceux qui méprisaient les ordres des -princes, et qui profanaient la dignité de l'ancien culte des dieux par des nouveautés inouïes.

Il voulut remontrer à Valere de quelle importance il était qu'il donnât aux autres l'exemple de la soumission qu'on lui demandait, parce que sa qualité d'évêque qui le faisait regarder comme leur père et leur chef, ne pouvait manquer de les entraîner dans le parti qu'ils lui verraient prendre.

Puis s'adressant à Vincent comme à celui qui serait plus facile à vaincre, il lui dit de prendre bien garde à ne pas dégénérer de la noblesse de sa naissance et à ne pas s'exposer à une mort honteuse et prématurée, étant si jeune, si bien fait, et si propre à répondre aux belles espérances du monde.

L'évêque, retenu par son empêchement de langue et par une espèce de simplicité timide qui s'était accrue dans l'innocence de sa vie, se déchargea encore sur son diacre du soin de répondre au juge.

Alors, Vincent prenant la parole pour les deux déclara fort librement à Dacien ce qu'ils pensaient des démons et des idoles inanimées qu'on faisait passer pour les dieux de l'empire, et ce qu'ils étaient résolus de faire et de souffrir pour Jésus-Christ.

Dacien offensé de la liberté de son discours, lui dit en peu de mots, ou qu'il offrirait de l'encens aux dieux dont il rejetait le culte avec tant de fierté ou qu'il expierait le mépris qu'il en faisait par un sacrifice sanglant dont il serait lui-même la victime.

Vincent lui répondit avec encore plus de véhémence qu'auparavant, qu'il rendrait par tout témoignage à la divinité de Jésus-Christ: que s'il avait à être jugé devant les tribunaux, on devait le faire sur cette déclaration qu'il en donnait mais qu'au reste les supplices les plus exquis et la mort la plus cruelle n'étaient regardez que comme un jeu et un passe -temps bien court par ceux qui étaient remplis et soutenus de la vertu toute puissante du Dieu qu'il adorait; vertu que ces dieux prétendus de l'empire qu'on lui alléguait, n'éprouvaient que trop tous les jours, lorsqu'on les forçait de sortir des possédez, et de reconnaître hautement son divin empire.

Dacien ne put pas supporter plus longtemps une hardiesse si surprenante dans un jeune homme, qui tout enchaîné qu'il était, parlait à son juge comme s'il eût été son maître. Toute sa colère tomba sur lui seul, et s'étant contenté d'envoyer l'évêque Valere en exil il entreprit de faire épreuve des tortures les plus cruelles sur le corps de Vincent, sans prétendre s'arrêter aux bornes que les lois mettaient à la punition des crimes les plus atroces.

Il le fit lier d'abord sur le chevalet, et commanda aux bourreaux de lui étendre et lui tirer avec des cordes les pieds et les mains par le moyen de cette machine. Ce qu'ils exécutèrent avec tant de violence, qu'on entendit ses os se disloquer jusqu'à voir ses membres prêts à être arrachez.

Voyant que Vincent ne faisait que rire de ce tourment, il lui fit déchirer le dos et les cotez avec des ongles de fer d'une manière si impitoyable, qu'on lui dépouilla toutes les côtes et les vertèbres en peu de temps. En cet état le saint martyr, ou plutôt Jésus-Christ dans son serviteur, se moquait encore de la faiblesse du persécuteur et de ses ministres et ce qui augmenta le dépit de Dacien qui avait voulu se rendre le spectateur de ce combat, fut un air riant et un éclat de lumière que Dieu répandit sur son visage. De sorte que ce juge devenu furieux fit maltraiter les bourreaux mêmes qu'il accusait de lâcheté comme de faibles ministres de la justice des dieux et des empereurs, qui se laissaient vaincre par la patience du criminel.

Mais ces mauvais traitements n'eurent pas beaucoup d'effet sur des gens qui ne manquaient de forces, que parce qu'ils les avoient épuisées sur le corps de Vincent, et qui se trouvaient en ce moment dans l'impuissance de lui faire aucun mal pour lui en avoir trop fait.

Cette tranquillité surprenante qu'avait le saint martyr au milieu de ses douleurs, porta Dacien à procurer du relâche aux bourreaux, afin que ce repos leur donna lieu de reprendre de nouvelles forces, et que les plaies de Vincent devinssent plus sensibles à mesure qu'elles se refroidiraient.

Son dessein était de le faire ensuite déchirer tout de nouveau, et de rouvrir ses plaies, afin que cette multiplication de douleurs servît à vaincre enfin celui qui l'avait ainsi vaincu dans le premier combat.

 Le Saint, qui semblait se divertir de la cruauté des hommes, convia Dacien de prendre la place des bourreaux pendant que ceux-ci se reposeraient, et d'achever de détruire par ses mains un corps destiné à la mort dès sa naissance.

Dacien regardant comme une insulte atroce ce que le Saint lui dit, se sentit percé jusqu'au vif des paroles toutes de feu que l'esprit de Dieu lui mettait dans la bouche. De sorte que ne se possédant plus lui-même, il fit revenir les bourreaux à la charge, et leur ordonna de ne plus garder de mesures. Leurs redoublements ne furent point capables d'ébranler celui que Dieu soutenait si puissamment. Les ruisseaux de sang qui lui sortaient de tous les endroits du corps, et l'affreux spectacle d'un homme entièrement défiguré, dont on voyait le foie et les entrailles tout à jour, et dont la vie ne pouvait plus subsister sans un miracle tout visible, semblèrent rallentir un peu la fureur du juge.

Voyant que le Saint était invincible au supplice, il fit surseoir les tourments mais pour ne point abandonner le jugement de sa cause, il lui dit, que puisqu'il était si fort prévenu contre les sacrifices des dieux, et qu'il ne pouvait se résoudre à mettre la main sur leurs autels, il fallait au moins qu'il livrât les livres cachez qui contenaient les mystères de sa secte, afin que cette semence d'impiété fût jetée au feu.

Mais Vincent qui respectait l'esprit de Dieu dans sa parole, répondit avec quelque sorte d'indignation au juge, que le feu dont il menaçait les livres saints, était bien plus justement destiné pour punir son impiété. Il ajouta que la fausse compassion qu'il semblait faire paraitre en son endroit, était bien plus à craindre pour lui que ses premières rigueurs, et qu'ainsi il lui ferait plaisir de ne le point épargner.

Dacien se croyant poussé à bout par ces derniers témoignages de la constance et de la résolution du Saint, rentra dans les premiers sentiments de sa cruauté et il le condamna à la question du feu, des larmes ardentes et du lit de fer rougi.

Vincent regardant ce nouveau supplice comme une véritable faveur qu'on lui faisait, marqua sur son visage la joie sensible qu'il avait dans le coeur de se voir transporter du chevalet au lit de fer, qui n'était autre chose qu'une grille dont les barres travaillées en forme de scie, étaient toutes remplies de pointes fort aiguës, et que l'on posait sur un grand brasier de charbons allumez. On l'étendit sur ce lit, et on l'y lia de chaînes de fer; on lui fouetta cruellement le dessus du corps, tandis que le feu grillait le dessous.

On lui appliqua ensuite des lames de fer toutes rouges sur toutes les parties, et l'on jeta du sel dans ses plaies en si grande quantité, que tombant dans le feu et rejaillissant par la force de ce même feu sur sa chair, les grains en devenaient comme autant de traits perçants qui pénétraient ses nerfs avec une douleur très-aiguë.

La violence du feu augmentait encore à mesure que la graisse de son corps se fondait. De sorte que tout contribuait à la fois à montrer d'un côté jusqu'où pouvait aller la cruauté des idolâtres animez de l'esprit du démon, et de l'autre la fermeté et le courage d'un martyr soutenu de la grâce de Jésus-Christ.

Car au milieu de tous ces tourments auxquels on ne saurait penser sans horreur, Vincent demeurait immobile, l'esprit paisible et content, les yeux élevez au ciel, et le cœur où se formait sa prière attaché uniquement à Dieu. Il semblait qu'à force de souffrir, il ne pouvait plus souffrir, ou que c'était un autre que lui qui souffrait. Aussi n'était-ce qu'à la présence efficace du Seigneur dans l'âme et dans le corps du martyr, qu'on devait attribuer cette conservation toute miraculeuse, et ce prodige inouï de patience que sa seule toute puissance peut rendre croyable.

L'inquiétude où était Dacien pendant ces dernières tortures auxquels n'avait osé se trouver, se tourna en un véritable désespoir, lorsqu'il apprit que le martyr triomphait sur le lit de fer, et confessait le nom de Jésus-Christ plus haut que jamais. Ne sachant plus par quel moyen venger l'honneur de ses dieux, celui des empereurs et le sien propre, il crut qu'il lui était plus avantageux d'ôter aux yeux du public un objet qui lui reprochait si ouvertement son impuissance.

Il le fit donc enlever dans un cachot où le jour n'entrait jamais il ordonna qu'on lui étendît les jambes, et qu'on lui passât les pieds en travers dans une machine de bois nervus ; qu'on le couchât ainsi sur des pointes de pots cassez; qu'on l'enfermât sans lui donner de nourritures et de rafraîchissements, et sans permettre que personne lui parlât et que quand il serait expiré on vînt lui en donner avis.

Mais Dieu confondit encore ce persécuteur dans toute sa prévoyance, car il dissipa tout d'un coup les ténèbres de la prison par l'éclat soudain d'une lumière toute céleste, il guérit toutes ses plaies par une vertu invisible, rétablit son corps dans une santé et une beauté plus parfaite qu'auparavant.

L'amas des pointes piquantes où on l'avait couché, fut changé en un lit de fleurs qui remplirent le lieu d'une odeur agréable. Les anges mêmes parurent lui tenir compagnie, et chanter avec lui des cantiques de louanges à Dieu de sorte que cette affreuse prison se trouva convertie en un paradis et en un lieu de délices.

L'éclat de la lumière, et l'harmonie des voix ayant pêne la porte du cachot, donnèrent de la frayeur aux gardes et le geôlier s'étant approché, fut encore plus surpris de voir la terre couverte de fleurs, et le martyr se promener en liberté.

Dacien, averti du miracle, demeura saisi et consterné. Mais la justice de Dieu l'abandonna dans son endurcissement, tandis que sa miséricorde se répandit sur le geôlier, les gardes et les soldats qui se convertirent la plupart à la vue de tant de merveilles. « Que faire davantage, dit ce juge désespéré? Il faut succomber, puisque nous sommes vaincus. Mais empêchons au moins que sa complaisance n'augmente, et ôtons lui toute matière de se pouvoir glorifier davantage. »

Il ordonna à l'instant qu'on mit Vincent sur un lit fort mou et qu'en cet état on lui procurât toutes sortes de soulagement. A cette nouvelle les chrétiens de la ville accoururent avec empressement pour voir et embrasser cet illustre martyr de leur maître commun. Ils lui témoignèrent leurs respects à l'envi, le félicitèrent, le comblèrent de louanges, baisèrent ses cicatrices, et trempèrent des linges dans ce qui restait de son sang pour les garder dans leurs familles comme des préservatifs contre les maux de la vie. Dieu ne permit pas que le persécuteur reçût même cette satisfaction frivole dont il s'était flatté. Car au moment qu'on coucha le saint martyr sur le lit, il le retira à lui par une mort si douce et si tranquille, qu'on ne la put distinguer d'abord-du sommeil.

C'est ce qu'on croit être arrivé le XXIIe de janvier l'an 304.

 

. HISTOIRE DE SON CULTE.

 

Dès que Dacien eut avis qu'il avait rendu l'esprit, il donna ordre qu'on traînât son corps dans un lieu marécageux où il pût être mangé des bêtes. Mais Dieu commit un corbeau, celui des oiseaux carnaciers qui l'aurait le plus avilement dévoré d'ailleurs, pour le garantir contre l'approche de toutes sortes d'animaux. On vit avec grand étonnement ce fidèle gardien donner la chasse aux autres oiseaux de proie, aux bêtes farouches, et particulièrement à un grand loup qu'il fit retirer. Mais tout extraordinaire qu'était ce nouveau prodige, il devait paraitre encore moins surprenant que l'aveuglement de Dacien qui commanda qu'on jetât le corps du Saint dans la mer, afin de se délivrer enfin de l'objet d'une personne dont le souvenir lui tenait lieu d'un grand supplice, et empêcher aussi les chrétiens d'aller à son tombeau lui rendre les honneurs destinez à ceux qui mouraient pour la défense de leur religion.

Il fut cousu dans un sac, conduit sur une chaloupe en pleine mer, et précipite au fond des eaux avec une grosse pierre à laquelle on l'avait attaché. Mais la main invisible du Seigneur rendit cette prévoyance inutile, et soutint le corps du martyr contre le poids de la pierre. Elle le conduisit miraculeusement à travers les flots jusqu'au bord où les Fidèles vinrent le prendre secrètement. Ils l'enterrèrent dans une petite chapelle, où ils tirent leurs stations jusqu'à la paix de l'Eglise, qui lui donna lieu de lui procurer une sépulture plus magnifique dans une église nouvellement bâtie hors des murailles de la ville de Valence.

Son culte y devint fort célèbre par les miracles et les grâces que Dieu accorda aux Fidèles sur son tombeau, qui fut par ce moyen un monument éclatant de la gloire et du crédit dont il jouissait au ciel. On ne peut dire en combien peu de temps ce culte se répandit ensuite non seulement en Espagne, mais dans toute l'étendue de la chrétienté, même au -delà des bornes de l'empire romain.

 Il est aisé d'en juger par la manière dont saint Augustin s'en est expliqué dans un des sermons qu'il a prononcez à la gloire de saint Vincent, où il témoigne que de son temps il n'y avait point de province dans l'Empire, ni de lieu du nom chrétien où on ne célébrât le jour de la fête de ce saint martyr.

Les Latins et les Grecs se sont toujours accordez à la solenniser le XXIIe de janvier, comme au jour assuré de son triomphe. Ce qui n'a point empêché ces derniers de renouveller encore sa mémoire tous les ans et d'en faire une seconde fête dans presque tout l'Orient l'onziéme de novembre.

Parmi les premiers la fête s'est accrue en plusieurs de leurs provinces de telle sorte, qu'elle a été longtemps chômée d'oeuvres serviles et de plaidoiries, sur tout en Espagne et en France, où ce saint martyr est devenu titulaire de plusieurs cathédrales, et patron d'un nombre infini de paroisses, de chapitres et de monastères.

L'obligation de la fêter ainsi, a été retranchée depuis dans tous les autres endroits du royaume, où la coutume et l'usage l'avoient introduite, pour le soulagement des peuples que le travail des mains fait subsister, et laissée à la dévotion des Fidèles. En quelques endroits de l'Angleterre, la fête a été longtemps du nombre de celles où il était seulement permis de labourer la terre, et où tout autre travail était défendu. Depuis que l'église anglicane s'est séparée de l'église romaine pour le schisme et l'hérésie, elle s'est contentée de retenir le nom de saint Vincent dans le calendrier de sa liturgie reformée.

 

Ses Reliques.

Ce fut principalement depuis l'an 542 que le nom et le culte de saint Vincent devint célèbre en France, lorsque les rois Childebert et Chlotaire revinrent victorieux de l'Espagne, après en avoir subjugué plusieurs provinces. Childebert avait souvent entendu parler du martyre et de la gloire de saint Vincent au bienheureux Germain évêque de Paris.

De sorte qu'étant au siège de Sarragosse, et ayant appris que les habitants avoient une confiance particulière en la protection d'un Saint qui avait été autrefois ministre dans leur église, que c'était même son assistance qu'ils réclamaient contre les assiégeants, dans une procession qu'ils firent en sa présence sur leurs remparts, où ils avoient porté son étole, il se tint fort honorablement payé de cette étole que l'évêque de Sarragosse voulut bien lui donner pour le prix de la liberté qu'il accordait à la ville et au diocèse.

Ce vêtement qu'on qualifie ordinairement du nom d'étole, était une espèce de tunique de dessus qu'on prétendait avoir servi à saint Vincent, lorsqu'il faisait la fonction de diacre sous l'évêque Valere. Ce prince apporta cette précieuse dépouillé à Paris, et la mit entre les mains de saint Germain son évêque, qui lui persuada de bâtir une église sous le nom de ce saint martyr près de la ville de Paris.

Elle fut dédiée par ce saint prélat sous le titre de la Sainte-Croix et de Saint-Vincent le premier jour de janvier de l'an 559 qui fut le dernier jour de la vie de Childebert; donnée à des religieux sous la conduite de saint Drotovée ou Drotté, que ce saint évêque y établit pour premier abbé; et appelée communément du nom de saint Vincent, jusqu'à ce que quelques siècles après elle prit insensiblement celui de saint Germain de Paris qu'elle garde encore aujourd'hui, quoi qu'on y continue toujours la fête de saint Vincent comme de premier titulaire.

Saint Germain ne mit point dans cette nouvelle église d'autres reliques de saint Vincent que l'étole ou la tunique apportée de Sarragosse avec beaucoup de vases précieux, des croix délicatement travaillées, des exemplaires magnifiquement conditionnez des saints Evangiles, et d'autres richesses dont les rois Childebert et Chlotaire avoient dépouillé l'Espagne, et surtout la ville de Tolède.

Mais on ne doit point s'arrêter à ce qu'a dit l'auteur du martyrologe de l'église Gallicane, qui a voulu sans autorité persuader au public que le roi Childebert avait transporté de Valence en France la plus grande portion du corps de saint Vincent, et qu'il l'avait déposée dans la nouvelle église qu'il bâtit depuis sous son nom près de Paris. Que l'autre partie des reliques avait été transférée durant l'invasion des Sarrazins de Cardone à Capoüe en Italie; et de là dans la suite des temps à Metz en Lorraine par le moyen de l'évêque Diederic mais que pour le chef du saint martyr, Childebert en avait fait un présent à l'église du Mans, et que l'évêque du lieu nommé Domnole l'avait mis dans l'église de l'abbaye de saint Vincent aux faux-bourgs.

Ce que l'auteur dit des reliques de Metz et du Mans avait déjà été avancé, quoique diversement par d'anciens écrivains. Il semble même que dès le temps de saint Gregoire de Tours on croyait en avoir aussi de bien avérées à Poitiers et dans quelques églises de la Touraine, à l'occasion desquelles on disait que Dieu avait fait divers miracles.

Un historien de l'onzième siècle, rapporte aussi que Robert roi de France fit présent à l'empereur saint Henry d'une dent de saint Vincent précieusement enchâssée, sans nous apprendre où Robert l'avait prise, ni ce qu'en fit saint Henry.

Enfin les églises de Tournay, de Bruxelles, de Mayence, de Prague en Bohème, et de quelques autres villes encore, se flattent d'avoir des reliques de saint Vincent. Mais ce qu'on en peut penser de plus favorable, se réduit à croire que ce pourraient être des reliques de quelques autres Saints qui auraient porté le nom de Vincent. Car voici en abrégé l'histoire de celles de nôtre saint martyr, telle que l'a décrite fort au long Aimoin qui vivait sous Charles-le-Chauve et ses successeurs, et dans le temps que s'en fit la translation en France.

 

Leur translation.

L'an 855, un religieux du monastère de Conques au diocèse de Rhodez, nommé Hildebert, ayant appris par révélation ou autrement que le corps de saint Vincent était enterré dans une église ruinée du faux-bourg de Valence en Espagne, qui avait été pillée et détruite par les infidèles, reçut ordre d'aller lever de terre ces précieuses reliques, et de les transporter en son monastère pour leur faire rendre l'honneur qui leur était dû.

Il communiqua l'affaire à un autre prêtre de sa communauté nommé Audalde son ami particulier, qui s'y rendit d'autant plus volontiers qu'un Espagnol l'avait assuré peu de temps auparavant que le corps de saint Vincent était dans un lieu abandonné, d'où il serait facile de le tirer sans crainte d'obstacle de la part de personne. Ces deux religieux formèrent donc le dessein d'enlever ces reliques, et par la permission de Blandin leur abbé ils passèrent en Espagne avec deux serviteurs. Mais Hildebert ayant été obligé de revenir en France pour les incommodités du chemin dont il ne put soutenir la fatigue, Audalde poursuivit sa route, arriva enfin à Valence, et par le secours d'un More nommé Zacharie chez qui il s'était logé, il déterra le corps du saint martyr. Il reprit le chemin de France par l'Arragon et logea à Sarragosse chez une femme dévote, laquelle s'étant aperçue que son hôte au milieu de la nuit avait allumé deux cierges et récité des psaumes devant son sac, se douta qu'il emportait des reliques, et en alla donner avis aussitôt à l'évêque de la ville nommé Senieur.

Ce prélat fit descente chez la femme dès le matin, et visita les hardes d'Audalde qui était sorti. Il y trouva les reliques qu'il emporta, et il les fit enterrer dans sa cathédrale. Audalde à son retour s'aperçut du tour qu'on lui avait joué; et outré de douleur il alla faire ses plaintes à l'évêque, à qui il voulut faire croire que c'était le corps de ses parents qu'il avait racheté fort chèrement d'entre les Mores pour le porter dans le tombeau de ses pères.

Le prélat ne doutant presque point que le moine ne mentît, lui fit donner une très-rude question pour l'obliger à déclarer de quel saint étaient les os qu'on lui avait trouvez dans son sac, et où il les avait pris. Audalde pressé par la violence des tourments, dit que c'étaient les reliques d'un saint nommé Marin : et sur cette déclaration qui était une nouvelle défaite on le laissa aller. Lorsqu'il fut arrivé à Conques, on se moqua de tout ce qu'il voulut dire de ses aventures et de ses disgrâces, et ses confrères le chassèrent comme un moine coureur et vagabond.

 Il se retira près de Gilbert abbé de Castres, qui le reçut au nombre de ses religieux. Ceux-ci furent plus crédules que ceux de Conques, sur ce qu'il leur raconta de son voyage à Valence. Le désir d'avoir les reliques de saint Vincent, leur fit employer le crédit de Salomon comte de Cerdagne dans les Pyrénées, auprès du roi des Mores résidant à Cordouë, qui manda au gouverneur de Sarragosse d'obliger l'évêque Senieur à rendre ce qu'il avait pris à Audalde.

Senieur fut contraint d'obéir et les moines de Castres partis de Sarragosse avec leur précieux dépôt, ne furent pas plutôt sur les terres de France, qu'ils publièrent que c'étaient les reliques de saint Vincent diacre de Sarragosse et martyr à Valence.

Cette translation qui se fit sous l'abbé Salomon vers l'an 864, fut accompagnée de divers miracles mais il serait à souhaiter que la vérité d'un fait si important, eut été attestée par quelque garant de meilleure foi que n'était le moine Audalde, dont il faut avouer que la négociation pourrait être rendue suspecte par la conduite qu'il tint à Valence et à Sarragosse.

C'est néanmoins sur le récit du seul Audalde qu'Aimoin, religieux de saint Vincent de Paris, c'est-à-dire de Saint-Germain-des-Prés, composa l'histoire de cette invention à la priére de Bernon abbé de Castres, successeur de l'abbé Salomon. Rigaut, successeur de Bernon, fit bâtir une magnifique église sous le nom de saint Vincent, et vers l'an 884, il y fit solennellement la translation de ses reliques, dont la fête est marquée au XXVII d'octobre.

Les Espagnols et les Portugais qui nous ont donné l'histoire du transport qu'ils prétendent avoir été fait des reliques véritables de saint Vincent à Lisbonne au douzième siècle du temps du roi Alfonse Henriquez, se récrient hautement contre la relation d'Aimoin, qu'ils traitent de fable et d'invention monacale. Ils allèguent les monuments publics de leurs royaumes, et une histoire de cette prétendue translation écrite par Etienne, précenteur ou chantre de l'église de Lisbonne, qui avait eu part à la cérémonie.

Depuis l'an 1173, on en célébra une commémoration annuelle en Portugal, le XV, de septembre, qui est le jour auquel on dit qu'elle se fit: mais cette fête s'étant ralentie dans la suite elle fut rétablie avec plus de solennité l'an 1590, par le pape Sixte V qui en approuva l'office double.

 Cependant il faut reconnaître que tout ce qu'ont écrit ces auteurs, est moins propre à nous persuader la vérité de cette translation du corps de saint Vincent à Lisbonne, qu'à nous faire douter de celle de l'histoire d'Aimoin touchant les reliques de Castres en Languedoc.

Ceux qui reçoivent l'une et l'autre translation comme véritable, prétendent que ces deux enlèvements n'avaient pas encore épuisé le tombeau du saint martyr à Valence, quelque protestation qu'on ait faite à Castres et à Lisbonne d'y posseder le corps tout entier. Ils ajoutent sur la foi d'une narration égale en antiquité à celle de Lisbonne, que peu de temps après qu'on eût transporté les reliques de saint Nicolas à Bari en Italie, un évêque de Valence passant pour aller à Jérusalem, y laissa en mourant un bras de saint Vincent enchassé dans un reliquaire d'argent.

Ces diversités peuvent nous retenir dans une juste incertitude touchant la manière dont il a plu à Dieu de disposer du corps de saint Vincent sur la terre et l'on ne peut blamer la précaution que l'on apporte maintenant contre la facilité ou le peu de discernement qui paraissait dans le zèle extraordinaire qu'on témoignait au moyen-age de l'église, pour s'enrichir à quelque prix que ce fût des reliques des Saints.

 Celles de saint Vincent ont été miraculeusement protégées de Dieu dans les commencements, puis conservées et exposées aux yeux des Fidèles autant de temps qu'il en a fallu pour consoler l'Eglise, pour nous assurer de la gloire dont il a couronné son saint martyr, et pour nous affermir dans la foi qu'il a défendue et scellée de son sang.

Maintenant. que nous n'avons plus besoin que du souvenir de ses grands exemples, que tous les démons et les hommes ensemble ne peuvent nous ôter, nous pourrions entendre sans trouble et sans désespoir les efforts que les ennemis du culte des Saints ont faits pour dissiper leurs reliques et jeter leurs cendres aux vents, comme on prétend qu'ils firent l'an 1562, à l'égard du cœur de saint Vincent qu'ils brûlèrent à Dun-le-Roy en Berry, dans la créance que c'était celui de nôtre illustre martyr, qu'on disait avoir été donné par Thibaut comte de Sancerre.

Ce que l'on croit avoir aujourd'hui des reliques de saint Vincent dans l'église de Saint-Germain-des-Prés à Paris, y a été apporté, dit-on, de la ville de Castres en Languedoc vers l'an 1215, sous le règne de Philippes-Auguste, par son fils même Louis VIII dit « le Lion », qui parvint à la couronne huit ans après.

 

 

==> Découverte de l'Abbaye Royale par Prosper Mérimée – Description de l’Abbaye Saint-Vincent de Nieul-sur-l'Autise.

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