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PHystorique- Les Portes du Temps
11 juillet 2020

NOTES SUR L'ABBAYE DE GRANDSELVE fondée en 1117 par Géraud de Salles, abbé de Fontevraud.

L'abbaye de Grandselve

L'abbaye de Grandselve fut fondée en 1117 par Géraud de Salles (ou Giraud), abbé de Fontevraud. Elle fut bâtie au centre d'une immense forêt (Grandisilvae) et sur les bords de la. Nadesse; cette petite rivière coule dans la commune de Bouillac, canton de Verdun (1), éloignée du monastère de quelques kilomètres seulement.

On a écrit que le nombre de religieux était de huit cents pendant le douzième siècle; ils étaient deux cent soixante-dix-neuf en 1306; réduits à quarante en 1609, ils n'étaient plus que seize en 1790.

Le vaste territoire, au centre duquel l'abbaye fut construite, avait, des rives de la Gimone aux limites de la juridiction de Grenade, vers Toulouse, une étendue presque sans solution de continuité, de 38 kilomètres, sur une largeur moyenne de 12 kilomètres.

Dans son développement, l'abbaye embrassait les seigneuries de Beaumont (2), de Grenade (3), de Bouillac (4), une partie de celle de Verdun et, en plus, la vaste forêt de Grandselve.

Les deux villes de Beaumont et Grenade, fondées par les moines à la fin du treizième siècle et possédées en paréage avec le roi, occupent les deux extrémités des possessions de Grandselve.

Les bâtiments réservés aux moines étaient séparés des dépendances de l'église par un passage voûté donnant accès dans toutes les parties du monastère, en avant duquel était placée l'hôtellerie des étrangers.

 L'enceinte murée enveloppait une surface de huit hectares. Une colonnade, en marbre blanc des Pyrénées, formait le pourtour du cloître et soutenait les arcs ogives, en marbre de même provenance.

La basilique remarquable, dit-on, présentait tous les caractères du style romano-bysantin. L'arc à plein cintre y dominait, mais l'ogive y apparaissait déjà (1249-1252), Des tableaux de maîtres, des peintures murales, des sculptures, des bas-reliefs, des vitraux se trouvaient dans les diverses parties de l'abbaye.

Une riche bibliothèque, un cabinet de physique étaient mis au service des hommes d'étude assez nombreux parmi les moines. De riches archives, dispersées ou perdues, y étaient réunies.

Un fonds de Grandselve existe aux archives de la Haute-Garonne, ainsi qu'une copie de la première partie de l'Inventaire général qui en fut fait en 1685, par ordre de messire Gabriel de Roquette, évêque d'Autun et abbé de Grandselve.

Le temps a effacé la trace de cet édifice et sur le sol désolé, il ne reste même pas une pierre pour en rappeler la grandeur (5).

En 1117, Amélius, évêque de Toulouse, avait adhéré à la fondation de Grandselve en faveur de maître Géraud de Salis et de ses disciples, sous la condition essentielle de bâtir une église « à l'honneur de Dieu -, Notre-Dame de la Magdelene, et d'y construire des maisons pour leur habitation. »

A l'exemple des moines de Citeaux, la règle de saint Benoît devait être observée par les religieux placés sous la direction du premier abbé qui reçut en don, la même année, d'Olivier de Bessens et de Algardis, sa femme, Une bonne partie du terroir de Grandselve (fol. 1, n°s 1 et 2).

Le même évêque les confirma aussi dans la possession des biens acquis ou à acquérir, aux lieux et granges de Grandselve, de Figarède, de Caudeville, de Ricancelle, de Beaumont, de Bouillac, de Saint-Germain et dans les terres de leur labourage (fol. 2, n° 2).

On voit déjà poindre l'espoir d'étendre la domination de l'abbaye dans la contrée. La générosité de la famille de Bessens fut donc le point de départ de la fortune immobilière des moines, en même temps que le berceau de leur puissance temporelle. Ne pouvant rien posséder sans autorisation, c'est le pape Innocent II qui, après les évêques, leur assure la possession des terres provenant des libéralités primitives, situées entre les quatre églises de Ricancelle, Beaumont, Bouillac et Saint-Germain.

Dans cette bulle, signée du pape et de sept cardinaux, sont comprises les granges de Coubirac, Comberoger, Banhols, Fontfrède (1142).

De cette époque date le droit d'élire leurs abbés ; il en est de même du droit de ne payer aucune dîme de leurs bestiaux, ni des terres qu'ils faisaient travailler «à leur main » ou à leur dépens.

En 1159, le pape Alexandre III confirma un accord passé entre l'abbé, les religieux d'une part, et l'évêque de Toulouse, Bernard, de l'autre, touchant les dîmes et les terres de leur labourage.

Trois ans plus tard, il met l'abbaye sous sa protection et confirme encore en la possession de Pons, abbé, et des religieux, tous les biens acquis, présents et à venir, y compris les granges précédentes et celles de Saint-Jean de Bolhaguel, Nonas, Villélongue, Calcassac, Saint-George,. Vieilleaigue et Riumanet.

Cette confirmation est encore signée de dix cardinaux, de plusieurs évoques et d'un sous-diacre (fol. 3, n° 2).

L'action des moines ne tarda pas à franchir les Pyrénées. Aldephonse (Alphonse IX, roi de Castille probablement) « empereur de toute l'Espagne », leur accordait, en 1190, une rente de 100 marabotins d'or (6), confirmée par l'archevêque de Tolède et par d'autres prélats, témoins dans l'acte de donation (fol, 3, n° 8).

Déjà, en 1168, le comte de Toulouse, Raymond V, leur avait confirmé la propriété des biens, acquis ou à acquérir dans ses terres.

En 1197 Raymond VI, son fils et celui de la reine Constance, reconnaissait à son tour les donations faites par son père. Ces générosités s'étendent, en 1210, à toutes les églises et maisons religieuses des provinces d'Arles, de Vienne, de Narbonne, d'Auch, de Bordeaux et du Quercy.

 A la sollicitation et du mandement du légat du Saint-Siège, le comte leur accorde encore les exemptions et les privilèges qui leur sont concédés par les canons et promet de ne jamais leur réclamer d'exaction, albergue, subside ni taille. Il s'engage, en outre, à ne point se mêler des élections des évêques et recteurs, ni de l'administration de leurs biens. Il les défendra, au contraire, de toutes ses forces quand besoin sera (fol. 3, n° 9).

Bientôt après cependant nous voyons les moines se mêler au mouvement qui donna naissance à la guerre contre les Albigeois. Ils reçoivent, en effet, de Simon de Montfort des coutumes dans lesquelles il est dit qu'une amende de six deniers tournois serait appliquée à tout maître de maison qui n'assisterait pas à la messe, les dimanches et jours de fêtes... que leurs terres seraient exemptes de péage... que tout refuge accordé aux hérétiques entraînerait la perte de ses biens... juifs et hérétiques étaient exclus des fonctions administratives ou autres... (fol. 3, n 10).

Ces coutumes, qui précèdent d'une année la désastreuse bataille de Muret, disent assez quelle était, dans le Midi, la puissance de Simon de Montfort, comte de Licestre (Leicestre), seigneur.de Montfort, vicomte de Béziers et de Carcassonne, seigneur de l'Albigeois et du Rouergue.

En accordant ces privilèges aux chevaliers, églises, religieux.... en présence des évêques de Bordeaux, de Périgord, de Toulouse, de Bigorre, de Couserans, de Commenge, de vice-légats du Saint-Siège et d'un grand nombre de barons, il faisait acte de potentat, encouragé par ceux qui l'aideront de près ou de loin à réduire l'omnipotent comte de Toulouse, devenu le protecteur des hérétiques (fol. 3,n° 10).

Oubliant la munificence du comte, dont les efforts tendent à conserver une renommée qui l'abandonne, les moines deviennent des adversaires redoutables. La même année, en effet, ils déposent une plainte contre ce dernier, à propos de diverses foules commises dans le pays, par lui-même ou ses alliés. C'étaient les comtes de Foix, de Commenge et de Turenne, Castori de Béarn ou leurs gens, qui avaient causé de grands dommages, tant à l'abbaye de Grandselve qu'aux granges do Banhols, Larra, Vielleaigue ou Grenade, Nonas, Villelongue, Coubirac, Tarride, Calcassac, Lassalle, au collège Saint-Bernard, de Toulouse et encore aux moulins de Bourret et de Pioulel. Ils y avaient « pris et enlevé grains, vins, bestiaux, « meubles, ornemens et cavaux (7), ruiné les moulins et les « chaussées et fait de très grands frais audit monastère par leur logement et passage » (fol. 3 et 4, n° 11).

Ce pillage souleva une animosité implacable contre le comte de Toulouse et la cause qu'il avait embrassée. Après avoir été excommunié et dépouillé de ses biens, il dut subir un traité onéreux qui le mettait sous la dépendance du clergé dont il fallut se déclarer le protecteur non l'ennemi. Il fut plus tard rétabli dans ses biens aux conditions suivantes :

Les abbayes de Cîteaux, de Grandselve, de Belleperche, de Candeil reçurent chacune leur part de la rançon du comte qui dut fournir, en outre, 6,000 marcs pour les fortifications du château de Narbonne et autres, livrés à l'occupation du roi pendant dix ans.

Il fut obligé de faire la guerre aux Sarrasins, de passer outre-mer et d'y rester cinq années... Il dut encore donner la main de sa fille au frère du roi, après lequel le comté de Toulouse serait réuni pour toujours à la couronne.

Il promit aussi de faire raser les murailles et combler les fossés des villes de Toulouse, de Fanjaux, de Castelnau, de Labessède, de Rabastens, Gaillac, Montagut, Podiocelsi, Verdun, Castelsarrasin, Moissac, Montauban, Montcuc, Agen, Condom, Saverdun, Hauterive de Cassaniuls, Pujols, Auvilar,Peirouse, Lavaur et de cinq autres villes au choix du légat... De plus, il devait remettre pendant dix ans au roi et pour sa sûreté, les villes et châteaux de Narbonne, Castelnau, Lavaur, Montagut Lapène-d'Agenois, Cordes, Roquepeirouse, Verdun, Villemur, parmi lesquels le roi pouvait ruiner ceux de Lavaur, Castelnau, Villemur et Verdun... 1229 (fol. 4, n« 12).

La répression était complète. Aussi, par son testament du 9e des calendes d'octobre 1249, réduit à l'impuissance, le malheureux comte élit sa sépulture au monastère de Fontevrault, dans le tombeau de la reine Jeanne, sa mère; d'Henry, roi d'Angleterre, son aïeul; du roi Richard, son oncle ; il fait plusieurs legs pies et laisse, entre autres, 100 marcs à la fabrique des églises de Grandselve et de Belleperche.

Il confirme, en outre, tous les privilèges précédemment accordés aux abbayes... et tâche de réparer enfin, avant de mourir, tout le mal qu'il avait soi-disant fait à l'Eglise en soutenant l'hérésie albigeoise (fol. 5,  17).

II

La puissance de Grandselve grandit par la faveur du Saint-Siège qui eut en eux d'utiles auxiliaires, particulièrement pendant la Croisade des Albigeois. Cette faveur est attestée par de nombreuses bulles des papes ; on en compte une centaine au moins où sont résumés les privilèges accordés à l'abbaye, dans la suite des temps. La plupart avaient pour objet les règlements relatifs à la conduite intérieure des moines, auxquels on défendait, en 1188, d'aller à Jérusalem, sous prétexte de la Croisade; toute infraction à cette défense était frappée d'anathème (fol. 39, n° 3),

En 1232, le pape mande aux archevêques et évoques dans les diocèses desquels sont situés les biens de l'abbaye, de « lâcher » l'excommunication contre les détenteurs et usurpateurs de ces biens et contre ceux qui voudraient lever les dîmes appartenant au monastère. L'archevêque d'Auch étendit ces mesures préservatrices dans son diocèse où s'élevaient des difficultés. Il menaçait, en effet, les Usurpateurs de les priver de sépulture et des offices divins. La même peine était réservée à ceux qui battraient les religieux, frères convers et domestiques du monastère.

Ces décisions préventives font supposer que les moines détachés de Grandselve dans leurs possessions éloignées, ne jouissaient pas d'une estime sans borne partout où ils étaient établis. D'ailleurs le calme n'existait pas toujours, même dans le couvent. Après que l'on eut donné à l'abbé le pouvoir d'administré.! les sacrements comme à tout autre prêtre, il lui fut également permis de relever les religieux de l'excommunication souvent encourue par eux, parce qu'ils se « battaient entre eux » (1234) (fol. 40, voir n° 16).

L'excommunication ne devait pas non plus être prononcée contre les abbés et religieux de l'ordre de Citeaux. La même faveur était accordée aux particuliers qui allaient « moudre en leurs moulins, cuire leurs pains en leurs fours » ; aux domestiques des religieux, aux négociants traitant avec eux (1254) (fol. 41,n°24).

En même temps le pape mande à l'official de Narbonne d'informer contre Jourdain de l'isle, Raymond-Guillaume de Montech et autres laïques des diocèses, de Narbonne, Toulouse et Cahors, à propos des dommages causés par eux au couvent de Grandselve (fol. 41, n° 25).

De tout cela il semble résulter que le pouvoir laïque n'avait que peu ou point d'action sur les affaires des moines et que l'autorité de Rome primait toujours celle des rois de France.

Il serait assurément intéressant de relever d'autres décisions, mais il faudrait alors reproduire tout le volume. Il paraît bon cependant de retenir, au passage, une note curieuse montrant que la discipline se relâchait parfois et que l'on ne craignait pas de frapper à la tête lorsque c'était nécessaire.

Ainsi, par une sentence des abbés de Moribond (Morimond) et de Cadouin, députés du chapitre général de Cîteaux, l'abbé de Grandselve est déposé « pour sa négligence particulière et autres raisons ». En vain fit-il appel devant le sénéchal de Toulouse ; la sentence fut maintenue et l'élection du successeur confirmée en janvier 1432 (fol. 9, n°s 4 et 5). Un siècle plus tard (1502), les abbés d'Euunes et de Faizia vinrent présider à l'élection de l'abbé de Grandselve ; un siècle encore après (1665), un nouvel abbé prête serment de fidélité au pape qui le pourvoit de la même abbaye (fol. 9, n° 10 ; fol. 10, n° 14).

La générosité du pape trouve de l'écho dans le coeur des évêques et des particuliers dont les libéralités se confondent avec les premières, et toujours au profit de l'abbaye. Ainsi l'on donne aux religieux, les églises de Saint-Sulpice de Boulhac et de Saint-Sernin de Ricancelle, avec le juspatronat, chapellenies, droits en dépendant, dîmes et prémices des terres qu'ils travaillaient à leur main ou à leur dépens, dans les granges de Nonas, Saint-Jean de Calcassac, de Saint-George, de Larra, de Vieilleaigue. Les évêques avaient néanmoins gardé pour eux le droit de nomination du titulaire de ces bénéfices, laissant aux abbés le droit de présentation des prêtres appelés à ces cures. Mais, par la suite, les évêques essayèrent de se l'attribuer. Ceux-là résistèrent énergiquement à toute prétention contraire aux droits des religieux.

Ainsi firent-ils en 1274. L'évêque de Toulouse avait nommé le curé de Boulhac, sans attendre les propositions de l'abbé. Il avait passé outre, sous prétexte d'une longue vacance, le titre de présentation ayant été conféré en vertu de son droit de dévolution. L'abbé protesta et eut gain de cause.

Un différend semblable s'éleva encore, en 1539, à propos de Boulhac et de l'archiprêtré de Grenade. A la suite d'une vive réclamation de l'abbé de Grandselve, le vicaire général dut s'incliner et accepter les candidats présentés par l'abbé. La prise de possession était retenue par les notaires, Rivas, de Bouilhac (1540) et Canitrot, de Grenade (1667) (fol. 97 à 100, n°s 1 à 18).

III

L'oeuvre de défrichement poussée vigoureusement par les moines de Grandselve, les privait du droit de lever les dîmes attachées aux terres incultes. Des bulles du Saint-Siège vinrent à diverses époques (1245-1286-1301), les autoriser à percevoir « les dîmes des novales » ou terres récemment défrichées. Rien n'était négligé pour assurer la rentrée des redevances de toute nature formant les revenus de l'abbaye (fol. 109, n° 86).

Vers le même temps, l'évêque de Toulouse leur permettait d'élever des chapelles et oratoires clans leurs granges et d'y célébrer les offices divins. Le pape lui-même intervenait souvent pour que personne ne pût exiger des dîmes sur leurs terres ou sur leurs bestiaux (1254-57-60-86).

La fièvre d'agrandissement qui s'était emparée des moines soulevait des différends avec leurs voisins. C'est ce qui eut lieu, en 1260, avec les chapitres de Saint-Etienne, de Saint-Sernin, et les religieux de la Daurade. Ces rivalités d'influence occasion, naient des procès et des bulles d'excommunication contre le adversaires de Grandselve dont la puissance ne cessait de grandir dans le pays et que Charles IV mettait sous sa protection et sauvegarde en 1322 (fol. 266, n» 64).

Puis, à diverses époques, par lettres patentes de différents monarques français, leurs biens demeurèrent amortis « sans payer de finance ».

Le sel et autres choses nécessaires à l'abbaye furent exempts de péage ; dans la suite, ils firent confirmer ces privilèges successivement par Heuri II et (maries XI (fol. 7, n°s 28, 29, 31).

En 1228, Pont de Capdiver donna le collège de Saint-Bernard (8) de Toulouse aux moines de Grandselve, à condition d'y établir un proviseur ou hôtelier chargé de l'administration des biens en dépendant. L'abbé de Saint-Sernin les autorisa à y ériger une église, des autels, un cimetière pour les religieux et autres personnes-qui y avaient élu leur sépulture (1285). Les religieux y avaient droit de correction, institution, destitution et réforme tant sur les personnes que sur les biens attachés au collège (1432) (fol. 13, n0s 1, 2, 3, 4). Pendant les seizième et dix-septième siècles, le titre de proviseur est conservé à la nomination des moines qui désignent à l'élection le titulaire de cette charge. Ce droit leur fut contesté quelquefois, mais sans succès, d'ailleurs (fol. 14, n»» 11, 12, 13, 14, 15,16). Ils eurent aussi des droits sur le moulin du Basacle et possédaient également une métairie à Lalande, dite de Grandselve, qui faisait partie du capitoulat de Saint-Sernin (fol. 17, nos 33, 34, 35, 36).

Les possessions territoriales de l'abbaye s'étendaient dans les ressorts de la judicature de Verdun, des sénéchaussées de Gascogne et d'Agenois. Les largesses considérables dont elle avait été l'objet depuis son origine avaient provoqué des constitutions de rentes formant le revenu des moines.

Plusieurs amortissements de ces rentes portent les dates extrêmes de 1237-1402 ; les quittances de diverses sommes versées pour droits seigneuriaux les accompagnent et les religieux trouvent dans ces opérations le moyen de consolider leurs possessions, tout en diminuant les charges dont elles étaient grevées.

A Grenade, ils acquirent plusieurs maisons touchant au grenier qu'ils y avaient déjà. A Beaumont (9) et à Grenade, l'amortissement fait par le prieur de Saint-Martin-des-Champs, commissaire du roi, est révoqué (1350) avec défense d'en faire d'autres dans les mêmes lieux.

A Toulouse, ils acquièrent de même des maisons touchant au collège Saint-Bernard.

 Dès 1305, ils avaient obtenu de ne point contribuer aux garnisons du roi, et ce privilège se continue dans la suite des temps. Puis, en l469, ils font hommage au duc de Guyenne, Charles, pour raison de la moitié des villes de Grenade et de Beaumont avec la justice haute et basse et aussi pour les renies, droits et biens que l'abbaye possédait dans trente -quatre localités où ces biens étaient situés (fol. 24, n 1).

L'influence de l'abbaye de Grandselve s'exerçait sur plusieurs monastères, fondés après elle dans le midi de la France.

Ainsi furent soumises celles de Fontfrède, fondée en 1120 ; Calers en 1137 ; Candeil en 1150. L'autorité sur chacune d'elles lui était donnée par l'abbé de Citeaux, supérieur général de l'ordre, qui envoyait ses membres peupler les monastères placés sous la règle de Saint-Benoit (fol. 19, n 1, 2, 3, 4, 5).

En Espagne même, l'abbaye de Sainte-Croix, en Catalogne, l'abbaye de Carthagène (1270), dépendaient de Grandselve, y comprises celles de Sainte-Marie-du-Port, de Crunie, de Saint-Sébastien, soumises toutes les trois à celle de Carthagène.

Auprès de Murcie-la-Royale, fut établie la confrérie de Notre-Dame d'Espagne, dans le but de soutenir la foi contre les Sarrasins et autres nations barbares. Ainsi eut lieu l'union des monastères fondés par Alphonse X, roi de Castille (1273) qui les dota généreusement (fol. 20, n°9).

Cette suprématie donna à Grandselve le pouvoir de confirmer l'élection des abbés dans chaque succursale. Un abbé de Grandselve même devint, en 1458, supérieur immédiat de l'abbaye du diocèse de Tarragone; il le devint également, en 1469, de Calers en Foix (fol. 22, n° 25).

L'extension territoriale de Grandselve devait fatalement mettre les religieux dans une gêne considérable pour l'administration temporelle des biens immenses que les donateurs leur avaient attribués. Leur autorité insuffisante pour s'exercer partout utilement, ne pouvait que s'amoindrir. Ils durent dès lors demander leur appui aux seigneurs respectifs dont les nombreux monastères placés sous leurs ordres les rendaient tributaires.

Ainsi ils obtinrent successivement la protection du roi d'Aragon (10), vicomte de Barcelone, pour les abbayes de Carthagène, Murcie-la-Royale, Sainte-Marie-du-Port, Saint-Sébastien, sujettes de Grandselve (1198-1217) ; du comte de Béziers, Roger(1203) ; du comte de Commenge, Bernard (1208); Raymond IV, comte de Toulouse, marquis de Provence (1218)  du roi de France, Philippe II (1221-1225) ; du comte de Poitiers, du roi Philippe le Hardi (1275) ; des rois Louis X (1315), Philippe V (1320), Charles IV (1322-1326), Philippe VI (1335 -36-37-38) ; roi Jean (1354) ; du roi d'Angleterre, prince d'Aquitaine, pour les abbayes de Grandselve et de Belleperche (1365) ; de Louis, duc d'Anjou, frère du roi de France, lieutenant en Languedoc (1363-66-70); Louis XI (1463); du roi Charles VIII (1494).

Entre temps les abbés de Grandselve obtenaient encore je maintien de divers commilimus ou droit de possession centenaire, dont les dates extrêmes vont de 1483 à 1684 (fol. 33, n«» 1, 2, 3,.4, 5, 6, 7, 8; fol. 34, n 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16; fol. 35, n19, 20, 25, 26; fol, 36, n 27, 28, 29, 30 ; fol. 50, n° 32).

Biens, terres, granges, seigneuries, officiers, domestiques, droits, libertés et privilèges étaient de la sorte placés sous la protection directe des rois, princes et autres potentats qui, tour à tour, se constituaient défenseurs des religieux dans toutes les occasions où leurs intérêts se trouvaient menacés. Toutefois, cela n'empêchait pas les moines de voir leur temporel saisi, s'ils contrevenaient aux défenses des réformateurs généraux, ou s'ils enfreignaient les sauvegardes du roi, comme cela avait eu lieu en 1770.

Le duc d'Anjou leur accorda alors la main levée d'une saisie de ce genre (fol. 35, n° 24). Leur temporel fut même aliéné en 1565 et racheté en 1619 (fol. 30, n° 40).

Il ne suffisait pas de fonder des abbayes, d'y réunir des religieux, de devenir maîtres d'immenses domaines, il fallait encore assurer leur existence au milieu des possessions territoriales réunies sous une seule main. Il fallait régler leurs relations avec les pouvoirs des diverses époques ; déterminer les convenances à observer entre les chefs séculiers et les moines de l'ordre.

Il y avait des rapports administratifs ou disciplinaires indiquant la conduite des uns envers les autres. Si l'on avait créé des droits, il y avait aussi des devoirs réciproques qui devaient maintenir la bonne entente. Ces sociétés particulières ne pouvaient échapper à cette organisation qui s'impose à toute réunion d'hommes ayant des intérêts communs, touchant bien plus au temporel qu'au spirituel.

C'est ici qu'apparaît bien la prévoyance des religieux de Grandselve qui, pendant quatre siècles et demi, ne cessent de demander au pape de sanctionner leur manière d'être par des actes émanant d'une autorité incontestée.

Les moines de Citeaux reçurent de bonne heure du Saint-Siège des privilèges considérables. Placés à côté des évêques, ils purent jouir d'une liberté entière qui les rendait indépendants du clergé régulier. On constatait néanmoins des oppositions d'intérêts entre l'autorité des uns et celle des autres. Dans ces cas, de nombreuses bulles vinrent successivement délimiter l'exercice de leurs attributions respectives, afin de prévenir ou de faire cesser des contestations possibles (chap. 7, fol. 39 et suivants).

Ainsi le pape défendit aux évêques et aux archevêques d'aller dans les monastères de l'ordre, sous prétexte d'ordination ou de confirmation. Les moines devaient se suffire eux-mêmes : ils avaient le pouvoir d'absoudre et d'administrer les sacrements à leurs bienfaiteurs, domestiques et voisins, dans le cas où les curés les leur refuseraient.

On l'a déjà vu, les légats ne devaient point excommunier (11) les religieux de Grandselve en particulier (1219-1322), ou les fondateurs de leurs abbayes.

 Grégoire IX leur défendit également de s'ingérer dans les affaires intérieures des moines. La vie privée de ceux-ci restait porte close pour les prélats auxquels était interdite toute immixtion dans leur conduite claustrale. Le pape, dont ils avaient obtenu bien d'autres faveurs, demeurait seul leur juge, après avoir particulièrement pris sous sa protection et sauvegarde les religieux de Grandselve (1260).

Par suite, les papes confirment tous les privilèges et libertés de l'abbaye, mandent aux évêques et abbés de la région de les soutenir contre ceux qui les troubleraient dans leurs personnes comme dans leurs biens.

C'est pourquoi l'on dut excommunier Jordain de l'Isle, Othon de Montech, Armand d'Esparbers, chevaliers et autres laïques « au cas où il fut vrai qu'ils eussent battu les religieux de Grandselve (1281). » Pareille sentence devait frapper plus tard ceux qui leur enlevaient les biens, rentes et meubles (1477-1615).

Ces mesures de rigueur font supposer que les richesses terriennes s'étendant si loin de Grandselve, excitaient la jalousie des populations qui disputaient les possessions domaniales à ces grands colonisateurs de la contrée.

Il semble qu'au dix-septième siècle, le souvenir des bienfaits accordés aux générations antérieures tendait à s'effacer. Le joug supporté par les ancêtres, devenu trop lourd peut-être pour les descendants, il fallait le secouer. Les rivalités d'influence et d'autorité entre les moines et les seigneurs voisins devenaient un encouragement pour le bas-peuple qui cherchait à saper la puissance féodale minée par ses propres excès. On le voit bien à mesure que l'on approche du mouvement réformateur de 1789. Les précautions dont l'abbaye s'entoure montrent sa faiblesse grandissante dans la gestion de sa fortune immobilière.

IV

Après leur établissement clans le pays, après l'acceptation des dons de terres qui les avaient enrichis, les religieux de Grandselve se mettent à l'oeuvre pour défricher la contrée soumise à leur influence. Des terres incultes sont aussitôt mises en rapport, des routes et des chemins sont construits pour faciliter le transport des récoltes recueillies dans leurs vastes domaines. Ayant de nombreux bestiaux à nourrir, ils obtiennent, dès 1150, des différents seigneurs, la faculté de disposer à leur convenance de leurs propriétés.

Il leur fut permis de faire pâturer les animaux dans toutes les terres des habitants, de prendre du bois dans leurs forêts pour leurs nécessités et pour l'usage des pasteurs à qui ils confiaient la garde des troupeaux.

Souvent les terres reçues en jouissance devenaient la propriété des moines, après le décès du donateur qui, parfois aussi, se donnait lui-même au monastère (1187-1188). Si en général la permission s'étendait au domaine entier, il y avait pourtant des restrictions dans le droit de pacage. Les religieux l'acceptaient toujours, même quand il était limité à telle ou telle partie. Ils avaient confiance dans l'oeuvre du temps qui leur faisait accorder ce qu'ils n'avaient pu tout d'abord obtenir des donateurs, arrêtés dans la voie de la générosité par des scrupules de famille ou autres.

Les lieux où les moines pouvaient exercer les droits de pacage ne se comptent presque pas.

Dans le comté de Foix, ils en jouirent à Combelongue, sur les montagnes de Rabat, à Saurai. En 1177, Bertrand, évêque de Toulouse, adjugea les pâturages des montagnes de Rabat aux religieux de Grandselve, et au préjudice de ceux de Combelongue qui prétendaient tenir ce droit du seigneur du lieu. Une transaction de l'année suivante indique que ces pâturages appartenaient à Grandselve depuis le col ou sommet de la Fenêtre et dans l'étendue de la terre de Frégadour. On leur donna la faculté de s'arrêter deux ou trois jours sur la montagne de Lailaza ou autre; ce qui fait supposer que les conducteurs de troupeaux se rendaient d'un point à un autre, au fur et à mesure de l'épuisement des herbages. On convint aussi que les pâturages situés de la fontaine de Frégadour à l'échelle de Traso, vers Saurat, seraient communs entre les parties. Mais les religieux ne devaient point y établir de cabanes et s'engageaient à payer annuellement 150 sols tolosains aux religieux de Combelongue (fol. 70 ).

Partout, dans la campagne toulousaine, les religieux de Grandselve exercèrent le droit de dépaissance pendant le dernier temps du douzième siècle. Et cette servitude, une fois établie, se perpétua pour leur avantage.

 Notons au passage : Villemur, Pibrac, Lévignac, Boconne, Fontsorbes (1200) ; Drudas, près de Cadours, d'Albs ou Daux, Aussonne, Vernet, Verfeuil et quantité d'autres communautés situées aux environs de Beaumont dont l'énumération serait trop longue ici.

Les religieux pouvaient couper du bois dans les forêts qu'ils traversaient, mais sans pouvoir le transformer en charbon. Généralement les donateurs les protégeaient pendant l'exercice des droits reçus d'eux. Parfois ces permissions renferment des indications curieuses, ou bien quelque avantage obtenu en retour des religieux.

Ainsi le sieur Pierre d'Orbessan permet aux religieux de ce faire paître leurs bestiaux en toutes les terres « qu'il avait depuis le chemin de Saint-Jacques en montant, « par lequel les pèlerins ou autres allant à Rome, passent pour « se rendre de Toulouse, à l'isle-Jourdam et à Aubinet, « excepté toutefois le terroir de Fontsorbes (1194). »

Le sieur Favars permet aux religieux de faire paître leurs bestiaux sur ses terres, de s'y arrêter pendant la nuit et leur promet de les protéger et de les défendre. En retour, l'abbé lui donne une jument du prix de 40 sols tolosains et un poulain qui en valait 5 de la même monnaie (fol. 82,  168, 169).

Nous avons déjà vu que les premières donations faites aux religieux provenaient des grands seigneurs du pays. Cette source .diminuée, sinon tarie, ils se trouvent voisins d'autres possesseurs du sol moins opulents, mais qui tour à tour apportent leur concours actif à l'oeuvre déconcentration territoriale poursuivie avec Un rare succès.

Ainsi s'augmente, d'année en année l'étendue de leurs domaines, dont les propriétaires font l'abandon avec un entrain admirable. C'est que les religieux leur persuadaient qu'il n'y avait pas oeuvre meilleure à faire. En effet, pères, mères, enfants, ensemble ou séparément, donnent tous leurs biens. Les moines les reçoivent toujours en totalité ou en partie, sachant que la portion réservée ne tardera pas à suivre la première. Quand ce n'est pas la terre elle-même, ce sont des droits, dîmes, censives qui les mettent au lieu et place des donateurs en attendant mieux. S'ils ne peuvent agir par eux-mêmes directement, ils recourent à des intermédiaires.

Un certain Maltus déclare avoir reçu de l'abbé 12-sols morlans, à la charge d'obliger sa nièce, mère d'un sieur Raymond de.....

 

Cette ancienne abbaye détruite à partir de 1793 est peu connue.

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(1) Tarn-et-Garonne.— (2) Tarn-et-Garonne. — (3) Haute-Garonne. — (4) Tarn-et-Garonne.

(5) D'après Jouglar, voir mémoires de la Société archéologique de Toulouse, t. VII, 4e série, 4e livraison, p. 179 ; voir aussi l'Inventaire général, manuscrit in-folio, appartenant à la même Société. La première partie de cet inventaire est divisée en vingt-huit chapitres séparés par terres, villes et seigneuries, rangés par dates et numéros.

Le chapitre vu surtout est intéressant parce que l'on y a mentionné les titres relatifs aux privilèges accordés' par les papes, tant à l'abbaye de Grandselve qu'à l'Ordre de Citeaux en général

(6) Marabotin, par corruption, marmotin. C'était une monnaie d'or d'Espagne et de Portugal, qui eut cours en France, particulièrement dans les provinces des Pyrénées. Plusieurs rois d'Aragon ayant eu la ville de Montpellier et même des possessions dans le haut Languedoc, il.n'est pas étonnant qu'il en soit question dans notre pays. Cette monnaie valait de 5 à 6 livres 8 deniers. (Elle Rossignol, abbaye de.Candeil)

(7) Cavaux, cabal ou cheptel sans doute.

(8) Le collège était situé sur la place Saint-Sernin et porta plus tard le nom de collège Sainte-Marie dirigé par les jésuites.

(9) Entouré de fossés en 1299, fol. 27, n12.

(10) Pierre d'Aragon, comte de Barcelonne, fol. 50, n 23, 26.

(11) Voir page 254,

Soc. De Géo.de Toulouse. — XIX

 

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