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PHystorique- Les Portes du Temps
6 août 2020

Sur les chemins des Colliberts du Marais Poitevin

Sur les chemins des Colliberts du Marais Poitevin

Parmi les anciens habitants du marais on cite souvent les Colliberts.

 Si nous en croyons le chroniqueur Pierre de Maillezais, la race des Colliberts avait presque disparu au IXe siècle, la plus grande partie ayant été massacrée par les Normands, et ce qui subsistait constituait une population barbare et farouche.

Les Colliberts auraient rendu, autrefois, un culte à la pluie qui, enflant les cours d'eau, favorisait leur pêche; on fit même dériver leur nom de cultus imbrium, étymologie assez fantaisiste, il faut en convenir.

Le mot colliberts paraît signifier tout simplement une réunion d'hommes libres, conliberti.

Comment cette population n'avait-elle pas été asservie par les Romains ? Comment était-elle restée libre ? L'histoire ne le dit pas.

Aujourd'hui les Colliberts sont à l'état de souvenir ; on ne les distingue plus d'entre les autres habitants du marais.

Certains auteurs ont eu le tort de confondre les Colliberts avec les Huttiers, ou plutôt de faire descendre les Huttiers des Colliberts.

Les Huttiers n'étaient pas, comme les Colliberts, les indigènes du marais ; c'étaient des « survenants », comme on dit dans le pays, de pauvres gens des régions d'alentour qui étaient venus s'installer sur les « levées », à différentes époques.

 

 (Chemin des Colliberts Maillé)

 Un jour une famille décidait d'aller chercher fortune dans le marais. A la nuit, elle s'embarquait sur un bateau plat. Arrivé au lieu choisi, on piquait des pieux, on dressait une hutte de roseaux. Mais il fallait que la hutte fumât au lever du jour. Cette fumée était comme le signe rituel qui consacrait la prise de possession du terrain.

Le nom de Huttiers donné, autrefois, aux habitants du marais, est dû aux huttes qui leur servaient de demeures. On trouvait encore de ces huttes au siècle dernier. Savary, chef de bataillon du génie, nous a laissé, dans une lettre, écrite en 1838, la description de deux huttes du marais :

« La dernière case de nos paysans, dit-il, est un Louvre en comparaison : deux lits haut montés, sans rideaux, un vieux coffre, deux ou trois débris de plats profonds en terre brune, une bouteille privée de goulot, une grosse gourde ou calebasse, voilà tout le détail. Mais ce qu'il y avait de spécial, c'était le milieu de la chambre occupé par le foyer : deux bois fourchus plantés en terre, avec un autre bois en travers, auquel était suspendue une crémaillère ; du reste point de moyen d'évacuation pour la fumée qui, se concentrant sans cesse sur les parois des perches placées sous le toit, les avait recouvertes d'une couche vernie, absolument comme ces pieux qu'on noircit au four (1).

 Je fis le tour de la hutte. Je la vis construite de gros paquets de roseaux, liés entre eux par des branches flexibles ; je m'étonnais, en même temps, de la voir couverte de tuiles :

« Autrefois, me dit la bonne femme, nous faisions une couverture bien plus chaude avec de grande joncs ; les travaux du génie les ont tous détruits. »

La deuxième hutte est plus perfectionnée, elle a une cheminée. « Je reconnus, dit Savary, qu'un vieux bateau avait été dressé debout et formait véritablement la cheminée. La fumée en avait vitrifié le fond ; la crémaillère était suspendue dans le haut, une grosse pierre au bas formait le foyer » (2).

 

Maillé Sur les chemins des Colliberts du Marais Poitevin

Avec le temps, les Huttiers se taillèrent tout un domaine autour de leurs habitations. Inondée une partie de l'année, la terre des marais se boursouflait ; les couches alluviales les plus récentes montaient à la surface des eaux, et formaient des îlots flottants que les Huttiers harponnaient, puis remorquaient, avec leurs bateaux, jusque dans le voisinage des huttes, formant ainsi des « mottes » très fertiles.

Par ce procédé et aussi par les empiétements successifs, ils arrondirent si bien leur propriété que, dans la suite, les vrais propriétaires du marais, se trouvant lésés, eurent, plusieurs fois, recours aux tribunaux pour récupérer leur bien.

Autrefois, le marais était réputé fort insalubre.

Dans un Mémoire statistique du département des Deux-Sèvres (an XII) (3), adressé, par M. Dupin, préfet, au Ministre de l'Intérieur, nous trouvons des observations fort intéressantes sur l'état sanitaire des habitants du marais :

« La totalité des habitants du marais, écrit M. le Préfet, est plus ou moins affectée d'un vice scorbutique qui se contracte par une assez courte habitation dans ce pays ; ceux qui en sortent encore jeunes, non seulement ne s'en débarrassent pas, mais le transmettent jusqu'à des générations très reculées, même à travers plusieurs mélanges avec des sangs purs ; ce vice dispose singulièrement ceux qui en sont affectés aux douleurs rhumatismales, aux érésipèles, aux hémorroïdes, aux cancers des jambes, à la dyssenterie, à l'hydropisie, etc.. ».

M. le Préfet écrivait encore :

« Ceux qui habitent les marais de l'ouest (de Niort) ont le visage décharné, le corps maigre, le ventre dur, la rate fort grosse et obstruée ; ils sont sujets à des fièvres quartes très longues, aux fièvres ardentes, aux inflammations des poumons, aux pleurésies, aux dyssenteries, à des hydropisies mortelles. Les femmes sont surchargées de pituites ; les enfants ont des hernies, les hommes des varices... Niort, observe M. le Préfet, Niort, par sa situation avantageuse, seroit une des villes les plus saines de la république, sans le voisinage des marais de Bessine, de Magné, de Coulon, de Jumeau, qui durant l'été et l'automne sont la cause des fièvres d'accès si fréquentes alors parmi les ouvriers et les habitans des campagnes. » Et M. le Préfet ajoute cette réflexion qui montre en quelle pitié il tient ses malheureux administrés : « On remarque aussi que les habitans de cette ville sont totalement dépourvus de gras de jambe. »

A en croire M. le Préfet, ce n'était pas intéressant d'habiter, il y a 120 ans, la ville de Niort, et encore, moins d'habiter le marais.

Les temps sont changés. Aujourd'hui, Niort, par sa situation avantageuse, est devenue une des villes les plus saines de la République et le marais un pays où l'on se porte à merveille.

 

 

Olivier LOTH, Curé de Coulon.

Bulletin de la Société historique et scientifique des Deux-Sèvres

 

 

 

 

 

 


 

(1) Soc. de Stat. des Deux-Sèvres, 1" série, t. III (1838-39), p. 116, 117, 118.

(2) Ibid., p. 121.

 

(3) 168, 173.

 

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