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PHystorique- Les Portes du Temps
5 janvier 2018

LETTRE du MINISTRE DE LA MARINE A M. DUMONT D'URVILLE, CAPITAINE DE FRÉGATE, COMMANDANT LA CORVETTE DU ROI L'ASTROLABE, A TOULON

LETTRE du MINISTRE DE LA MARINE A M

Paru, le 8 avril 1826.

Le Roi, Monsieur, en vous confiant le commandement de la corvette l' Astrolabe, a voulu vous mettre en mesure d'explorer quelques - uns des principaux archipels du Grand-Océan , où la Coquille n'a fait que passer rapidement, et vous donner les moyens d'augmenter, autant que possible, la masse des documens scientifiques qui ont été le fruit du voyage exécuté par ce bâtiment dans les années 1822, 1823 et 1824.

   Sa Majesté sait que vous avez beaucoup contribué au succès de cette dernière expédition dans laquelle vous secondiez M. le capitaine Duperrey. Appelé à diriger en chef celle qu'il s'agit d'entreprendre, vous réaliserez, sans doute, toutes les espérances qui en ont fait concevoir le projet, et la marine aura encore une fois à se féliciter des services qu'elle rend aux sciences , en s'associant aux travaux de ceux qui les professent , et en livrant à leurs méditations des matériaux recueillis avec autant d'habileté que de zèle dans toutes les partie du globe.

L'Astrolabe doit être actuellement prête à prendre la mer. J'avais donné les ordres les plus formels à Toulon pour que cette corvette fût mise dans le meilleur état, et munie de tous les objets nécessaires pour une campagne qui durera près de trois ans. Comme vous avez assisté à cet armement, et que vous avez pu y mettre à profit l'expérience acquise sur la Coquille , je dois croire que rien ne manque à bord de ce qui pourra contribuer au succès de votre mission, et je n'ai plus qu'à vous faire connaitre le plan des opérations dont vous aurez à suivre l'exécution.

Je pense que vous partirez de Toulon peu de jours après le 15 de ce mois, et qu'avant la fin de mai vous suivrez votre route dans l' Atlantique , vers l'hémisphère austral, après avoir fait, à Sainte-Croix de Ténériffe, une relâche de quelques jours pour y vérifier la marche de vos chronomètres.

Parvenu au sud du Cap de Bonne-Espérance, vous porterez votre route dans I' est, pour vous rendre directement au détroit de Bass, qui sépare la Nouvelle-Hollande de la terre de Van-Diémen.

Il est probable qu'arrivé dans ces parages vers la fin d'août, vous pourrez passer quelques jours au port Dalrymple, et de là gagner Port-Jackson au commencement de septembre.

Vingt ou trente jours passés dans ce chef-lieu des établissements anglais à la Nouvelle-Galles du Sud, suffiront au repos de votre équipage et aux dispositions nécessaires pour entreprendre les recherches qui devront vous occuper dans le Grand-Océan.

Au commencement d'octobre vous quitterez Port-Jackson pour aller explorer la partie septentrionale de la Nouvelle-Zélande. Vous vous dirigerez sur le détroit de Cook, pour de là vous porter le long de la côte N. E. , afin de faire la reconnaissance de divers points de cette partie de l'ile.

Vers le 1er décembre, vous partirez de la Nouvelle-Zélande pour vous rendre à Tonga-Tabou, où vous verrez finir l'année 1826.

Laissant, dans les premiers jours de janvier 1827, les îles des Amis, vous irez reconnaître l'archipel des iles Fidji, où vous ferez en sorte de ne pas rester plus tard que l'équinoxe de mars ; et de là vous vous rendrez successivement t à la Nouvelle-Calédonie et à la Louisiade , d'où vous vous dirigerez sur le cap Rodney, de la Nouvelle-Guinée.

Vous emploierez cinq ou six mois à parcourir les côtes méridionales de cette dernière terre, en passant par le détroit de Torrès que vous explorerez ainsi que les régions voisines où se trouvent un grand nombre d'îles et de canaux à peine connus.

De la Nouvelle-Guinée vous vous porterez à Amboine où vous ferez en sorte d'arriver au commencement d'octobre 1821. Vous y resterez jusqu'à la fin de novembre pour ravitailler votre bâtiment, et faire reposer son équipage. Puis, vers le 1er décembre, retournant en quelque sorte sur vos pas, vous reviendrez vers les côtes de la Nouvelle-Guinée pour en reprendre l'exploration.

Au commencement de janvier 1828, vous ferez une court relâche au port Dory que vous quitterez pour aller reconnaitre toute la côte septentrionale de la même terre, jusqu'au détroit de Dampier.

Dans le mois de mars suivant, vous visiterez les cotes de la Nouvelle-Bretagne, et vers le 20 avril vous irez relâcher dans l'une les îles Carolines, dont la position exactement constatée, lors de l'expédition de la Coquille, pourra servir à vérifier vos dernières explorations.

Pendant un mois environ vous parcourrez la partie occidentale de l'archipel des Carolines jusqu'aux îles Pelew où vous relâcherez à la fin de mai, pour donner quelque repos à votre équipage.

Partant des îles Pelew dans les premiers jours de juin vous serez à Sourabaya au commencement de juillet; vous pourrez y rester une vingtaine de jours, et de là vous diriger sur l'Ile-de-France, d'où, après un séjour d'environ un mois, vous partirez au commencement d'octobre, pour passer à Bourbon, et opérer à votre retour à Toulon.

Vous arriverez probablement eu cc port dans les premiers mois de l'année 1829.

Cet itinéraire que vous ayez vous-même tracé à Paris, de concert avec M. le contre-amiral chevalier de Rossel, se trouve développé fort en détail dans le mémoire ci-joint ( Sous le n. 1) qui a été rédigé au dépôt des cartes et plan de la marine, et que M. le vice-amiral comte de Rosily m'a transmis comme contenant toutes les indications propres à vous diriger dans le cours de votre navigation.

Il ne m'a point échappé, Monsieur, qu'en désignant les parages où l’'Astrolabe devra se porter, vous n'avez eu en vue que le désir de tirer le plus grand parti du temps et d'éviter les longues traversées que vous auriez eu à faire dans des mers ouvertes, s'il se fût agi d'un voyage de circum-navigation.

Mais quoique vous n'ayez point à faire le tour du globe, la campagne que vous allez entreprendre n'en sera pas moins remarquable; elle vous donnera d'autant plus de droits à l' estime et à la reconnaissance des navigateurs que vous aurez mis plus de soins à explorer des terres encore peu connues, et à signaler les nombreux écueils qui en rendent l'accès difficile et dangereux.

Un autre intérêt se rattachera à votre voyage si vous parvenez à découvrir des traces de La Pérouse et de ses compagnons d'infortune.

Un capitaine américain a dit avoir vu entre les mains des naturels d'une île située dans l'intervalle de la Nouvelle-Calédonie à la Louisiade , une croix de Saint-Louis et des médailles qui lui ont paru devoir provenir du naufrage du célèbre navigateur dont la perte cause de si justes regrets. Sans doute, ce n'est là qu'un bien faible motif d'espérer que des victimes de ce désastre existent encore ; cependant, Monsieur, vous donneriez à Sa Majesté une satisfaction bien vive, si, après tant d'années de misère et d’exil, quelqu'un des malheureux naufragés était rendu par vous à sa patrie!

Il suffit assurément de vous faire entrevoir la possibilité d'un tel résultat de vos recherches pour que vous ne négligiez rien de ce qui pourra les rendre fructueuses.

Après vous avoir tracé la marche que vous avez à suivre et le plan des principales opérations auxquelles vous devez vous livrer dans l'intérêt de la marine, et pour les progrès de l'hydrographie , il me resterait à vous parler de ce que les savans attendent de votre expédition; mais je me borne à vous remettre, ci-joint, n. 3, les instructions particulières qui m'ont été adressées pour vous par l'Institut royal de France; reconnaissant, d'ailleurs , votre expérience , votre savoir et le zèle éclairé de tous vos collaborateurs, j'ai la conviction que vous réaliserez complètement les espérances que vous avez fait naître , et qu'à votre retour, le voyage de l’Astrolabe sera classé parmi ceux dont les résultats auront le plus contribué aux progrès des sciences.

Une collection nombreuse de livres, d'instrumens , de Cartes , etc., a dû vous être envoyée par les soins de M. Ie directeur-général du dépôt de la marine; Vous en trouverez ci-joint l'état (sous le n, 4 ).

Il vous a de plus été envoyé récemment trente médailles en argent, et quatre cent cinquante en bronze, que j'ai fait frapper pour perpétuer le souvenir de I ‘expédition de l'Astrolabe; vous pourrez les distribuer dans les pays que vous visiterez, et où vous jugerez utile de laisser des traces de votre passage.

Je vous fais remettre, avec cette dépêche, des passeports des puissances étrangères, au moyen desquels vous recevrez, dans les divers établissemens de leur dépendance, un bon accueil en toute circonstance, et des secours en cas de besoin.

Chez les peuples dont la civilisation est moins avancée, vous suppléerez aux recommandations officielles par le moyen des objets de traite dont j'ai ordonné que vous fussiez pourvu en suffisante quantité. A cet égard , comme pour toutes les autres dispositions propres à vous assurer des ressources dans les diverses circonstances de votre  navigation, l'armement de la Coquille a dû servir de guide pour celui de l'Astrolabe, sauf les seules modifications que l'expérience a fait juger nécessaires, et que vous avez vous-même indiquées.

Ainsi, Monsieur, les mêmes moyens de succès vous sont donnés, et sans doute le même bonheur signalera le nouveau voyage que vous allez 'exécuter, Vous avez beaucoup contribué aux bons résultats de la campagne de la Coquille, et vous savez qu'ils ont été dus autant à l'union qui a régné à bord, qu'aux mesures adoptées pour maintenir, parmi les marins de l'équipage, une exacte discipline, en même temps que les plus grandes précautions étaient prises pour éloigner d'eux les dangers des maladies auxquelles les exposaient les fatigues de la mer et l'insalubrité de quelques-uns des pays dans lesquels ils abordaient. Je ne puis trop vous recommander de consulter à ce sujet les instructions sanitaires de M. le docteur Keraudren, ainsi qu'une note ci-jointe (n. 5) que cet inspecteur-général a rédigée spécialement pour le voyage de l’Astrolabe.

Les journaux, cartes, plans et autres documens qui seront le fruit de Ia campagne, devront être réunis par vos soins, et m'être adressés à votre retour à Toulon.

Il en sera de même des collections de toute espèce d' objets d'histoire naturelle. Aucun de ces objets ne devra être distrait de la masse des produits de l'expédition, et je vous charge expressément de me rendre compte de la manière dont chacun de vos collaborateurs aura contribué aux travaux qui devront se faire en commun.

Dans quelques voyages précédens , des officiers, des maitres, et même les matelots ont acheté et gardé pour leur compte des échantillons d'histoire naturelle, qui n'étant point entrés dans la collection destinée au cabinet du Roi, n'ont pu être ni décrits ni publiés. Il est à désirer, dans l'intérêt de la science et pour le renom qui doit s'attacher à l'expédition de l'Astrolabe, que la même chose n'ait pas lieu dans cette nouvelle campagne. Vous voudrez bien faire connaitre à toutes les personnes embarquées sur le bâtiment, que les espèces rares et nouvelles d'animaux, de plantes ou de minéraux, qui entreront à bord, devront, sans aucune exception, faire partie de la collection du Roi et resteront, à cet effet, entre les mains des naturalistes , sauf à tenir compte du prix d'achat à ceux qui en auront fait l'acquisition ; et, pour faciliter les transactions de ce genre avec les habitans des pays que vous visiterez, vous aurez soin de mettre à la disposition des naturalistes du bord une certaine quantité des objets d' échange qui ont été embarqués à Toulon. Enfin, Monsieur, je vous recommande de faire en sorte que les échantillons qui devront faire partie de la collection destinée au Muséum royal soient placés à bord dans des Iieux où leur conservation soit parfaitement assurée.

Vous aurez soin de profiter de toutes les occasions qui s'offriront à vous pour m'adresser des détails sur votre navigation; il me sera fort agréable, Monsieur, en mettant vos rapports sous les yeux du Roi, d'avoir à faire remarquer à Sa Majesté que vous aurez complètement justifié, par vos travaux, la confiance qu'elle a daigné vous accorder en vous chargeant d'une mission aussi importante pour les sciences et pour la marine, qu'elle est honorable pour vous.

Recevez, Monsieur, l'assurance de ma parfaite considération,

Le Pair de France Ministre Secrétaire d'État de la Marine et des Colonies

Signé: COMTE DE CHABROL.

 

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