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PHystorique- Les Portes du Temps
12 mars 2021

Voyage dans le Haut – Poitou de Jean de La Fontaine (Richelieu, Châtellerault, Poitiers, Chauvigny, Bellac)

Voyage dans le Haut – Poitou de Jean de La Fontaine (Richelieu, Châtellerault, Poitiers, Chauvigny, Bellac)

Le récit du Voyage de Paris en Limousin de La Fontaine est relaté dans une série de lettres en vers et en prose adressées à sa femme.

La Fontaine part de Paris, en passant par Étampes, Orléans, Richelieu, Châtellerault, Poitiers, Chauvigny, Bellac et Limoges.

 
Nous arrivâmes à Amboise d'assez bonne heure, mais par un fort mauvais temps: je ne laissai pas d'employer le reste du jour à voir le château. De vous en faire le plan, c'est à quoi je ne m'amuserai point, et pour cause.
Vous saurez, sans plus, que devers la ville il est situé sur un roc, et parait extrêmement haut. Vers la campagne, le terrain d'alentour est plus élevé. Dans l'enceinte il y a trois ou quatre choses fort remarquables. La première est ce bois de cerf dont on parle tant, et dont on ne parle pas assez selon mon avis: car, soit qu'on le veuille faire passer pour naturel ou pour artificiel, j'y trouve un sujet d’étonnement presque égal. Ceux qui le trouvent artificiel tombent d'accord que c'est bois de cerf, mais de plusieurs pièces: or le moyen de les avoir jointes sans qu'il y paraisse de liaison ? De dire aussi qu'il soit naturel, et que l'Univers ait jamais produit un animal assez grand pour le porter, cela n'est guère croyable.



Il en sera toujours douté,
Quand bien ce cerf aurait été
Plus ancien qu'un patriarche;
Tel animal, en vérité,
N'eût jamais su tenir dans l'Arche.



Ce que je remarquai encore de singulier, ce furent deux tours bâties en terre comme des puits: on a fait dedans des escaliers en forme de rampes par où l'on descend jusqu'au pied du château; si bien qu’elles touchent, ainsi que les chênes dont parle Virgile,

D'un bout au ciel, d'autre bout aux enfers.

Je les trouvai bien bâties, et leur structure me plut autant que le reste du château nous parut indigne nous y arrêter.

 II a toutefois été un temps qu'on le faisait servir de berceau à nos jeunes rois; et, véritablement, c’était un berceau d'une matière assez solide, et qui n’était pas pour se renverser si facilement. Ce qu'il y a de beau, c'est la vue: elle est grande, majestueuse, d'une étendue immense; l’œil ne trouve rien qui l'arrête; point d'objet qui ne l'occupe le plus agréablement du monde. On s'imagine découvrir Tours, bien qu'il soit à quinze ou vingt lieues; du reste, on a en aspect la côte la plus riante et la mieux diversifiée que j’aie encore vue, et au pied une prairie qu'arrose la Loire, car cette rivière passe à Amboise.


De tout cela le pauvre M. Foucquet ne put jamais, pendant son séjour, jouir un petit moment: on avait bouché toutes les fenêtres de sa chambre, et on n'y avait laissé qu'un trou par le haut. Je demandai de la voir: triste plaisir, je vous le confesse, mais enfin je le demandai.

Le soldat qui nous conduisait n'avait pas la clef: au défaut, je fus longtemps à considérer la porte, et me fis conter la manière dont le prisonnier était gardé. Je vous en ferais volontiers la description; mais ce souvenir est trop affligeant.



Qu'est-il besoin que je retrace
Une garde au soin nonpareil,
Chambre murée, étroite place,
Quelque peu d'air pour toute grâce,
Jours sans soleil,
Nuits sans sommeil,
Trois portes en six pieds d'espace ?
Vous peindre un tel appartement,
Ce serait attirer vos larmes;
Je l'ai fait insensiblement:
Cette plainte a pour moi des charmes.



Sans la nuit, on n'eut jamais pu m'arracher de cet endroit: il fallut enfin retourner à l’hôtellerie; et le lendemain nous nous écartâmes de la Loire, et la laissâmes à la droite. J'en suis très fâché. Non pas que les rivières nous aient manqué dans notre voyage:



Depuis ce lieu jusques au Limousin,
Nous en avons passé quatre en chemin,
De fort bon compte, au moins qu'il m'en souvienne
L'Indre, le Cher, la Creuse, et la Vienne.
Ce ne sont pas simples ruisseaux:
Non, non; la carte nous les nomme.
Ceux qui sont péris sous leurs eaux
Ne l'ont pas été dire à Rome.


La première que nous rencontrâmes, ce fut l'Indre. Après l’avoir passée, nous trouvâmes au bord trois hommes d’assez bonne mine, mais mal vêtus et fort délabrés.

L’un de ces héros guzmanesques avait fait une tresse de ses cheveux, laquelle lui pendait derrière comme une queue de cheval. Non loin de là nous aperçûmes quelques Philis, je veux dire Philis d'Egypte qui venaient vers nous dansant, folâtrant, montrant leurs épaules, et traînant après elles des douegnas détestables à proportion, et qui nous regardaient avec autant de mépris que si elles eussent été belles et jeunes. Je frémis d'horreur à ce spectacle et j’en ai été plus de deux jours sans pouvoir manger. Deux femmes fort blanches marchaient ensuite, elles avaient le teint délicat, la taille bien faite, de la beauté médiocrement et n'étaient anges, à bien parler, qu'en tant que les autres étaient de véritables démons. Nous saluâmes ces deux avec beaucoup de respect, tant à cause d’elles que de leurs jupes, qui véritablement étaient plus riches que ne semblait le promettre un tel équipage. Le reste de leur habit consistait en une cape d'étoffe blanche, et sur la tête un petit chapeau à l'anglaise, de taffetas de couleur, avec un galon d'argent. Elles ne nous rendirent notre salut qu'en faisant une légère inclination de la tête, marchant toujours avec une gravité de déesses, et ne daignant presque jeter les yeux sur nous, comme simples mortels que nous étions. D'autres douégnas les suivaient, non moins laides que les précédentes; et la caravane était fermée par un cordelier. Le bagage marchait en queue, partie sur chariots, partie sur bêtes de somme; puis quatre carrosses vides et quelques valets à l'entour,
Non sans écureuils et turquets,
Ni, je pense, sans perroquets.

Le tout escorté par M. de la Fourcade, garde du corps. Je vous laisse à deviner quelles gens c’étaient. Comme ils suivaient notre route, et qu'ils débarquèrent à la même hôtellerie où notre cocher nous avait fait descendre, le scrupule nous prit à tous de coucher en mêmes lits qu'eux, et de boire en mêmes verres. Il n'y en avait point qui s’en tourmentât plus que la comtesse.


Nous allâmes le jour suivant coucher à Montels et dîner le lendemain au Port-de-Pilles, ou notre compagnie commença de se séparer. La comtesse envoya un laquais, non chez son mari, mais chez un de ses parents, porter les nouvelles de son arrivée, et donner ordre qu'on lui amenât un carrosse avec quelque escorte.

Pour moi, comme Richelieu n’était qu’à cinq lieues, je n'avais garde de manquer de l'aller voir: les Allemands se détournent bien pour cela de plusieurs journées.

M. Chateauneuf, qui connaissait le pays, s’offrit de m’accompagner: je le pris au mot; et ainsi votre oncle demeura seul, et alla coucher à Châtellerault, où nous promîmes de nous rendre le lendemain de grand matin.


Le Port-de-Pilles est un lieu passant, et où l'on trouve toutes sortes de commodités, même incommodes: il s'y rencontre de méchants chevaux,

Encore mal ferrés, et plus mal embouchés,
Et très mal enharnachés.

Mais quoi ! nous n'avions pas à choisir: tels qu'ils étaient, je les fais mettre en état,
Laisse le pire et sur le meilleur monte.
Pour plus d'assurance nous prîmes un guide, qu'il nous fallut mener en trousse l'un après l'autre, afin de gagner du temps. Avec cela nous n'en eûmes que ce qu'il fallut pour voir les choses les plus remarquables.

 J'avais promis de sacrifier aux vents du midi une brebis noire, aux Zéphyrs une brebis blanche, et à Jupiter le plus gras bœuf que je pourrais rencontrer dans le Limousin; ils nous furent tous favorables. Je crois toutefois qu'il suffira que je les paye en chansons: car les boeufs du Limousin sont trop chers, et il y en a qui se vendent cent écus dans le pays.

 

 
Etant arrivés à Richelieu, nous commençâmes par le château, dont je ne vous enverrai pourtant la description qu'au premier jour.

Ce que je vous puis dire en gros de la ville, c'est qu'elle aura bientôt la gloire d’être le plus beau village de l'Univers. Elle est désertée petit à petit à cause de l’infertilité du terroir, ou pour être à quatre lieues de toute rivière et de tout passage.

En cela son fondateur, qui prétendait en faire une ville de renom, a mal pris ses mesures: chose qui ne lui arrivait pas fort souvent. Je m’étonne, comme on dit qu'il pouvait tout, qu'il n'ait pas fait transporter la Loire au pied de cette nouvelle ville, ou qu'il n'y ait fait passer le grand chemin de Bourdeaux.

Au défaut, il devait choisir un autre endroit, et il en eut aussi la pensée; mais l'envie de consacrer les marques de sa naissance I'obligea de faire bâtir autour de la chambre où il était né. Il avait de ces vanités que beaucoup de gens blâmeront, et qui sont pourtant communes à tous les héros: témoin celle-là d'Alexandre le Grand, qui faisait laisser où il passait des mors et des brides plus grandes qu'à l'ordinaire, afin que la postérité crût que lui et ses gens étaient d'autres hommes, puisqu'ils se servaient de si grands chevaux.

 
Peut-être aussi que l'ancien parc de Richelieu et le bois de ses avenues, qui étaient beaux, semblèrent à leur maître dignes d'un château plus somptueux que celui de son patrimoine; et ce château attira la ville comme le principal fait l'accessoire.


Enfin elle est, à mon avis,
Mal située et bien bâtie:
On en a fait tous les logis
D'une pareille symétrie.

Ce sont des bâtiments fort hauts;
Leur aspect vous plairait sans faute.
Les dedans ont quelques défauts:
Le plus grand, c'est qu'ils manquent d’hôte.

La plupart sont inhabités;
Je ne vis personne en la rue:
Il m'en déplut; j'aime aux cités
Un peu de bruit et de cohue.

J'ai dit la rue, et j'ai bien dit;
Car elle est seule, et des plus drètes:
Que Dieu lui donne le crédit
De se voir un jour des cadettes!

Vous vous souviendrez bien et beau
Qu'à chaque bout est une place
Grande, carrée, et de niveau;
Ce qui sans doute a bonne grâce.

C'est aussi tout, mais c'est assez:
De savoir si la ville est forte,
Je m'en remets à ses fossés,
Murs, parapets, remparts, et porte.



Au reste, je ne vous saurais mieux dépeindre tous ces logis de même parure que par la place Royale; les dedans sont beaucoup plus sombres, vous pouvez croire, et moins ajustés.


J'oubliais à vous marquer que ce sont des gens de finance et du Conseil, secrétaires d’état et autres personnes attachées à ce cardinal, qui ont fait faire la plupart de ces bâtiments, par complaisance et pour lui faire leur cour. Les beaux esprits auraient suivi leurs exemples, si ce n’était qu'ils ne sont pas grands édificateurs, comme dit Voiture car d'ailleurs ils étaient tous pleins de zèle et d'affection pour ce grand ministre. Voilà ce que j'avais à vous dire touchant la ville de Richelieu.

Je remets la description du château à une autre fois afin d'avoir plus souvent occasion de vous demander de vos nouvelles, et pour ménager un amusement qui vous doit faire passer notre exil avec moins d’ennui.

 Ce serait une belle chose que de voyager, s'il ne se fallait point lever si matin. Las que nous étions, M. de Chateauneuf et moi, lui pour avoir fait tout le tour de Richelieu en grosses bottes, ce que je crois vous avoir mandé, n’ayant pas dû omettre une circonstance si remarquable, moi pour m’être amusé à vous écrire au lieu de dormir: notre promesse et la crainte de faire attendre le voiturier nous obligèrent de sortir du lit devant que l'Aurore fut éveillée.

Nous nous disposâmes à prendre congé de Richelieu sans le voir.



A Châtellerault, le 5 Septembre 1663.

 

 

Il arriva malheureusement pour nous, et plus malheureusement encore pour le sénéchal dont nous fûmes contraints d’interrompre le sommeil, que les portes se trouvèrent fermées par son ordre.

Le bruit courait que quelques gentilshommes de la province avaient fait complot de sauver certains prisonniers soupçonnés de l'assassinat du marquis de Faure. (1)

 

Mon impatience ordinaire me fit maudire cette rencontre. Je ne louai même que sobrement la prudence du sénéchal. Pour me contenter, M. de Chateauneuf lui parla, et lui dit que nous portions le paquet du roi: aussitôt il donna ordre qu'on nous ouvrît; si bien que nous eûmes du temps de reste, et arrivâmes à Châtellerault qu'on nous croyait encore à moitié chemin


Nous y trouvâmes votre oncle en maison d'ami. On lui avait promis des chevaux pour achever son voyage, et il s’était résolu de laisser Poitiers, comme le plus long, pourvu que je n'eusse point une curiosité trop grande de voir cette ville. Je me contentai de la relation qu'il m'en fit, et son ami le pria de ne point partir qu'il n'en fût pressé par le valet de pied qui l’accompagnait.

 

Nous accordâmes à cet ami un jour seulement. Ce n'est pas qu'il ne dépendît de nous de lui en accorder davantage, M. de Chateauneuf étant honnête homme et s'acquittant de telles commissions au gré de ceux qu'il conduit aussi bien que de la Cour; mais nous jugeâmes qu'il valait mieux obéir ponctuellement aux ordres du roi.


Tout ce qui se peut imaginer de franchise, d'honnêteté, de bonne chère, de politesse, fut employé pour nous régaler.

 La Vienne passe au pied de Châtellerault, et en ce canton elle porte des carpes qui sont petites quand elles n'ont qu'une demi-aune. On nous en servit des plus belles, avec des melons que le maître du logis méprisait, et qui me semblèrent excellents.

 

 Enfin cette journée se passa avec un plaisir non médiocre; car nous étions non seulement en pays de connaissance, mais de parenté.


Je trouvai à Châtellerault un Pidoux (2) dont notre hôte avait épousé la belle-sœur. Tous les Pidoux ont du nez, et abondamment.

 On nous assura de plus qu'ils vivaient longtemps, et que la mort, qui est un accident si commun chez les autres hommes, passait pour prodige parmi ceux de cette lignée. Je serais merveilleusement curieux que la chose fût véritable.

Quoi que c'en soit, mon parent de Châtellerault demeure onze heures à cheval sans s'incommoder, bien qu'il passe quatre-vingts ans.

Ce qu'il a de particulier et que ses parents de Château-Thierry n'ont pas, il aime la chasse et la paume, sait l'Ecriture, et compose des livres de controverse; au reste l'homme le plus gai que vous ayez vu, et qui songe le moins aux affaires, excepté celles de son plaisir.

 

Je crois qu'il s’est marié plus d'une fois; la femme qu'il a maintenant est bien faite, et a certainement du mérite. Je lui sais bon gré d'une chose, c'est qu'elle cajole son mari, et vit avec lui comme si c’était son galant; et je sais bon gré d'une chose à son mari, c'est qu'il lui fait encore des enfants. Il y a ainsi d’heureuses vieillesses, à qui les plaisirs, l'amour et les grâces tiennent compagnie jusqu'au bout: il n'y en a guère, mais il y en a, et celle-ci en est une. De vous dire quelle est la famille de ce parent, et quel nombre d'enfants il a, c'est ce que je n'ai pas remarqué, mon humeur n’étant nullement de m’arrêter à ce petit peuple.
Trop bien me fit-on voir une grande fille, que je considérai volontiers, et à qui la petite vérole a laissé des grâces et en a ôté. C'est dommage: car on dit que jamais fille n'a eu de plus belles espérances que celle-là.



Quelles imprécations
Ne mérites-tu point, cruelle maladie,
Qui ne peux voir qu'avec envie
Le sujet de nos passions !
Sans ton venin, cause de tant de larmes,
Ma parente m'aurait fait moitié plus d’honneur
Encore est-ce un grand bonheur
Qu'elle ait eu tel nombre de charmes.
Tu n'as pas tout détruit, sa bouche en est témoin
Ses yeux, ses traits, et d'autres belles choses :
Tu lui laissas des lis, si tu lui pris des roses;
Et comme elle est ma parente de loin,
On peut penser qu'à le lui dire
J'aurais pris un fort grand plaisir,
J'en eus la volonté, mais non pas le loisir:
Cet aveu lui pourra suffire.



On nous assura qu'elle dansait bien, et je n'eus pas de peine à le croire, ce qui m’en plut davantage fut le ton de voix et les yeux; son humeur aussi me sembla douce. Du reste ne m'en demandez rien de particulier: car, pour parler franchement, je l'entretins peu, et de choses indifférentes, bien résolu, si nous eussions fait un plus long séjour à Châtellerault, de la tourner de tant de côtés que j'aurais découvert ce qu'elle a dans l'âme, et si elle est capable d'une passion secrète.

 

 Je ne vous en saurais apprendre autre chose, sinon qu'elle aime fort les romans; c'est à vous, qui les aimez fort aussi, de juger quelle conséquence on en peut tirer.

 

Outre cette parente de Châtellerault, je dois avoir à Poitiers un cousin germain, dont je n'ai point mémoire qu'on m'ait rien dit: je m'en souviens seulement parce qu'il m'a plaidé autrefois.


Poitiers est ce qu'on appelle proprement une villace,
qui, tant en maisons que terres labourables, peut avoir deux ou trois lieues de circuit; ville mal pavée: pleine d'écoliers, abondante en prêtres et en moines.

 

Il y a en récompense nombre de belles, et l'on y fait l'amour aussi volontiers qu'en lieu de la terre; c'est de la comtesse que je le sais. J'eus quelque regret de n'y point passer; vous en pourriez aisément deviner la cause.

Ce n'est ni la Pierre-Levée
Ni le rocher Passe-Lourdin;
Pour vous en dire ma pensée,
Je les ai laissés sans chagrin;
Et quant à cet autre cousin,
Mon âme en est fort consolée;
Mais je voudrais bien avoir vu
La Landru .
Toutefois, ayant le cœur tendre,
Je suis certain que Cupidon
N'eût jamais manqué de me prendre,
S'il m'eût tendu cet hameçon;
Et puis me voilà beau garçon,
Car au départ il se faut pendre:
Je serais fâché d'avoir vu
La Landru.

Cependant je l'aurais vue si nous eussions continué notre route; j'en avais déjà trouvé un moyen que je vous dirai.


Pour revenir à Châtellerault, vous saurez qu'il est mi-parti de huguenots et de catholiques, et que nous n'eûmes aucun commerce avec les premiers.

 

Le terme dont nous étions convenus avec notre hôte étant écoulé, il fallut prendre congé de lui. Ce ne fut pas sans qu'il renouvelât ses prières: nous lui donnâmes le plus de
temps qu'il nous fut possible, et le lui donnâmes de bonne grâce, c’est-à-dire en déjeunant bien, et tenant table longtemps, de sorte qu'il ne nous resta de l'heure que pour gagner Chavigni, misérable gîte,  et où commencent les mauvais chemins et l'odeur des aulx, deux proprietes qui distinguent le Limousin des autres provinces du monde.

 

 

Passé Chavigny, l'on ne parle quasi plus françois ; cependant, cette personne m'entendit sans beaucoup de peine : les fleurettes (3) s'entendent par tout pays et ont cela de commode qu'elles portent avec elles leur truchement.

Mon sommeil ne fut nullement bigarré de songes comme il a coutume de l'être : si pourtant Morphée m'eut amené la fille de l'hôte, je pense bien que je ne l'aurois pas renvoyée; il ne le fit point et je m'en passai.

 


Notre seconde couchée fut Bellac.

L'abord de ce lieu m'a semblé une chose singulière, et qui vaut la peine d’être décrite. Quand, de huit ou dix personnes qui y ont passé sans descendre de cheval ou de carrosse, il n'y en a que trois ou quatre qui se soient rompu le cou, on remercie Dieu.



Ce sont morceaux de rochers
Entés les uns sur les autres,
Et qui font dire aux cochers
De terribles patenôtres.
Des plus sages à la fin
Ce chemin
Epuise la patience.
Qui n'y fait que murmurer
Sans jurer,
Gagne cent ans d'indulgence.
M. de Chateauneuf l'aurait cent fois maudit,
Si d'abord je n'eusse dit:
«Ne plaignons point notre peine;
Ce sentier rude et peu battu
Doit être celui qui mène
Au séjour de la vertu.»



Votre oncle reprit qu’il fallait donc que nous nous fussions détournés: «Ce n'est pas, ajouta-t-il, qu'il n'y ait d’honnêtes gens à Bellac aussi bien qu'ailleurs; mais quelques rencontres ont mis ses habitants en mauvaise odeur. »

 

Là-dessus il nous conta qu’étant de la commission des grands jours, il fit le procès à un lieutenant de robe courte de ce lieu-là, pour avoir obligé un gueux à prendre la place d'un criminel condamné à être pendu, moyennant vingt pistoles données à ce gueux et quelque assurance de grâce dont on le leurra. Il se laissa conduire et guinder à la potence fort gaiement, comme un homme qui ne songeait qu'a ses vingt pistoles, le prévôt lui disant toujours qu'il ne se mît point en peine, et que la grâce allait arriver. A la fin le pauvre diable s’aperçut de sa sottise; mais il ne s'en aperçut qu'en faisant le saut, temps mal propre à se repentir et à déclarer qui on est. Le tour est bon, comme vous voyez, et Bellac se peut vanter d'avoir eu un prévôt aussi hardi et aussi pendable qu'il y en ait.
Autant que l'abord de cette ville est fâcheux, autant est-elle désagréable, ses rues vilaines, ses maisons mal accommodées et mal prises. Dispensez-moi, vous qui êtes propre, de vous en rien dire. On place en ce pays-là la cuisine au second étage. Qui a une fois vu ces cuisines n'a pas grande curiosité pour les sauces qu'on y apprête. Ce sont gens capables de faire un très méchant mets d'un très bon morceau. Quoique nous eussions choisi la meilleure hôtellerie, nous y bûmes du vin a teindre les nappes, et qu'on appelle communément «la tromperie de Bellac»: ce proverbe a cela de bon que Louis XIII en est l'auteur. ……

 

 

 

 

 

 

 ==> Note sur la famille maternelle de Jean de La Fontaine, Les Pidoux du Poitou et d'alliance entre les Richelieu

 

 


 

Transformation des grands chemins du Haut-Poitou (Châtellerault à Poitiers)

Les Grands Chemins ont toujours été regardés dans les Etats bien palissés, comme un objet de conséquence et qui méritait une attention particulière. Les Romains l'ont poussé au-delà de toute autre nation, et ne se sont pas rendus moins recommandables par les beaux, grands et magnifiques chemins qu'ils ont fait que par leurs exploits militaires et les établisse­ments des sages lois que nous suivons encore.

 

(1)    Le marquis de Faure s’appelait du Vigean. Il était frère de la duchesse de Richelieu ; son autre soeur est morte aux Carmélites. Il fut assassiné dans son pays, comme il allait en carrosse rendre visite à un de ses amis.

Anne Poussard de Fors du Vigean, duchesse de Richelieu (1622-1684), est la première dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse d'Autriche de 1671 à 1679, et celle de la dauphine Marie-Anne de Bavière de 1679 à 1684.

(2)    C'est de la famille Pidoux, originaire de Bas Poitou (Poitiers et de Châtellerault), que sortait Mme La Fontaine, mère du poète, née Françoise Pidoux.

Françoise Pidoux (1582-1644), mariée en premières noces avant 1611 à honorable homme Louis de Jouy, marchand (dont une fille), puis le 13 janvier 1617 avec Charles de La Fontaine, maître général des Eaux et Forêts de Château-Thierry, d'où deux fils dont le 8 juillet 1621, le fabuliste Jean de La Fontaine.

Elisabeth Pidoux, fille de François Pidoux, célèbre médecin, maire de Poitiers, et cousine-germaine de Jean de la Fontaine.

François Pidoux (1581-1662), fils du médecin d'Henri IV, Jean Pidoux,  écuyer, sieur de Polyé, docteur en médecine à Poitiers en 1609, sous-doyen de la faculté en 1634, doyen en 1652, recteur de l'Université de Poitiers en 1625, maire de Poitiers en 1631. Marié à Catherine Pellisson dont neuf enfants.  Participa à l'affaire des religieuses de Loudun

Autres formes du nom :         Franciscus Pidoux ; Franciscus Pidouxius (latin)

 

Est-il étonnant, après cela, qu'étant fils d'une Poitevine, notre poète national ait eu tant d'esprit?

En tous cas, il est bon qu'on sache mieux, que La Fontaine avait du sang poitevin-limousin dans les veines.

 

(3) Ce mot est un excellent équivalent de l'anglais « flirt » qui, du reste, n'est qu'une corruption du mot français dans son sens de « compliments », « propos galants »-

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