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PHystorique- Les Portes du Temps
31 juillet 2023

Les prisonnières d'Angers transférées à Montreuil-Bellay (1793-1794)

Les prisonnières d'Angers transférées à Montreuil-Bellay (1793-1794)

Lorsqu'on apprit qu'au retour de leur campagne d'Outre- Loire, les Vendéens marchaient sur Angers, les représentants du peuple Esnue de la Vallée et Francastel décidèrent l'évacuation des prisons et le transport immédiat et en masse des détenus.

Tous furent entassés dans la cathédrale, hommes, femmes et enfants.

 

Voici l'arrêté pris, le 29 novembre 1793, par Esnue de la Vallée et Francastel :

« La Commission militaire s'occupera de suite et sans relâche du transport hors d'Angers de tous les prisonniers qui se trouvent en cette ville ; elle pourvoira aux moyens de faire faire ce transport d'une manière sûre, l'autorisant à requérir à cet effet la force armée; les citoyens Gouppil fils, officier municipal d'Ange, Girard Rethureau (1), membre du Comité de surveillance de la même ville, et Melouin, administrateur du département de la Mayenne, seront adjoints à la Commission militaire pour toutes les opérations qu'exigera ce transport.

 La Commission militaire s'occupera de juger sans délai les plus coupables d'entre ces prisonniers, la rendant responsable de tout retard et de toute négligence à cet égard. »

Aussitôt la Commission militaire présidée par Félix se rend dans les prisons, procède à un jugement sommaire des détenus, et dans la soirée du même jour, 29 novembre, elle requiert le Comité révolutionnaire d'Angers « de faire attacher deux à deux et solidement les prisonniers, tant ceux faits sur les brigands que ceux qui sont détenus comme suspects, femmes et hommes, à l'exception des femmes détenues qui ont des enfants avec elles, et de les faire transférer dans l'église Saint-Maurice sur-le-champ sous bonne et sûre garde, jusqu'au moment de leur départ, ordonné par la Commission, qui sera exécuté dans l'instant (2). »

Une des prisonnières renfermées dans l'église des Cordeliers, Mlle Caroline de Terves, transférée à Montreuil-Bellay avec les autres, épousa plus tard le chevalier de la Roche Saint-André.

 En 1849, cette dame fournit à M. l'abbé Bruneau de nombreux détails sur sa détention à Angers et à Montreuil-Bellay.

 L'ouvrage de M. l'abbé Bruneau parut à Saumur, chez Godet, en 1865, sous ce titre : Les nobles prisonnières ou le château de Montreuil.

 

Nous allons en extraire les principaux passages.

Dans la nuit du 29 au 30 novembre 1793, à une heure avancée, un mouvement inaccoutumé se fait entendre aux abords de la prison des Cordeliers (3).

 La garde prend les armes, la porte s'ouvre, les tambours battent aux champs! Que signifient ces manœuvres? Que va-t-il arriver? C'est ce qu'on se demande parmi les prisonnières; toutes se lèvent avec une précipitation mêlée d’inquiétude.

La porte était ouverte, des soldats entrent, tenant d'une main le sabre nu et de l'autre une torche allumée. Derrière eux, suivent trois citoyens coiffés du bonnet rouge et auxquels les soldats, en passant, rendent les honneurs.

 Ce sont des juges ou en d'autres termes une Commission militaire nommée pour expédier plus vite les malheureux proscrits.

Les trois sans-culottes, à défaut de tribunal, montent sans façon sur l'autel, qui subsistait encore. Ils s’asseyent à la place du tabernacle, pour juger de là toute cette multitude qu'ils avaient devant eux.

Figurez-vous ces trois hommes dans cette attitude, éclairés seulement par quelques torches aux mains des soldats : et devant eux en face de l'autel, sous ces sombres voûtes, quinze cents malheureuses femmes, toutes debout, inquiètes et tremblantes, au milieu d'un silence effrayant. Le cœur serré, l'oreille attentive, chacune retient jusqu'à son haleine, pour mieux entendre ce que vont dire ces hommes, deviner le sort qui les attend. Mais ils avaient un langage tout extraordinaire, des expressions nouvelles, eux seuls se comprenaient. Seulement, leurs plaisanteries indécentes, leurs mauvaises manières trahissaient quelquefois le mystère et laissaient entrevoir des intentions sinistres. Il tardait de voir arriver ce jugement.

Munis d'une liste dressée d'avance, les nouveaux juges appelèrent devant eux, dans le sanctuaire et successivement, chacune des prisonnières, les obligeant à décliner leur nom, leur qualité, leur âge, et les condamnant toutes sans autre forme de procès. Deux personnes seulement échappèrent aux impitoyables juges : Mme de Chemellier et sa belle-sœur Mme de Buzelet (4).

 Ces dames furent réclamées par d'anciens serviteurs, qui trouvèrent le moyen de les soustraire à la mort. Toutes les autres durent se soumettre à la « juste » sentence ; ce tribunal jugeait sans appel.

Malgré la brièveté des interrogatoires, la séance fut longue ; le nombre des prétendues coupables était si grand ! Vers les 11 heures du soir (29 novembre), les citoyens juges avant terminé leur séance, toutes les condamnées furent séparées en deux colonnes à peu près égales.

 Il fallait partir, chaque prisonnière prit son petit bagage sous le bras.

 La première colonne sortit entre deux haies de baïonnettes et serrées de près. La seconde colonne, composée d'environ huit cents femmes, restait encore; mais il lui fallut aussi se mettre en marche : nous marcherons avec elle et nous la suivrons jusqu'au bout.

Pour faire sortir cette dernière colonne, les précautions redoublaient. En effet, à mesure que les prisonnières sortaient, il leur fallait se ranger sur plusieurs rangs, de manière à occuper le moins de terrain possible : c'était ce que, dans le langage militaire, on nomme une colonne serrée.

Une escorte plus que suffisante les enveloppait de toutes parts. Au signal donné, tout s'ébranle, on se met en marche à petit bruit ; les clairons et les tambours avaient été mis de côté.

Ces pauvres femmes furent dirigées par des rues silencieuses, qu'elles ne distinguaient guère dans l'obscurité de la nuit.

Où les conduisait-on? Personne n'avait pris la peine de le leur dire : c'était sans doute à la mort ! Quelques-unes priaient, d'autres versaient des larmes, toutes se recommandaient à Dieu.

Après dix minutes de marche, elles arrivèrent devant la cathédrale (Saint-Maurice), dont la porte était ouverte déjà.

Dans l'intérieur de l'église, elles aperçoivent des torches, elles y entendent un tapage effrayant. Victimes vouées au sacrifice, elles entrèrent sans trop de crainte ; c'était la maison de Dieu.

Mais dans la nef on avait amassé de nombreux tas de paille : des hommes, à grands coups de hache, brisaient, comme des furieux, les confessionnaux, les bancs et les boiseries.

C'était quelque chose d'affreux! Évidemment, se disaient les condamnées, on nous fait venir ici pour nous faire brûler vives : ces pailles vont servir pour allumer les flammes, et les boiseries qu'on brise vont être le bûcher !

Plus d’une heure se passa dans ces terribles angoisses : il était minuit, lorsque, par une des portes latérales de l'église, on vit entrer un certain nombre de personnes ayant la tenue révolutionnaire.

C'étaient des femmes ! Leur apparition subite et leurs allures suspectes inspirèrent aux prisonnières un certain effroi. Les citoyennes portaient dans leurs mains de gros paquets de cordes, dont l'aspect n'avait rien de bien rassurant.

 Certains préparatifs eurent lieu d'abord, puis, au signal donné, elles se jetèrent sur les condamnées pour les attacher deux à deux par le bras. Ensuite une grande corde fut étendue de long et à cette corde les couples furent fixées de manière à ôter toute idée d'évasion.

Lorsque toutes ces malheureuses furent ainsi attachées, un sans-culotte saisit de ses deux mains l'extrémité de la corde en avant et tirant de toutes ses forces, comme s'il avait voulu traîner toute la colonne, il les dirigea vers la grande porte qui donne sur le parvis.

 Cette porte étant toujours ouverte, le défilé commença.

Mais en arrivant sur la place, que voient les prisonnières !

D'un côté les troupes rangées sous les armes, de l'autre la guillotine sur un chariot, puis quatre pièces de canon chargées à mitraille, en face desquelles on les fait ranger : appareil terrible qui produisit sur l'esprit de ces pauvres captives une bien vive impression.

Bientôt les malheureuses condamnées furent rangées ; on allait partir, des soldats choisis pour l'escorte étaient commandés par un chef, auquel on donna des instructions. L'une de ces instructions était de faire fusiller sur la route même celles qui ne pourraient ou ne voudraient. pas marcher.

 Le convoi fut ordonné comme il suit : à la tête s'avançaient la guillotine et les canons, accompagnés de la Commission militaire ; puis suivaient les prisonnières, entre deux haies de baïonnettes ; le reste de l'escorte fermait la marche et enserrait les pauvres femmes dans un cercle de fer.

Il pouvait être une heure du matin (30 novembre). La nuit était toujours sombre et la température assez froide ; mais les condamnées y firent peu attention, leur a.me, surexcitée par de si terribles impressions, maintenait en elles une agitation fiévreuse qui les soutenait dans cet affreux moment. Le grand air leur fit même un peu de bien, au sortir d'une prison infecte.

Les prisonnières peu à peu se rassurent, voyant la manière dont se tournaient les choses : on ne les massacre pas, on les conduit dans la direction des Ponts-de-Cé.

Mais sur la route, on remarqua une chose capable de donner de l'inquiétude ; les citoyens de la Commission militaire discutaient avec vivacité ; assis sur le même chariot qui portait la guillotine, ils proféraient des cris peu rassurants; leurs blasphèmes, les rires sataniques qu'ils faisaient entendre parfois au milieu des ténèbres, avaient quelque chose de lugubre.

 La joie de ces démons était un mauvais présage, on devait s'attendre à quelque malheur.

Cependant on cheminait toujours, le convoi arriva bien vite aux Ponts-de-Cé.

Là on fit une halte ; les commissaires entrèrent dans une taverne, et au milieu de leurs libations ils décidèrent qu'on jetterait toutes ces femmes à la Loire, pour s'en débarrasser!

C'était là l'objet de leurs discussions sur la route, et cette décision devenait un arrêt. La colonne se remet donc en marche vers la grande Loire, jusqu'à l'endroit où les eaux sont plus profondes. Là on s'arrête encore, hélas ! peut-être pour la dernière fois !

 Les commissaires qui avaient suivi, vont et viennent dans les rangs des soldats ; ils vont aux officiers, des officiers au commandant lui-même ; ils veulent qu'on jette toutes ces femmes par-dessus le parapet du pont!

Mais les soldats refusent de se prêter à celte indigne manœuvre.

Deux fois on fait passer sur le même pont les prisonnières, deux fois on les ramène toujours en excitant les soldats ; mais ce fut inutile.

Enfin, de guerre lasse, on ramène le convoi hors de la ville du côté de Saint-Aubin : alors les malheureuses condamnées furent toutes réunies dans un seul groupe devant la bouche des canons. On voulait absolument en finir avec elles. C'était facile : deux ou trois décharges suffisaient pour cela. Mais les canons sont chargés, les artilleurs sont à leurs pièces, ils tiennent en mains leurs mèches fumantes et ils refusent d'obéir. Les commissaires voyant qu'on méprisait leurs ordres se retirèrent furieux et proférant des menaces contre tout le monde. Mais l'armée était tout alors, et le soldat sous les armes devenait le citoyen le plus indépendant.

Toutes ces choses se passaient pendant que les habitants étaient ensevelis dans le sommeil. Les commissaires disparus, le commandant fit rentrer le convoi dans la ville, à l'entrée de laquelle se trouvait une église capable de contenir tout son monde et lui permettre d'attendre le lever du jour.

Il était 3 heures du matin (30 novembre). Les portes de l'église Saint-Aubin furent ouvertes ; mais avant d'y faire entrer les prisonnières, les soldats les voyant fatiguées et toutes haletantes, à cause des marches et contremarches qu'on leur avait fait subir, prirent les baquets d'une auberge voisine et puisant dans la Loire vinrent présenter à boire dans les rangs. Plusieurs en acceptèrent. C'était le premier adoucissement qu'elles trouvassent dans leur infortune.

L'heure avancée et le besoin de faire reposer les gens de l'escorte, firent qu'on ne prit pas la peine de délier les prisonnières ; elles entrèrent dans l'église, attachées comme elles l'étaient sur la route et au moment du départ. Ces liens rendaient leur position extrêmement pénible, tous leurs mouvements étaient gênés, soit pour s'asseoir, soit pour se coucher sur ces dalles froides et humides.

A peine le jour commençait à poindre, voilà que le tambour bat, les soldats prennent les armes ; il fallait partir. Les prisonnières se lèvent toutes ensemble ; la porte s'ouvre, on les fait défiler. A mesure qu'elles sortent dans la rue, la colonne se forme dans le même ordre que la veille, il n'y avait de moins que la Commission militaire. Le temps était humide et froid ; la colonne s'avançait assez lentement, les prisonnières avaient de la peine à se faire à cette marche embarrassée. En passant sur la grande Loire, chacune mesura de l'œil la profondeur du fleuve en cet endroit choisi des commissaires quelques heures auparavant. Un sentiment d'effroi glaça tous les cœurs, il tardait à toutes de s'éloigner de ces lieux.

Pendant que le convoi traversait la ville des Ponts-de-Cé, les habitants, attirés par la nouveauté du fait, accouraient sur le passage, et ce fut là qu'on put reconnaître et compter ces malheureuses victimes de la Révolution. C'étaient d'excellentes mères de famille, des dames d'une grande noblesse, des jeunes personnes élevées chrétiennement par des mères vertueuses, des servantes arrêtées avec leurs maîtresses ou qui s'étaient livrées elles-mêmes pour les servir.

On y voyait beaucoup de paysannes de Vezins, Trémentines, Coron, La Tourlandry ((Marie Chevallier), etc., dont les maris ou les frères avaient pris parti dans l'insurrection vendéenne.

 On trouva que dans cette colonne il y avait huit cents femmes toutes à pied et toutes garottée comme nous l'avons vu. On remarquait surtout les dames nobles également enchaînées : l'une avec sa domestique, l'autre avec une paysanne, d'autres deux ensemble et obligées de marcher avec les autres et comme les autres. Là se trouvaient : Mmes Duvergier (née de la Perraudière), de Juigné, de la Grandière, de la Selle, de la Gennevraie, de Falloux du Coudray (née d'Etriché), de la Chevallerie, de la Cressonnière, de Chevreuse, de la Pommeraie, de Pissonet, de Bellefonds, de Grignon, de Terves (avec elle ses cinq filles), Martin de la Pommeraye ; Mlle. de Wassé, Hiret de Châ- teauneuf, Hiron ; deux dames religieuses de Notre-Dame de La Flèche appartenant à la famille de Colasseau ; une dame Rousseau (d'Angers) ; plusieurs femmes dont les maris se sont distingués dans la guerre de la Vendée (Boiteau, Poissonneau).

Lorsque la Loire fut passée, on vit la tête de colonne qui gravissait péniblement la butte d'Érigné. Là on fit une halte pour donner à quelques soldats traînards le temps d'arriver. La colonne défila ensuite vers Brissac dans l'ordre accoutumé. « Marcher ou mourir » était le mot d'ordre du commandant; il le répétait sans cesse et il était homme à le faire exécuter. Cette menace donna du courage à plusieurs, qui, déjà tout accablées de fatigue, se traînaient péniblement, s'appuyant sur celles qui partageaient leur chaîne.

Ainsi, tant bien que mal, on finit par arriver à Brissac Là se trouvait la deuxième station. On descendit au château.

Cette ancienne demeure des dues était dévastée, ses portes enlevées, sa toiture mal en ordre ; il fallut se réfugier dans les cuisines souterraines pour y passer la nuit. La grande corde seulement fut enlevée ; des soldats furent mis partout en sentinelle, et on dut se résoudre à dormir sur le pavé. A Brissac, on distribua des vivres pour la première fois. Chacune des prisonnières reçut un pain de munition, mais noir et de mauvaise confection. Les, dames qui avaient un peu d'argent, supplièrent leurs gardes et obtinrent la permission de faire acheter au dehors quelque chose d'un peu plus convenable à leur extrême fatigue. La nuit se passa sans incident, tout le monde avait besoin de repos.

Le lendemain, lorsque le jour parut, il se trouva que bon nombre des voyageuses avaient les pieds enflés. Un sous-officier proposa de louer une charrette pour y faire monter Mme de Terves et ses cinq filles ; il obtint les permissions nécessaires, et le véhicule fut prêt au moment du départ. Le soldat détacha les dames de Terves de la grande chaîne.

Le convoi qui marchait en avant sur la route de Doué, n'avança que lentement : on suivait des chemins détrempés. Les dames les plus courageuses sentirent bientôt leurs forces s'affaiblir. Ce qu'il fallait à ces malheureuses, c'était du repos et un peu d'eau pour laver leurs pieds et leurs chaussures. Mais rien de tout cela n'était possible.

A force de courage on arriva pourtant jusqu'à Doué.

Elles furent enfermées dans une église froide, abandonnée, avec une garde sévère ; on distribua le pain de munition ordinaire et une ration d'eau, puis de la paille pour se coucher. Il fallut garder ses chaussures pleines de sang.

 Les paysannes, pleines de compassion pour les dames qui partageaient leur chaîne, s'efforçaient de leur être utiles autant qu'elles le pouvaient.

 

Le lendemain, ont vint dire aux prisonnières qu'on allait les conduire à Montreuil-Bellay.

 Le tambour bat, les soldats se rangent, on attache de nouveau les condamnées à la chaîne, et le signal du départ est donné.

 Lorsque la colonne atteignit la forêt de Brossay, au moment d'y entrer on fit une halte : les soldats visitèrent leurs armes, les artilleurs se mirent à leurs pièces et on serra les rangs.

 A la vue de ces préparatifs, les prisonnières eurent le frisson. La marche déjà lente et pénible dans une route ordinaire, le fut bien davantage encore dans ces chemins étroits, boueux et remplis de broussailles.

 On ne sait pas comment les pauvres voyageuses purent arriver jusqu'à Montreuil- Bellay.

Quinze lieues faites à pied par des femmes délicates, dans des chemins difficiles, et enchaînées comme des forçats, c'est une chose horrible dont on n'a pas l'idée.

 Elles étaient huit cents au moment du départ d'Angers et les huit cents purent arriver jusqu'à Montreuil-Bellay.

Les dames de Terves descendirent alors de leur charrette et furent remises à la chaîne commune.

Une fois entrées dans la cour du château de Montreuil, les prisonnières furent détachées et on enleva l'horrible corde qui les avait tant fait souffrir.

Six commissaires (trois hommes et trois femmes), tous habitants de Montreuil, avaient été nommés. Ils firent ouvrir toutes les portes et firent entrer autant de monde qu'on pouvait.

Chacune de ces malheureuses, en entrant, reçut la botte de paille qui devait lui servir de lit.

Lorsque tous les appartements du premier étage furent remplis, on fit monter au second puis aux mansardes.

Les petites chambres des tourelles furent occupées comme les autres, le château tout entier fut rempli. Le rez-de-chaussée fut réservé pour la geôle.

Le château de Montreuil se trouvait beaucoup trop petit pour contenir un si grand nombre de personnes ; dans plusieurs appartements, on comptait plus de cent cinquante femmes : les moindres chambres en avaient trente ou quarante, et là où trois cents personnes à peine auraient pu tenir, on en logea huit cent.

La garde de la prison fut d'abord confiée à des troupes régulières, puis remise à la garde nationale de Montreuil, aidée de celle de Chinon.

 Au commencement, les prisonnières ne pouvaient ouvrir aucune fenêtre pour prendre l'air, quand le temps était beau.

 Beaucoup tombèrent malades. Point de médecin, point de remèdes. Un morceau de pain noir, deux litres d'eau par jour à chaque personne, c'était tout ce qu'il était possible d'obtenir (5).

Le tvphus finit par se mettre dans la prison, et deux des commissaires en moururent. Alors ni les commissaires ni les personnes de service n'osaient plus y entrer. Le pain et l'eau se distribuaient à la porte, on n'allait pas plus loin.

Un seul homme osait pénétrer dans les chambres, le fossoyeur. Chaque matin, il prenait sur leur paille les mortes et il chargeait hideusement sur ses épaules leur cadavre encore chaud pour le porter vers la fosse commune.

Depuis le 25 décembre 1793 jusqu'au mois de février suivant, c'est-à-dire dans l'espace d'un mois environ, il mourut plus de cent trente prisonnières.

 Le 10 février 1794, il en mourut trente.

Le commissaire Estienvrin (6) écrivit à Angers une de ces lettres accentuées et d'un style révolutionnaire, lettre dans laquelle il demandait qu'on le débarrassât d'une bonne partie des détenues, comme le seul moyen d'arrêter le fléau.

-

On lui répondit par un ordre de faire partir pour Blois ou pour Chartres toutes celle des prisonnières qui pourraient faire le trajet.

On était au début de février 1794.

Sur les huit cents femmes venues d'Angers, deux cents avaient déjà péri. Sur les six cents qui restaient v encore, la moitié se fit inscrire, les unes pour Chartres, les autres pour Blois.

Toutes les paysannes de la Vendée demandèrent à rester.

Les émigrantes une fois parties (7), les autres prisonnières se trouvèrent plus à l'aise (8). La permission fut accordée à quelques-unes de sortir, sous escorte, à certains jours pour aller par la ville mendier une nourriture plus convenable à leur mauvaise santé.

 

Les paysannes obtinrent la permission de descendre au bord de la rivière pour laver un peu de linge. Un jour que les eaux étaient plus basses qu'à l'ordinaire, cinquante prisonnières traversèrent le Thouet ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, puis disparurent du côté de la forêt.

M. Estienvrin et le commandant du château convinrent de garder un silence absolu sur cette évasion : le typhus avait enlevé tant de monde, que les noms des absentes pouvaient être mis sur la liste des morts.

Les prisonnières, au nombre de cinquante environ (9), subissaient toujours le même régime, toujours les verroux, toujours nourries du mauvais pain de munition.

Après la chute de Robespierre, elles eurent une liberté plus grande, elles pouvaient sortir pendant le jour accompagnées d'un soldat, qui les suivait partout armé d'une pique.

Au mois d'octobre 1794, un matin, les commissaires vinrent tous ensemble, avec le maire de Montreuil, annoncer aux prisonnières qu'elles étaient libres.

On leur ouvrit les portes, la garde se retira et toutes les dames sortirent après onze mois de captivité (10).

 

 

L'Anjou historique

 

 

La Terreur dans le Saumurois – Les prisonniers de la Guerre de Vendée de la Tour Grénetière de Saumur  <==

7 et 8 juin 1793 Batailles de Doué-la-Fontaine et de Montreuil-Bellay  <==

 


 

(1) Ce fut Obrumier fils qui remplit cette mission, à la place de Girard- Rethureau.

(2) Le 29 novembre, Francastel, « sentant combien il importe de faire partir promptement les gens suspects d'Angers et de les faire conduire à leur destination, s'informe au comité de surveillance s'ils sont maintenant en marche, et dans le cas où ils ne le seraient pas encore le requiert d'abréger tout délai et de les faire filer en diligence. » (Archives Nationales, D. III 348.)

Le 29 novembre 1793, Guillemette, commandant de la place de Doué, écrivait à David, commandant de celle de Montreuil-Bellay :

« D'après les ordres des représentants du peuple, on vient de prendre le parti de faire conduire les gens suspects détenus à Angers, au ci-devant château de Montreuil.

Une escorte de garde nationale d'Angers accompagnera jusqu'à Brissac, de Brissac à Doué, ainsi de suite. Vous ferez en sorte de tenir du logement prêt pour quinze cents prisonniers, non compris ceux qui les escortent de Doué. » (Archives de Maine-et-Loire, L 1219.) — Le 29 novembre, le maire de Montreuil-Bellay (Estienvrin; écrit au district de Saumur : « Il nous arrive demain quinze cents prisonniers. » (District de- Saumur, 158.)

(3) La rue des Cordeliers est ouverte aujourd'hui sur toute la longueur de la nef de l'ancienne église.

 (4) Mme de Chemellier mourut à Angers, le 10 décembre 1850 (Anjou historique, XI, 495), et Mm. de Buzelet de 29 novembre 1805 (XII, 25.)

(5). Suzanne Pissonet de Bellefonds, veuve de Charles- Louis de Grignon, écrivait, le 16 janvier 1794, de sa prison du château de Montreuil-Bellay :

« Je vous prie d'aller à l'Eperonnière (son château, à Vezins), espérant que Jeanneton y sera. Qu'elle m'envoie des chemises, mouchoirs, bas, bonnets, jupes, serviettes, souliers, couvertures, une camisole, un oreiller, car on ne se chauffe guère sur la paille, comme nous couchons. Je voudrais bien qu'ils m'apporteraient du beurre, des volailles et des légumes, ça me ferait grand plaisir. Qu'ils ne craignent point de venir : toutes les autres reçoivent, nous en avons la liberté. Je suis bien gênée de n'avoir pas de quoi changer, etc. » (Archives de Maine-et-Loire, L. 1161.)

Au mois de février 1794, Joseph Gellusseau, en prison au château de Montreuil, écrit à sa mère, qui demeurait à Cholet, pour demander que la municipalité le réclame ; il lui dit de lui envoyer de l'argent, du beurre, du miel (Idem.)

(6). Il vivait encore en 1849, et c'est lui qui donna beaucoup de renseignements à l'auteur.

(7). C'est le 7 février 1794 que les prisonnières quittèrent le château de Montreuil pour aller à Saumur.

 Le lendemain 8 février, la municipalité de Mon- treuil mandait au Comité révolutionnaire de Saumur : « La translation des prisonniers de Montreuil à Saumur a été par nous imprévue, sans avoir reçu d'avis ; mais bien le commandant de la place de Montreuil, qui sur-le-champ nous en fit part verbalement ; et de suite, nous nous occupâmes à requérir des voitures. Les prisonniers ont été amenés de Doue-la-Fontaine à Montreuil- Bellay à plusieurs fois ; la première, avec une liste simple, sans distinction des suspects avec les coupables ; les autres fois, les ordres du commandant de la place de Doué étaient adressés à celui de Montreuil ; mais aux arrivées, conjointement avec le commandant, nous avons pris les précautions nécessaires, et après dressé une liste générale ; n'ayant aucune note ni instruction pour la distinction que vous désirez, nous n'avons pu la faire. Si nous avions été prévenus à temps de cette nécessité, nous n'aurions eu d'autres ressources que d'écrire aux municipalités en très grand nombre, mais nous n'aurions pu parvenir à mettre fin à temps à cette opération. — Tous les prisonniers qui étaient dans notre maison d'arrêt, ne purent être transférés hier. Parmi ceux qui restent, il y en a plus des trois quarts de malades et hors d'état d'être transportés. Tout cela et le peu de temps que nous avons eu ne nous a pas permis de vous faire passer copie de la liste ; nous le ferons demain. » (L. 1232.)

Effectivement la municipalité envoya l'Etat général des prisonniers et prisonnières déposés au ci-devant château de Montreuil-Bellay en l'an II de la République une et indivisible. Cette liste comprend cinq cent vingt-deux femmes et soixante-seize hommes ; parmi les hommes douze étaient morts ; parmi les femmes, quatre-vingt-dix étaient mortes et vingt avaient été élargies. (L. 1300.)

Les femmes parties de Montreuil le 7 février étaient au nombre de deux cent cinq : elles quittèrent Saumur le 12 février, se dirigeant sur Blois. (La liste se trouve L. 1300.)

Ce fut le 6 décembre 1793 que le premier convoi de prisonnières arriva au château de Montreuil-Bellay, conduit par Obrumier. Il comprenait deux cent cinquante-cinq femmes.

(8) Le 12 février 1791, David, commandant de la place de Montreuil-Bellay, écrivait au Comité révolutionnaire de Saumur : « La pins grande partie des femmes suspectes détenues dans le ci-devant château de Montreuil sont dangereusement malades, et on ne peut leur porter aucun soulagement, vu la contagion qui existe dans le lieu qu'elles habitent. Nombre de citoyens de Montreuil remplis d'humanité ont demandé si, sans se compromettre, ils pourraient leur donner l'hospitalité afin de leur administrer les secours propres à les rendre à la vie. J'ai consulté sur cet objet, ainsi que vous me l'aviez dit, les membres du Comité révolutionnaire de Montreuil ; ils ne veulent rien prendre sur eux et se rejettent sur l'ordre que vous en donnerez. Vous voyez donc que cet acte d'humanité de la part des citoyens de Montreuil vous est entièrement réservé. Veuillez répondre et me marquer si la chose est possible. » (L. 1219.)

(9). Le 17 mai 1794, Estienvrin, maire de Montreuil, envoya au district de Saumur les noms des cinquante-quatre détenues au château. (District de Saumur, 208.) — Le 31 août 1794, le district de Saumur écrivit au département : « Il existe dans la maison d'arrêt de Montreuil cinquante-quatre détenues, la majeure partie de la Vendée, d'autres de Nantes, des environs d'Angers et de Saumur.

Toutes paraissent totalement dénuées de ressources. L'agent principal des subsistances militaires leur a fait fournir du pain jusqu'au 1er août 1794 qu'il a cessé. Nous avons provisoirement chargé un boulanger de continuer ce service, mais il va le suspendre si on ne lui procure des fonds ».

 — Le 2 sepembre 1794, l'agent national près la municipalité de Montreuil mande à son collègue près le district de Saumur : « Il y a à Moutreuil cinquante-trois détenues, qui sont assez tranquilles, bien gardées et surveillées, et elles ne voient que les personnes chargées de surveiller et garder cette maison ; et si d'autres personnes y entrent pour porter de l'ouvrage aux détenues et le reprendre, elles sont toujours accompagnées d'un des citoyens chargés de la surveillance. » (District de Saumur, 205.)

(10) Le 25 septembre 1794, le Comité révolutionnaire d'Angers écrivit à celui de Montreuil-Bellay de mettre en liberté Eléonore-Victoire de Belliére, Anne de Bercy, Marie Richou femme Bompois et sa fille.

Le 30 octobre 1794, la municipalité d'Angers délivre à la citoyenne Robin femme Pissonet, détenue à Montreuil-Bellay, un certificat attestant qu'il ne lui est parvenu aucun fait à la charge de cette femme (Délibération municipale.)

 

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