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PHystorique- Les Portes du Temps
20 septembre 2023

La Condamnation de Jean-sans-Terre par la Cour des Pairs de France Par M. Gabriel RICHAULT

La Condamnation de Jean-sans-Terre par la Cour des Pairs de France

Jusqu’à ces derniers temps, il était généralement admis par les historiens que le roi Jean-sans-Terre avait été condamné par contumace à la peine de mort et à la confiscation de ses fiefs, par un arrêt de la Cour des Pairs de France, comme coupable d’avoir assassiné son neveu, Arthur de Bretagne.

Bouchet, dans ses Annales d’Aquitaine (année 1204) ne parle pas expressément d’une condamnation à mort, mais son récit, qui relate minutieusement les phases de la procédure, est très formel sur ce point que Jean a bien été condamné pour le meurtre d’Arthur.

« Ledit Roy Philippes renvoya lesdits requérants par-devant les Pers de France, qui furent pour l’affaire assemblez, et les informations faites desdits cas et crimes par eux veues, fut ordonné « que ledit Jean, comme Duc de Normandie et d’Aquitaine, seroit adjourné à comparoir en personne, à certain jour par devant eux à Paris ; ce qui fut fait, et n’y comparut : après trois deffauts donnés, avant que sentenlier contre luy, fut appoincté que les témoins contenus es-informations seroient recollez, et autres examinez, ce qui fut fait par ceux qui furent à ce commis. Et pour ce voir faire, fut ledit Jean derechef adjourné, et aussi pour veoir adjuger le proffit desdits deffauts et intimations, qu’il comparut ou non, seroit contre luy procédé comme de raison.

« Ledit Jean ne comparut aucunement et, par arrest donne par les Pers de ;  France, fut déclaré contumax : et veu la contumace, déclaré avoir fait et commis par trahison le crime de fratricide en la personne de son neveu ; Arthur de Bretagne, et rebelle et désobéissant audit Roy Phelippes, son seigneur : et, en suivant les conclusions prinses par ledit procureur-général du ; Roy, furent lesdits Duchez d’Aquitaine et Normandie, Comté de Poitou et ; autres terres et seigneuries qu’il tenoit au Royaume de France confisquées et acquises à la couronne de France et deslors furent unies à icelle. »

Il est vrai que Bouchet n’était pas contemporain de l’évènement et qu’on ne connaît ni la date exacte de l’arrêt, ni sa teneur.

D’après M. Lavisse (1), la condamnation de Jean-sans-Terre pour assassinat de son neveu Arthur, ne serait qu’une légende dont la fausseté aurait-été démontrée péremptoirement par M. Ch. Bémont, dans une notice publiée dans la Revue Historique, en 1886, sous ce titre : De la condamnation de Jean-sans-Terre par la Cour des Pairs de France, en 1202. (2).  

M. Bémont soutient que cette légende ' aurait été imaginée en 1216, par le prince Louis, fils de Philippe-Auguste, alors qu’il songeait à revendiquer le royaume d’Angleterre du chef de sa femme Blanche de Castille, petite-fille du roi Henri Plantagenet : que si le roi Jean-sans-Terre a été condamné par la Cour des Pairs, ce fut en 1202, c’est-à-dire antérieurement à la mort d’Arthur, et que cet arrêt était ; motivé seulement sur diverses infractions au devoir féodal.

C’est là une allégation particulièrement grave. Pour M. Bémont, non seulement le prince Louis, mais aussi le roi Philippe-Auguste auraient commis cette grossière imposture de falsifier un arrêt de justice.

J’ai lu avec beaucoup d’attention l’intéressante notice de M. Bémont. Je dois dire qu’elle ne m’a pas convaincu. Mais avant d’aborder la discussion de ses arguments, qui, je le reconnais, sont très ingénieusement groupés et présentés, il est nécessaire de rappeler succinctement les faits, et de remonter à l’année 1202, cette date ayant une importance décisive pour la solution de ce problème historique.

Le 22 mai de l’an 1200, un traité avait été signe au Goulet, près des Andelys, entre le roi Philippe-Auguste et Jean- sans-Terre.

Philippe-Auguste, qui avait alors de graves démêlés avec le Pape, abandonnait en fait la cause d’Arthur de Bretagne, et Jean put croire la paix assurée entre lui et le roi de France.

Il profita de ses loisirs pour séduire et pour enlever Isabelle d’Angoulême, fille du comte d’Angoulême, qui était fiancée au comte de la Marche Hugues de Lusignan.

 Il l’épousa le 30 Août de l’an 1200, à Chinon.

Il y eut à cette occasion de grandes solennités et réjouissances (3).

Mais le comte de la Marche prit fort mal la chose et porta plainte au roi de France contre Jean-sans-Terre pour le rapt dont celui-ci s’était rendu coupable.

Philippe-Auguste, pour l’instant, s’abstint de saisir la Cour Féodale ; ayant par ailleurs des raisons sérieuses pour maintenir l’état de paix qui existait entre lui et Jean-sans-Terre, et qui se prolongea jusqu’au mois de mars 1202.

A cette date, les hostilités reprennent entre les deux rois, et la Cour des Pairs se trouve saisie :

1° de la plainte du comte de la Marche ;

 2° d’une requête des principaux seigneurs du Poitou et de la Bretagne, demandant que les droits de leur jeune duc Arthur fussent formellement reconnus et protégés ;

3° d’une plainte du roi de France agissant comme seigneur suzerain contre Jean-sans-Terre qui lui refusait l’hommage.

Jean sans-Terre ne comparut pas et chercha de multiples échappatoires.

C’est ainsi qu’ayant fait citer devant sa Cour, par son sénéchal Robert de Turneham, les seigneurs du Poitou et de la Bretagne qui l’avaient appelé devant la Cour des Pairs de France, il invoquait une exception préjudicielle, prétendant qu’il ne pouvait être appelé à se défendre qu’après la solution de l’instance dans laquelle il était demandeur contre ses propres accusateurs.

Son refus de comparaître devant la Cour des Pairs motiva contre lui un arrêt de défaut qui fut rendu à la fin d’avril 1202. (4).

— Quelle était la portée de cet arrêt ?

D’après M. Bémont, c’était un arrêt sur le fond prononçant contre le roi Jean-sans-Terre la peine de confiscation — et il n’y en eut pas d’autre.

Je me permets de croire, on verra tout à l’heure pourquoi, que c’était un arrêt avant-taire-droit, prononçant non pas la confiscation, mais le séquestre, et que la Cour resta saisie du fond.

Jean-sans-Terre s’inquiétait peu de cette guerre procédurière, pensant avec raison que le sort des armes déciderait seul du bon droit.

Les évènements dès lors se précipitent vers un dénouement tragique.

Arthur de Bretagne est à Tours avec le comte de la Marche, plusieurs seigneurs du Poitou et de la Bretagne, et une force de deux cents lances que lui a confiée le roi de France. —

D’autres renforts doivent lui arriver de Nantes et d’Orléans. Mais il n’a pas la patience d’attendre.

Il semble qu’il ait été mal conseillé par le comte de la Marche. Celui-ci avait voué une haine particulière à la vieille reine Aliénor, veuve d’Henri Plantagenet, qu’il accusait d’avoir favorisé les amours de Jean-sans-Terre et d’Isabelle d’Angoulême. On venait d’apprendre qu’Aliénor avait quitté Fontevrault pour se réfugier dans sa forteresse

Arthur de Bretagne est à Tours avec le comte de la Marche, plusieurs seigneurs du Poitou et de la Bretagne, et une force de deux cents lances que lui a confiée le roi de France. — D’autres renforts doivent lui arriver de Nantes et d’Orléans.

Mais il n’a pas la patience d’attendre. Il semble qu’il ait été mal conseillé par le comte de la Marche.

 Celui-ci avait voué une haine particulière à la vieille reine Aliénor, veuve d’Henri Plantagenet, qu’il accusait d’avoir favorisé les amours de Jean-sans-Terre et d’Isabelle d’Angoulême.

 On venait d’apprendre qu’Aliénor avait quitté Fontevrault pour se réfugier dans sa forteresse de Mirebeau, et le Comte de la Marche persuada au jeune duc que, s’il parvenait à se saisir de sa grand-mère, il lui serait facile de s’autoriser de son nom et de sa présence pour se rendre maître de son duché d’Aquitaine.

Arthur s’empare d’abord de Mirebeau, mais la reine Aliénor se renferme dans le donjon, et Arthur-est vaincu et pris par Jean-sans- Terre, le 1er août 1202 (5). Puis il disparaît.

D’après certaines indications de l’itinéraire du Roi Jean-sans-Terre (6), on sait que celui-ci était à Chinon le 4, avec son prisonnier, et qu’il y resta jusqu’au 4 septembre.

Il s’absente le 4 septembre, pour revenir à Chinon seulement le 4 novembre ; et c’est probablement dans cet intervalle qu’il fit transférer Arthur au château de Falaise.

Dans les deux premiers mois de l’année 1203, il courait déjà des bruits sinistres sur le compte de l’infortuné captif. Arthur fut alors conduit à Rouen. Loer ne sait rien de plus.

Le roi Jean l’a-t il poignardé de sa propre main dans la nuit du 3 avril, comme on le croit généralement ? L’a-t-il fait massacrer par ses geôliers? L’a-t-il laissé mourir de faim dans quelque oubliette ? — Toujours est-il qu’il n’a jamais donné aucune explication sur cette disparition mystérieuse,

Cette incertitude sur les circonstances dans lesquelles le crime aurait été commis est un des arguments invoqués par M. Bémont à l’appui de sa thèse. Nous verrons tout à l’heure ce qu’il vaut.

Mais faisons observer d’abord que l’opinion générale des historiens, d’après laquelle la Cour des Pairs aurait été saisie d’une accusation de meurtre contre le roi Jean, apparaît tout au moins comme vraisemblable,

Comment admettre que les Etats de Bretagne, les seigneurs partisans d’Arthur, le roi de France qui l’aimait tendrement, soient restés indifférents à cette rumeur accusatrice qui s’élevait de toutes parts contre le roi Jean ?

La Cour des Pairs étant déjà saisie de diverses plaintes contre Jean-sans Terre sur lesquelles il n’avait pas été statué définitivement, il serait étrange que le roi de France n’eut pas songé à porter devant les juges de la Cour féodale ce nouveau chef d’accusation, et qu’il eut négligé une telle occasion de venger un meurtre odieux commis sur un enfant de quinze ans, et de déshonorer son méprisable mais trop puissant vassal,

Donc, d’après l’opinion généralement admise, le roi Jean fut régulièrement ajourné à comparaître en personne,

Il fit demander un sauf-conduit par deux envoyés extraordinaires qui étaient Eustache, évêque d’Ely, et Hubert de Bourg ; mais le roi de France déclara à ces ambassadeurs que, s’il pouvait accorder au roi Jean toute permission et licence pour venir à Paris, il appartiendrait à la seule Cour des Pairs de lui accorder un sauf-conduit pour le retour.

Cette réponse d’une correction irréprochable, était en même temps très habile. Tout d’abord, Philippe-Auguste rejetait sur la Cour des Pairs, c’est-à-dire sur l’assemblée des prélats et des barons du royaume, la responsabilité de la sentence.

 Il établissait ainsi une ligne de démarcation entre le pouvoir politique, qui lui appartenait en propre, et le pouvoir judiciaire, dont il aurait à faire exécuter les décisions, et c’était comme s’il eût dit en propres termes, au roi Jean : « Vous êtes appelé à comparaître devant vos pairs, pour y répondre d’une accusation capitale, Bien que nous soyions en état de guerre, je vous accorde un sauf conduit pour vous rendre librement à cette convocation. Mais il ne s’agit plus seulement de nos conflits personnels, et je ne puis faire que ce sauf-conduit soit valable pour le retour ; car une fois que vous aurez comparu devant vos juges, vous leur appartiendrez et c’est eux seuls qui pourront statuer sur toutes vos requêtes ».

Dans ces conditions, le roi Jean s’abstint de comparaître et la procédure suivit son cours.

D’après Bouchet, il y eut trois défauts, des enquêtes, des commissions rogatoires, et enfin un dernier ajournement avant l’arrêt définitif, qui fut rendu par contumace.

Jean-sans-Terre aurait été condamné non seulement à la confiscation de ses possessions en terre de France, mais en outre, bien que Bouchet n’en parle pas, à la déchéance et à la peine de mort.

Il me faut maintenant résumer et grouper les arguments par lesquels M, Bémont conteste sinon l’existence, du moins la date, les motifs et le dispositif de l’arrêt.

1° Il n’existe pas de pièces du procès. On ne connaît pas le texte de ce prétendu arrêt. On ne trouve aucun document à ce sujet dans les archives de la chancellerie royale ;

2° Dans un traite d’alliance conclu en mars 1203 entre Philippe-Auguste et les seigneurs de l’Anjou, Philippe-Auguste semble prévoir la mort d’Arthur. Ce traité contient notamment cette clause : Si Arthur vient à mourir, Maurice de Craon demeurera l’homme-lige du Roi;

3° Le 31 octobre 1203, le Pape Innocent III écrit à Philippe-Auguste et à Jean-sans-Terre. Il rappelle à celui-ci qu’il est l’homme-lige du roi de France, qu’il doit non seulement faire la paix, mais l’offrir lui- même. Il ne fait aucune allusion à la mort d’Arthur ;

4° En octobre 1203, dans un traité avec Guy de Thouars, Philippe réserve les droits d’Arthur « si ce prince est en vie » ;

5° Après la mi- carême de l’année 1204 (mars), le roi Jenu avait envoyé en France des ambassadeurs pour négocier la paix. Comme condition préalable, Philippe-Auguste exigea qu’Arthur lui fût remis vivant…….. et s’il avait disparu de ce monde, il se déclarait prêt à épouser Eléonore, soeur d’Arthur. Or, dit M. Bémont, s'il résulte de tous ces documents que le roi de France doute encore de la mort d’Arthur, on ne conçoit pas qu’une action ait pu être suivie contre le meurtrier ;

6° Le 7 mars 1205, le pape écrit aux évêques de Normandie qui lui demandent s’ils doivent reconnaître Philippe-Auguste comme leur suzerain : L’illustre roi de France Philippe affirme qu’il a acquis cette province en vertu d’un jugement régulier de la Cour de France, mais comme nous ne connaissons pas bien le droit ni la coutume sur lesquels il s’appuie, que nous ignorons la cause, le mode et l’ordre et les autres circonstances du jugement .nous ne pouvons vous donner une réponse définitive ;

7° La plupart des chroniqueurs contemporains ne parlent pas de la condamnation de Jean-sans-Terre, ou ils n’en parleront que beaucoup plus tard, lorsque la légende aura pris corps.

Raoul de Coggeshal parle bien de la condamnation ; mais elle est de 1202 ; et l’arrêt est motivé sur ce que Jean-sans-Terre ne remplissait pas les conditions de ses fiefs et ne voulait obéir en aucune chose à son seigneur.

Il est vrai qu’un contemporain anonyme, moine au monastère cistercien de Margam, comté de Clamorgan, pays de Galles, relate la condamnation motivée sur le meurtre d’Arthur, mais il est hostile à Jean-sans-Terre : d’autre part, comment, au fond du pays de Galles, aurait il pu être renseigné sur cet évènement ?

8° La légende a été imaginée en 1216, par le prince Louis, fils de Philippe-Auguste, alors qu’il préparait son expédition en Angleterre. Le Légat du Pape, dans une assemblée tenue à Melun, au -mois d’avril, menaçait Philippe-Auguste et son fils d’excommunication si ce dernier persistait à vouloir envahir l’Angle terre, dont Jean-sans-Terre avait fait hommage au Saint-Siège Louis déclara, en présence du Légat et de toute l’Assemblée, que Jean-sans-Terre avait perdu ses droits au trône par le jugement de la Cour des Pairs de France, qui l’avait condamné à mort à cause du meurtre d’Arthur ;

9° Le prince Louis ayant envoyé à la Cour de Rome des députés chargés d’exposer et de défendre ses prétentions à la couronne d’Angleterre, Mathieu Paris reproduit, d’après Roger de Wendover, le l’apport des envoyés du prince Louis, et le fait précéder d’une affirmation personnelle, déclarant que le roi Jean n’a pas été justement ni légalement déchu de la Normandie; que ce roi a été dépouillé non par un jugement, mais par la violence

— Sans doute, les pièces du procès n’existent pas, mais on ne trouve pas trace non plus de la procédure antérieure à 1202 dont M. Bémont cependant ne conteste pas l’existence. Lorsqu’il est impossible de produire un acte, un document dont on entend se prévaloir il suffit qu’il soit rappelé et relaté dans, des documents postérieurs dont l’authencité n’est pas contestée.

Or, avant d’examiner en détail les arguments invoqués par M. Bémont, il importe d’insister sur les deux derniers faits de son articulation : l’Assemblée de Melun en 1216, et l’audience accordée le mois suivant aux envoyés du prince Louis par le Pape. M. Bémont ne conteste ni l’authenticité, ni l’exactitude de leur rapport qui est un véritable compte-rendu de l’audience du Sacré-Collège.

Ainsi, en avril 1216, dans une Assemblée solennelle, en présence du roi Philippe-Auguste, du Légat du Pape, des plus éminents prélats et seigneurs du royaume, le prince Louis déclare formellement se prévaloir de l’arrêt de la Cour des Pairs qui a condamné à mort

Jean-sans-Terre comme coupable du meurtre d’Arthur.

Douze ans à peine se sont écoulés, Jean-sans-Terre et presque tous les personnages contemporains du drame sont encore vivants. Et ni Jean-sans-Terre, ni personne pour lui, ni aucun chroniqueur n’aurait protesté contre cette allégation audacieuse d’un arrêt supposé, ou motivé pour d’autres causes !

Comment admettre, d’autre part, que les envoyés du prince Louis, parlant en son nom, aient osé produire, devant le Pape et le Sacré-Collège, un document judiciaire falsifié quant à la date et quant aux motifs ?

Comment supposer que le Pape et ses cardinaux, juristes-experts en Droit Canon, aient été dupes d’une fraude aussi grossière ?

La gravité de cette objection n’a point échappé à M. Lavisse (7) qui admet que le Pape « ne fut peut-être pas dupé de cet artifice ». — Si je comprends bien la pensée de l’éminent historien, le Pape aurait voulu ménager l’honneur du roi de France et de son fils, et, plutôt que de les convaincre d’imposture en démontrant la matérialité du faux, préféra contester la régularité et la validité de la décision des Pairs.

Le rapport très complet des envoyés du prince Louis ne permet pas de s’arrêter à cette hypothèse. ,

Le Pape Innocent III ne parut pas d’humeur à ménager la susceptibilité du prince Louis. Son premier mot aux envoyés qui le saluent de la part du prince est celui-ci ; « Dominas vester non est dignus salutations nostra. — Votre maître n’est pas digne de notre salut ! ».

Et lorsque nous le voyons discuter 1 arrêt de la Cour des Pairs en quelque sorte paragraphe par paragraphe, il est impossible de croire qu’il ait eu un doute sur la matérialité du document qui faisait l’objet du débat.

Aurait-il donc été réellement abusé par une pièce fausse ?

C’est absolument inadmissible et voici pourquoi : Le Pape en prenant fait et cause pour Jean sans-Terre, qui lui avait rendu hommage pour son royaume d’Angleterre, défendait ses propres droits de suzeraineté.

Le prince Louis prétendait, en effet, que la condamnation à mort prononcée contre Jean sans Terre, pour crime de meurtre, entraînait la déchéance et ce qu’on appelle, dans notre droit moderne, la mort civile ; que, par suite, le trône d’Angleterre appartenait à sa femme Blanche de Castille, petite-fille d’Henri Plantagenet.

 Prétention d’ailleurs peu raisonnable et que le Pape n’eut pas de peine à réfuter.

Il est certain qu’avant d’accorder audience aux envoyés du prince Louis, le Pape s’était renseigné auprès de Jean-sans-Terre, et que celui-ci avait été invite à produire ses défenses.

Nous en trouvons la preuve dans le rapport des représentants du prince Louis. Le Pape justifie ainsi le roi Jean de n’avoir pas comparu : — Le roi Jean n’a point été justement et légalement privé de la Normandie ; il ne l’a été que par la violence (8), car il avait envoyé auprès du roi deux hommes prudents, Eustache, évêque d’Ely, et Hubert de Bourg, pour signifier â Philippe qu’il viendrait volontiers à su Cour, mais avec un sauf conduit ; à quoi le roi de France avait répondu avec un visage ni calme ni loyal ; qu'il vienne librement et en paix ; et l’évêque lui dit alors : « Seigneur, pourra t’il retourner ? » — « Si le jugement des Pairs le permet...» —

C’est pourquoi le roi Anglais n’a pas voulu s’exposer au hasard d’un jugement rendu par les Francs qui ne l’aimaient point. Ceux-ci ont cependant fait un procès.

Et ici une observation.

C’est le même pape Innocent III qui, au mois de mai 1216, donnera audience aux envoyés du prince Louis.

 Si, en 1205, Philippe-Auguste ne lui avait pas fait connaître les motifs de la condamnation prononcée contre Jean-sans-Terre, ou s’il avait allégué des motifs autres que le meurtre d’Arthur, le Pape n’eût certaine-pas manqué d’en tirer argument et de répondre au prince Louis : Vous alléguez aujourd’hui une prétendue condamnation à mort du roi Jean pour crime de meurtre, mais, il y a quelques années, le roi Philippe-Auguste, en m’avisant de la sentence prononcée contre le roi Jean, ne m’a point donné à entendre que cette sentence fût aussi grave.

Pour en terminer avec cette controverse, le récit de l’abbé de Coggeshal et celui de l’auteur anonyme du monastère de Margam ne me paraissent pas contradictoires. Ils se complètent plutôt. Un premier arrêt fut prononcé en 1202, que Raoul de Coggeshal appelle improprement, je crois, une sentence de confiscation. L’abbé de Coggeshal ne devait pas avoir une compétence spéciale en matière de procédure, et a pu confondre les deux termes : confiscation et séquestre.

On ne peut confisquer que contre le vrai propriétaire.

Or, en 1202, tout l’héritage du roi Henri Plantagenet et de Richard-Coeur-de Lion était litigieux entre Jean-Terre, qui avait pour lui la possession de fait, et Arthur de Bretagne qui le revendiquait par droit de représentation de son père Geoffroy.

Philippe-Auguste soutenait les prétentions d’Arthur. Il est peu croyable que la cour des Pairs ait prononcé la confiscation des fiefs revendiqués par Arthur, pour des faits imputables à celui qui les détenait injustement.

La procédure du séquestre était au contraire toute indiquée. C’est une mesure provisoire qui, sans impliquer une attribution de la propriété, assure la conservation de la chose litigieuse, et l’exécution du jugement à intervenir.

La cour des Pairs n’avait donc pas prononcé de sentence définitive lorsque le bruit de la mort d’Arthur se répandit. Dès le mois de mars 1203, c’est-à-dire avant le meurtre, nous voyons le roi, dans le traité qu’il signe avec les seigneurs de l’Anjou, inquiet sur le sort du jeune duc, et stipuler en prévision de sa mort.

Comment serait-il resté indifférent lorsqu’il fut certain et notoire qu’Arthur avait disparu ?

C’est très probablement vers le mois de janvier 1204 que se place l’incident du sauf-conduit, d’outil est question dans l’entrevue du Pape avec les envoyés du prince Louis.

C’est là un fait rigoureusement authentifié qui ne peut se rapporter à la procédure antérieure à 1202; puisque nous savons qu’alors le roi Jean opposa une exception préjudicielle aux réclamations des plaignants.

La procédure dut prendre plusieurs mois. C’est sans doute dans les informations recueillies par les juges enquêteurs qu'on a trouvé certains détails sur la captivité et la mort d’Arthur, qui nous ont été transmis tels quels, sans que leur certitude puisse désormais être établie, les procès - verbaux d’information ayant disparu.

Pendant cette même année 1204, les événements de guerre se précipitaient, et dans le fracas des sièges et des batailles, la plupart des chroniqueurs n’apportaient qu’une attention médiocre à une sentence prononcée par défaut.

Il est bien certain que douze ans après lorsque le prince Louis tira argument de cet arrêt pour soutenir que le roi Jean ' était déchu même de ses droits à la couronne d’Angleterre, cette interprétation donna au verdict de la Cour des Pairs une importance à laquelle personne n’avait songé.

Mais il est vraiment hasardeux de prétendre qu’il a été inventé.

 

 

Bulletin de la Société des Lettres, Sciences et Arts du Saumurois. (Avril 1912).

 

 

Ephémérides historiques de Jean Sans Terre à La Rochelle - Itinéraire de Jean-sans-Terre <==

Liste des Sénéchaux d’Anjou et du Maine<==

 

 


 

(1) Histoire de France, Tonie III. Livre II, Chap. II

 (2) Revue Historique, Tome XXXII, Année 1886.

(3) Manuscrit de Dom Housseau. Bibliothèque Nationale, tome vi n° 2132. — Lecointre-Dupont :  Jean-sans-Terre, ou Essai sur les dernières années ; de la domination des Plantagenet dans l’Ouest de la France. — Mémoires de la Société des Antiquaires de l’Ouest, 1845.

(4) Guillaume-le-Breton. — Philippide-Chant 10. Lavisse, Histoire de France, tome III, livre II, chap. II.

(5) Major de Fouchier : la Baronnie de Mirebeau. Mémoires des Antiquaires de l’Ouest, année 1877. Robert d’Auxerre, Chronologia : Apud Rerum Gall, Script. Tome XVIII, p. 266.

(6) Revue. Archaeologia, année 1829. Tome xxn-Bibliothèque Nationale. N“ 8.

(7) « Histoire de France ». Tome ni. Livre III. Chap. II.

(8) «Justement et légalement» Ainsi le Pape conteste la justice et la légalité de la sentence, mais non son existence.

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